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En plus de la guerre, le Yémen doit lutter contre le choléra

Depuis la mi-octobre 2016, le Yémen lutte contre une épidémie de choléra, exacerbée par la guerre
Un enfant yéménite reçoit son traitement dans un hôpital de la capitale, Sana’a, après une épidémie de choléra en octobre 2016 (AFP)

AL-MOUKALLA, Yémen – À la fin de l’année dernière, Abdul Salam, enseignant arabe, la cinquantaine, vivant dans le village tribal reculé d’al-Mansouri, dans la province de Bayda au Yémen, a soudain été pris de diarrhée sévère et de vomissements. Ses parents ont tout de suite pensé qu’il était victime de l’épidémie de choléra, fatale à quatre villageois quelques jours plus tôt. Il avait besoin d’être soigné par un médecin, dans un dispensaire, mais il n’y avait rien de tout cela proximité.

Ce pays, déchiré par la guerre, lutte contre une grave épidémie de choléra depuis mi-octobre 2016, et onze personnes sont déjà décédées sur les 180 cas confirmés. Depuis le 11 janvier, un rapport collectif d’un groupe de travail missionné par le ministère de la Santé et plusieurs organes onusiens a relevé 15 658 cas suspects.

« Quand ils sont enfin arrivés à l'hôpital, je n’étais déjà plus valide »

-Abdul Salam, patient atteint du choléra

Bayda est en grande partie contrôlée par les chiites houthis et leurs alliés, en rébellion contre Abed Rabbo Mansour Hadi, dont le gouvernement est reconnu par la communauté internationale. Depuis mars 2015, Hadi est soutenu par une coalition menée par les Saoudiens.

Pour atteindre le plus proche dispensaire public de la ville de Mukaeras, la famille d’Abdul Salam a dû traverser des territoires contrôlés par les Houthis, où la milice impose un couvre-feu nocturne pour entraver les attaques d’al-Qaïda. Ce groupe de militants houthis contrôle maintenant les régions lointaines et périphériques de la province, auparavant foyer de recrutement d’al-Qaïda.

Sana’a, capitale du Yémen, le 11 octobre 2016 : un jeune Yéménite reçoit des soins en hôpital (AFP)

Sachant qu’Abdul Salam allait devoir attendre longtemps avant d’être pris en charge, ses parents lui ont préparé un remède traditionnel à base d’herbes et de yaourt. Cependant, ce traitement s’est avéré inefficace et, le matin suivant, Abdul Salam était mourant.

« Quand ils sont enfin arrivés à l'hôpital, je n’étais plus valide », raconte-t-il à Middle East Eye.

« Mon corps s’était vidé de la tête aux pieds », ajoute-t-il en expliquant qu’il s’était de plus en plus gravement déshydraté à cause des crises de diarrhée et des vomissements.

Ses parents ont conduit pendant une heure sur une route accidentée et dangereuse pour d’atteindre l’unique dispensaire de Mukaeras.

Manque de ressources

« Quand je suis arrivé [au dispensaire], il n’y avait pas de docteur de garde. Les infirmiers m’ont fait quelques piqûres, en vain ».

Plus de quatorze millions de Yéménites n’ont pas accès aux services de santé, a alerté en mars l’agence de santé des Nations unies, ajoutant qu’il est devenu de plus en plus difficile de transporter personnels et matériels médicaux.

Les zones rurales du Yémen souffraient déjà d’une grande pénurie de médecins. Depuis le début de la guerre, ils sont nombreux à avoir déserté leur poste faute de percevoir leur salaire.

Quelques jours plus tard, alors que sa santé ne cessait de se détériorer, Abdul Salam fut dirigé vers Bayda, dans un hôpital privé de ville, mieux équipé.

Janvier 2017 : des combattants houthis nouvellement recrutés scandent des slogans en montant dans un véhicule militaire, lors d’un rassemblement dans la capitale Sana’a (AFP)

Dès son arrivée, il fut transféré au service de soins intensifs. Les docteurs ont informé son frère que ses reins avaient gravement souffert de la maladie et qu’il serait en permanence dépendant d’un dialyseur.

Sa famille était soulagée de voir qu’Abdul Salam avait enfin été traité, mais elle n’avait pas les moyens de le laisser plus de quelques jours à l’hôpital.

« Je suis resté là [à l’hôpital] pendant plusieurs jours, et j’ai vite décidé de rentrer chez moi. La facture médicale était tout simplement trop élevée », regrette Abdul Salam : son séjour avait coûté à sa famille presque 110 dollars par jour.

Après avoir quitté l’établissement, Abdul Salam a emménagé à Aden pour habiter à proximité d’un centre de dialyse, dont ne dispose pas son village.

Désormais, Abdul Salam ne souhaite que deux choses.

« Je veux que cette guerre finisse pour que je puisse reprendre mes cours ici à Aden, près de mon centre de dialyse. »

Réaction gouvernementale

L’an dernier, l’antenne du ministère de la Santé a été alertée du décès pour cause de choléra de plusieurs villageois à Bayda. Les services provinciaux du ministère de la Santé à Bayda ont envoyé une équipe de médecins chargée d’évaluer la situation dans la région.

