EXCLUSIF : Au Maroc, le roi traque les gulénistes pour le compte d’Erdoğan
CASABLANCA, Maroc – Selon les informations recueillies par Middle East Eye, quatre Turcs ont été arrêtés ces derniers mois par les autorités marocaines pour leurs liens présumés avec Fethullah Gülen. Le prédicateur turc est accusé par le président Recep Tayyip Erdoğan d’être le cerveau du coup d’État raté du 15 juillet 2016.
Il s’agit de deux professeurs et de deux commerçants, qui depuis leur arrestation, ont été incarcérées à la prison de Salé 2, au nord de Rabat, où sont généralement placés les islamistes armés.
La Cour suprême a donné un avis favorable à l’extradition de deux d’entre eux, mais la décision n’a pas été encore exécutée.
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Par crainte d’être extradés, une dizaine d’hommes d’affaires turcs ont quitté le Maroc pour l'Europe juste après ces arrestations.
Les bonnes relations entre Rabat et Ankara a déjà conduit le roi Mohammed VI à fermer en janvier dernier, à la demande de Recep Tayyip Erdoğan, les écoles Al Fatih, sept écoles fondées à partir de 1994 par les gulénistes au Maroc (à Casablanca, à Tanger, El Jadida et à Fès.
Pour justifier cette décision, les autorités ont accusé ces écoles d’instrumentaliser le secteur de l’enseignement pour répandre l’idéologie guléniste et des idées contraires aux principes du système éducatif et religieux marocain.
Les propriétaires des écoles Al Fatih ont tous quitté le Maroc depuis des mois, mais d’autres gulénistes, qui n’ont pas de visas, seraient, toujours selon nos sources, toujours coincés au Maroc.
La première personne à avoir été arrêtée par la police marocaine fin mars 2017 à Casablanca est Ismet B., un ancien professeur de mathématiques d’une école privée à Balıkesir (ouest de la Turquie), qui s’était installé à Casablanca en mars 2016 avec sa famille et venait de de créer la société Yavuzlar (vente de prêt-à-porter).
Selon ses proches contactés par MEE, Bakay a été contraint de quitter la Turquie après la fermeture de plusieurs écoles et institutions proches de Fethullah Gülen, quatre mois avant le putsch.
Le Maroc, « pour sa stabilité »
« Il avait choisi le Maroc pour sa stabilité, et il y avait des connaissances qui n’ont jamais eu des soucis avec les autorités. Il est arrivé seul, a fondé sa société puis sa femme et son enfant de 4 ans l’ont rejoint juste après le putsch », raconte le proche d’Ismet B., qui habite aujourd’hui en Europe.
Après l’arrivée de sa femme, il a déposé une demande de titre de séjour auprès des autorités marocaines, qui ne répondront jamais à sa demande. « Jusqu’au jour où il reçoit un coup de téléphone de la police, lui demandant de se rendre au commissariat au sujet de sa demande, ce qu’il a fait. Sans explications, les policiers l’ont arrêté et il a été transféré dès le lendemain devant tribunal d’Ain Sebaâ [à l’ouest de Casablanca] », raconte encore son ami.
Il apprend alors qu’il a été arrêté suite à une demande d’extradition venant d’Ankara, fait appel à cette décision devant la Cour suprême qui donnera un avis favorable à son extradition le 3 mai.
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« Sa famille vit dans des conditions très difficiles au Maroc et n’a plus de ressources financières pour couvrir leurs besoins », confie son ami, en contact permanent avec sa femme restée au Maroc.
Ismet B. n’a pas été extradé pour l’instant, la décision ayant été bloquée par une intervention du Comité contre la torture (CAT, organe de l’ONU) qui a contacté le Maroc pour suspendre toute procédure d’extradition jusqu’à la fin de l’examen du dossier.
Le cas de l’homme d’affaires Ferhat E., sur le sol marocain depuis 2011 et arrêté en avril dernier, a également été introduit devant ce comité après une décision favorable à son extradition, émise par la Cour suprême.
« Il a été arrêté à l’aéroport de Mohamed V. Il avait compris qu’il allait être arrêté et essayait de quitter le Maroc. Sa femme a réussi à fuir en Allemagne avec sa fille. Lui aussi attend la décision finale des autorités marocaines », révèle à MEE un guléniste installé au Maroc, qui suit le dossier.
Un autre enseignant, Mustafa O., au Maroc depuis 2013 où il travaillait comme enseignant dans les écoles Al Fatih, a été placé en garde à vue le 28 juillet dernier à Tétouan (au nord du Maroc) et incarcéré à Salé où il attend la décision du juge d’ici à deux semaines. Il affirme que son nom avait été fourni à la justice turque par une personne qui aurait été torturée.
Selon les informations de MEE, l’ambassade turque a refusé de délivrer un passeport à son fils, né en mars 2017.
Enfin, Aydin E., 60 ans, propriétaire d’une pâtisserie, est également en détention depuis une dizaine de jours. « Son cas est spécial, il n’a pas de famille, personne ne lui rend visite, et il ne parle pas arabe », ajoute notre source.
Présumés complices de Fethullah Gülen, aucune aide ne leur est fournie par l’ambassade de Turquie au Maroc.
En Turquie, 50 000 personnes ont été arrêtées, plus de 100 000 limogées en un an.
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