Comment les Saoudiens voient la guerre au Yémen
Nous sommes le 24 mai. Je participe à un rassemblement à Londres sur invitation uniquement. Le royaume d'Arabie saoudite a déployé une équipe impressionnante d’officiels pour présenter la perspective saoudienne de la guerre au Yémen.
Invités par Chatham House et le Gulf Research Center, les intervenants incluent l'ambassadeur saoudien au Yémen ainsi que des représentants des principaux ministères de l'Intérieur et de la Défense du royaume et du Centre d’aide humanitaire du roi Salmane.
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Les Saoudiens insistent à maintes reprises sur le fait qu'ils cherchent une solution politique à la guerre qui, en plus de deux ans, a tué près de 5 000 civils, blessé des milliers d'autres, endommagé et détruit des infrastructures essentielles et engendré un besoin urgent d'aide humanitaire pour plus de 80 % de la population.
Ils sont perplexes et agacés par le fait que le monde semble avoir ignoré leur version des faits. Après tout, ce sont les Saoudiens qui ont répondu aux manifestations populaires au Yémen au lendemain du Printemps arabe. Ce sont eux qui ont négocié avec succès pour démettre le président de longue date Ali Abdallah Saleh et pour installer son successeur, Abd Rabbo Mansour Hadi.
La vision saoudienne
Les Houthis, armés et encouragés par l'Iran, ont fait échouer tous les efforts diplomatiques, affirment les Saoudiens. Avec l'aide du président déchu Ali Abdallah Saleh et des forces de l'armée qui lui sont encore fidèles, les Houthis ont pris la capitale Sanaa et ont chassé le gouvernement légitime du président Hadi en 2014.
« L'Iran est au Yémen pour apporter la mort, la destruction et le choléra » - Mohamed Al-Jabir, ambassadeur saoudien
Ce n'est que lorsque les soldats de Saleh et les Houthis ont fait une offensive vers le sud en direction du port d'Aden que les Saoudiens et leurs partenaires de la coalition ont lancé à contrecœur une campagne aérienne, l’opération « Tempête décisive », en mars 2015. Ils l’ont fait, nous ont-ils assuré, au nom du gouvernement internationalement reconnu de Hadi. Comme l’a déclaré l’un des intervenants : « Nous n'avons pas besoin de justification, c'est une guerre par nécessité, nous n’avions pas le choix ».
Les Saoudiens, par l'entremise du Centre d'aide humanitaire du roi Salmane, fournissent une aide de 8,2 milliards de dollars au Yémen, a ajouté un porte-parole du centre.
Le responsable du ministère de la Défense nous a en outre informés que les forces de la coalition s’étaient montrées extrêmement prudentes dans leurs frappes aériennes, respectant tous les codes et lois internationaux et évaluant chaque frappe avec l'aide des Britanniques et des Américains par le biais de l’Équipe conjointe d'évaluation des incidents, autrement connue sous le nom de JIAT (Joint Incident Assessment Team).
L'Arabie saoudite continue de chercher des solutions diplomatiques, mais à chaque fois, ses initiatives sont contrariées par les Houthis. Et les Houthis sont soutenus par l'Iran. Ainsi que le formule l'ambassadeur saoudien Mohamed al-Jabir : « L'Iran est au Yémen pour apporter la mort, la destruction et le choléra », en référence à l'épidémie menaçant désormais d’échapper à tout contrôle dans le pays.
Donc, la voici, la perspective saoudienne. Il y a bien certaines vérités dans ces affirmations. Cependant, si vous êtes l'un des pays les plus riches au monde et que vous lancez une campagne de bombardement hi-tech sur l'un des pays les plus pauvres et que la campagne se prolonge encore et encore sous les yeux de tous, alors vous ne devriez pas être étonnés si vous faites l’objet d’une mauvaise presse.
Ce qui se passe au Yémen est une histoire de conflits internes et de luttes de pouvoir. C'est « un conflit complexe avec une multitude d’aspects différents » - Peter Salisbury, Chatham House
Mais les officiels réunis devant nous ne l’entendent pas de cette manière. Le colonel Ahmed al-Aqeely pour le ministère de la Défense nous fait part d'un bilan détaillé de la prudence avec laquelle les Saoudiens bombardent des cibles yéménites. À l’aide de diapositives, il égrène les lois et les protocoles de conduite de la guerre. « Messieurs, s'exclame-t-il, ignorant la douzaine de femmes qui se trouvent dans la pièce, il y a tant d'étapes, nous devons faire attention ».