L’équipe se composait de docteurs, d’infirmiers et de techniciens médicaux. Jalal Sannah, médecin directeur de l’équipe, évoque leur effroi devant les conditions sanitaires déplorables du village d’al-Mansouri et d’autres régions voisines.

« Depuis le début de l'année, presque 1 145 personnes du district [de Mukaeras] souffraient de grave diarrhée aqueuse »

- Jalal Sannah, médecin dans la province de Bayda

« Quand nous sommes arrivés, le choléra avait déjà tué plusieurs personnes. Des dizaines d’autres avaient contracté la maladie et souffraient de graves diarrhées et de vomissements », raconte Sannah à MEE.

Plus d’un cinquième de la population de Mukaeras (environ 5 000 habitants au total) souffrait de symptômes associés à la maladie. »

« Depuis le début de cette année, presque 1 145 personnes du district [de Mukaeras] souffraient de diarrhée aqueuse aiguë [DAA, symptôme associé au choléra] », poursuit Sannah.

Pendant plusieurs semaines, l’équipe a sillonné la région, traitant les cas de choléra soupçonnés dans les villages et envoyant les plus sérieux au dispensaire de Bayda, mieux équipé. Dans la foulée, ils ont réussi à accroître le niveau sanitaire et de sensibilisation à l’hygiène parmi les villageois, limitant ainsi la propagation de la maladie.

Les traitements dispensés par l’équipe et les campagnes de sensibilisation à l’hygiène ont donné des résultats positifs tangibles.

Lorsque l’équipe a quitté la région, Sannah estime que les cas suspects de choléra à Mukaeras étaient tombés de 56 à 18 par jour, et le nombre de morts à zéro.

Des défis encore plus grands

Son équipe a soigné des douzaines de patients, et pourtant Sannah reconnaît que le travail ne fait que commencer : tout reste à faire pour assainir les foyers d’épidémie.

« On ne peut décemment pas exiger des gens de construire des toilettes, alors qu’ils n’ont même pas les moyens d’acheter à manger à leurs enfants »

- Jalal Sannah, docteur dans la province de Bayda

« Les causes principales d’une épidémie de choléra n’ont toujours pas été supprimées », déplore Sannah. « Il n’existe aucun réseau d’égoûts ou d’eau potable saine, et les réservoirs sont laissés sans protection. »

« Les toilettes n’existent pas et les gens se soulagent n’importe où. Mais l’on ne peut décemment pas exiger des gens de construire des toilettes, alors qu’ils n’ont même pas les moyens d’acheter à manger à leurs enfants », a-t-il ajouté.

Sannah explique que, tant qu’on n’aura pas résolu ces problèmes structurels, la maladie continuera à se propager dans tout le pays.

Des milliers de Yéménites souffrent du choléra depuis le début de l’année, d’autant plus que la prise en charge médicale s’est détériorée avec la guerre. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de l’ONU, à peine 45 % des équipements de santé du pays restent encore complètement fonctionnels et accessibles, mais au moins 274 ont été endommagés ou détruits pendant le conflit.

Foud Edris, médecin et directeur des services de santé de la province de Bayda, indique à MEE que son bureau a, depuis la fin de l’an dernier, recensé vingt morts et 2 300 cas suspects de choléra, et précise que la plupart avaient été relevés dans les districts d'al-Shourejah et de Mukaeras.

« Nous sommes en état de siège à cause de la guerre. Les médicaments de première nécessité ne nous parviennent pas à temps et les poches de sang prennent un temps infini pour atteindre Sana’a », déplore Edris en expliquant que la capitale, sous contrôle houthi, est le seul endroit équipé en laboratoires spécialisés.

Combattant yéménite près de Ta’izz (AFP)

Sannah et son équipe de neuf médecins doivent faire face à des défis d’autant plus effarants qu’ils doivent continuer à traiter des patients dans cette province ravagée par la guerre. Pour suivre l’état de santé de leurs patients et vérifier qu’ils prennent bien leur traitement, ils sont obligés de passer de territoires sous contrôle houthi à d’autres, contrôlés par al-Qaïda. Ils sont donc régulièrement arrêtés, fouillés et interrogés par les combattants des deux côtés, raconte Sannah à MEE.

Selon l’OMS, une grave pénurie de médicaments indispensables, des quantités limitées de carburant pour les groupes électrogènes et un faible nombre de personnels médicaux spécialisés comme des docteurs en soins intensifs et des infirmières ont aggravé la situation sanitaire.

De petits pas en petits pas

En dépit de ces nombreux défis, les efforts récents des organes du gouvernement et des ONG internationales ont permis de contenir l’épidémie.

Les statistiques sur le nombre de cas de choléra récents n’existent pas, mais les rapports sporadiques transmis par les responsables dans les provinces pointent une diminution spectaculaire des décès et des cas suspects.

Abdul Nasser al-Wali, directeur du ministère de la Santé à Aden, explique à MEE que les dispensaires de la ville n’ont pas signalé de nouveaux cas depuis février.

« Le déclenchement de l’épidémie de choléra nous a pris de court puisque nous sortions à peine d’une guerre », souligne-t-il en expliquant que des campagnes de prévention et de sensibilisation ont ensuite été lancées pour résoudre le problème.

« Nous luttons désormais main dans la main avec des organisations locales et internationales pour enrayer la propagation de cette maladie. »

Traduit de l’anglais (original) par [email protected].

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