De Béjaïa à Ouargla, les Algériens veulent se montrer solidaires avec le Rif
ALGER – « Nous, les peuples amazighs [berbères] d’Afrique du Nord, devons croire en nos Printemps. Nous devons nous réveiller, nous coaliser et nous solidariser, pour dépasser les initiatives des États et converger vers un mouvement amazigh au-delà des nations mais aussi contre ces nations. »
Djamal Ikhloufi, inspecteur de tamazight (langue berbère), est un des membres fondateurs du comité Bgayet/Rif qui appelle ce mardi soir à 22 h à un rassemblement à Béjaïa, en Kabylie, en soutien au hirak, ce mouvement de contestation qui depuis sept mois, agite le Rif marocain.
Le comité de soutien, qui s’est créé autour d’un noyau d’une cinquantaine de personnes (syndicalistes, journalistes, enseignants…), a diffusé un communiqué dans lequel il souligne que « la répression que subit la population marocaine du Rif n'est pas sans nous rappeler la stratégie du chaos local appliquée par le régime algérien en Kabylie, au M'zab et dans d'autres régions de notre pays. C'est dire combien la nature liberticide des deux régimes, marocain et algérien, instaurés sans nos peuples et souvent contre eux, sont des dangers à la stabilité de notre région. »
« Le Rif a été le premier peuple à encourager et soutenir franchement la révolution algérienne en 1956 »
-Mokrane Aggoune, enseignant
Mokrane Aggoune, enseignant à l’Institut supérieur de formation de Béjaia, est aussi membre du comité de solidarité. « Nous sommes sensibles à ce qui se passe chez nos amis du Rif et ceci est dû à notre influence intrinsèque d'anciens berbérisants », explique cet ancien animateur du Mouvement culturel berbère (MCB), ex-détenu du Printemps berbère, mouvement de contestation identitaire de 1980.
« Le Rif nous parle à plus d'un titre », insiste-t-il. « En tant qu'Algériens, nous avons en tête que les leurs y étaient déjà pour quelque chose dans l'éveil nationaliste algérien au début du siècle passé. Abdelkrim al-Khattabi a dès 1920 inspiré nos aînés nationalistes. Le Rif a été le premier peuple à encourager et soutenir franchement la révolution algérienne en 1956. Enfin dans la lutte pour la réappropriation de notre identité amazighe, nous avons avec nos semblables marocains un très long parcours en commun. »
Des revendications indentitaires aux revendications socio-économiques des régions marginalisées
Car ce n’est pas la première fois que des connexions se font entre les Amazighs d’Afrique du nord. « Lors des événements du Printemps noir de Kabylie [mouvement contestataire et identitaire de 2001], des actions ont été organisées par nos frères du Maroc. Il y a eu beaucoup de manifestations et de déclarations », poursuit Djamal Ikhloufi.
« Nous, les Kabyles, sommes un repère pour la réhabilitation de notre identité et l'instauration des régimes démocratiques. Nous sommes un repère pour tous ceux qui luttent contre cette idéologie arabo-islamique. Ils attendent beaucoup de nous. Il est temps de tisser les liens hors frontières imposées par ce monde arabe fictif. »
D’autant que pour Mokrane Aggoune, les préoccupations sont les mêmes « d’In Salah [où un mouvement contre le gaz de schiste s’est constitué en 2015] et de Ouargla, à Tataouine et jusqu'aux montagnes Nefoussa en Libye et aux plaines d'Assouan en Égypte. »
« Il y a un ordre barbare et déshumanisant contre lequel les gens lutte de façon inégalitaire un peu partout et ceci nous rend concernés par la bagarre de nos amis du Rif. »
À Ouargla, justement, ville de 260 000 habitants dans le Sahara algérien, où en 2013, est né un grand mouvement de chômeurs réclamant une meilleure répartition des richesses, Aïbek Abdelmalek et Tahar Belabbès réfléchissent aussi aux moyens d’« unir les peuples d’Afrique du Nord contre les injustices ».
Les deux ex-leaders du mouvement ont organisé début juin un f’tour pour discuter des moyens de fédérer les luttes, non plus seulement identitaires, mais porteuses de revendications socio-économiques propres aux régions marginalisées.
« C’est une manière pour nous d’être solidaires avec les mouvements de contestation au Maroc comme en Tunisie, et dire que nous avons un seul ennemi commun, ces régimes, alliés de l’impérialisme », explique Aïbek dans un vidéo.
D’autres militants, du mouvement autonomiste kabyle ou de la cause amazigh, se sont mobilisés de leur côté cette semaine. Les premiers ont organisé lundi 12 juin un rassemblement à Tizi Ouzou. Les seconds ont lancé une pétition pour « condamner avec la plus grande fermeté la répression subie par les animatrices et les animateurs du mouvement de contestation du Rif ». Parmi les premiers signataires de ce texte, on trouve des militants du Front des forces socialistes (FFS, parti d’opposition), des enseignants, des artistes, des activistes des droits de l’homme ou du Mouvement culturel berbère.
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