De nombreuses ONG et l'ONU elle-même ont dépeint de manière exhaustive une image tout à fait différente. Pour n’en citer qu’un seul, le Rapport mondial 2017 de Human Report Watch indique :
« Des dizaines d'attaques aériennes de la coalition ont tué et blessé des milliers de civils sans discernement ou de manière disproportionnée en violation des lois de la guerre. La coalition a également utilisé des munitions à fragmentation, qui sont interdites au niveau international. »
Le rapport n'épargne pas les Houthis et les forces de Saleh, évoquant les mines terrestres déposées un peu partout au hasard, les mauvais traitements infligés aux prisonniers et les centaines de civils tués par des tirs de roquette au Yémen et dans le sud de l'Arabie saoudite. Mais même ainsi, les Saoudiens rejettent systématiquement ce genre d’enquêtes.
La marche de l’Iran
C’est toutefois l'Iran qui s’attire leurs foudres. Il ne fait aucun doute que les Saoudiens ont été enhardis par la déclaration du président Donald Trump à Riyad deux jours auparavant, lorsqu'il a appelé à éradiquer le terrorisme et à isoler le gouvernement iranien, qui selon lui fournit aux terroristes « un havre de paix, un soutien financier et le statut social nécessaire au recrutement ».
L'Iran a déjà pris le contrôle de l'Irak, accusent-ils. Il est en Syrie avec le Hezbollah. Il a l'intention, affirme l'ambassadeur, « de détruire la péninsule arabique et de semer les germes de la destruction ». On nous suggère que l'Iran nourrit des ambitions territoriales au Yémen et souhaite s’emparer du pays.
« Daech et l'Iran sont les deux principaux déstabilisateurs, alors si vous invitez l'Iran, invitez Daech » - Dr Mustafa Alani, Gulf Research Council
En s'efforçant d'établir que l'Arabie saoudite n'a pas de semblables ambitions, le Dr Mustafa Alani, du Gulf Research Center, nous explique que les Saoudiens « ne désirent aucunement la terre ou la richesse du Yémen. Qu'est-ce qui a de la valeur [pour nous] au Yémen ? Absolument rien ».
Peter Salisbury, de Chatham House, ancien journaliste ayant de nombreuses années d'expérience au Yémen, offre une perspective plus nuancée. « L'Iran, dit-il, n'est pas le principal moteur et d'autres griefs ont permis aux Houthis de monter en puissance. » Il fait remarquer que ce qui se passe au Yémen est une histoire de conflits internes et de luttes de pouvoir. C'est « un conflit complexe avec une multitude d’aspects différents ».
Mais les Saoudiens ne voient guère que l'Iran. Je demande donc : « Si l'Iran est au cœur du conflit au Yémen et si, comme vous l'avez dit à plusieurs reprises, vous voulez une solution politique, pourquoi alors ne pas inviter les Iraniens à la table des négociations ? ». Je n’ignore pas que dans ces moments de tension extrême, il s’agit d’un scénario très improbable, mais je suis curieux d'entendre les réponses.
Le Dr Alani répond promptement : « Daech [le groupe État islamique] et l'Iran sont les deux principaux déstabilisateurs, alors si vous invitez l'Iran, invitez Daech. » C’est une formule que Donald Trump applaudirait sans aucun doute, à condition qu’il puisse la revendiquer comme sienne.
Vient ensuite le tour de l'ambassadeur : « Demanderiez-vous à la personne qui a détruit votre maison de la reconstruire ? ».
Mais, Monsieur l’ambassadeur, comment dire… pour le reste du monde, on dirait bien que c'est vous qui êtes en train de détruire la maison.
- Bill Law est un analyste du Moyen-Orient et un spécialiste des pays du Golfe. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @billlaw49.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des Yéménites sont rassemblés au sommet d'un cratère créé par un bombardement aérien saoudien sur la capitale yéménite Sanaa (AFP/WAM).
Traduit de l’anglais (original).
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