Au Liban, la saison de chasse pourrait endiguer le « massacre » illégal des oiseaux
BEYROUTH – Un jour de printemps de l’année 1981, Assad Serhal scrutait les arbres des forêts d’Oklahoma avec la mission de trouver et d’étudier le Pic flamboyant, sujet d’un projet de recherche universitaire.
Lorsque le battement des ailes d’un oiseau attira son attention, il leva ses jumelles et les ajusta, empreint d’excitation. Ce n’était pas l’espèce qu’il recherchait mais ce qu’il trouva allait changer sa vie de façon inattendue. Un Colin de Virginie, gibier à plumes par ailleurs ordinaire, protégeait attentivement sa progéniture.
Parmi les 2,6 millions d’oiseaux abattus ou illégalement piégés au Liban chaque année se trouvent notamment des espèces en voie de disparition
Alors qu’il l’observait, l’oiseau se plaça avec précaution entre sa couvée et les jumelles de Serhal, comme pour la protéger du canon de l’arme à feu d’un chasseur.
« Avoir mes jumelles m’a aidé à prendre conscience du lien entre la mère et sa progéniture. Un sentiment qui n’avait jamais traversé mon esprit lorsque j’allais chasser », confie Serhal.
Dès lors, âgé de 20 ans, il décida d’abandonner la chasse et de consacrer sa vie à la préservation de la faune aviaire.
Assad Serhal avait commencé à pratiquer la chasse à l’âge de 8 ans, « comme la plupart des hommes libanais ».
Serhal allait apprendre par la suite que son pays d’origine, le Liban, est, malgré sa petite taille, l’un des carrefours les plus importants pour les oiseaux migrateurs à travers le monde. Le territoire est avantageusement placé à l’intersection de quelques-unes des plus importantes routes migratoires au monde, qui voient des millions d’oiseaux voyageurs traverser le pays chaque printemps et chaque automne.
Serhal, qui a grandi au Liban et a passé du temps à l’étranger pour ses études, est revenu en 1983 après avoir suivi une formation au Bronx Zoo de New York.
Au Liban, ces migrations ont soutenu la croissance d’un important secteur de la chasse, resté en grande partie non réglementé pendant des décennies. Des pratiques de chasse excessives et illégales font du pays l’une des zones les plus dangereuses au monde pour les oiseaux migrateurs, qui parcourent souvent des milliers de kilomètres pour y nicher et s’accoupler.
Parmi les 2,6 millions d’oiseaux abattus ou illégalement piégés au Liban chaque année se trouvent notamment des espèces en voie de disparition.
« Seulement 10 % des personnes qui portent des armes et vont à la chasse respecteront cette loi à cause de ses implications financières, et du fait que la plupart de ces personnes ne se soucient aucunement de la loi »
Dans le but de freiner les activités de braconnage particulièrement répandues, le Liban se prépare à ouvrir officiellement une saison de chasse. C’est la première fois depuis le milieu des années 1990, lorsque le sport a été interdit par le gouvernement.
En préparation cette ouverture, le président Michael Aoun a lancé une campagne de sensibilisation à la situation critique des oiseaux migrateurs et le ministre de l’Environnement, Tarek Khatib, a approuvé les premières licences de chasse de l’année le 19 juin.
Selon ses partisans, cette politique apparemment contre-intuitive pourrait aider à protéger les populations aviaires en réduisant et contrôlant la fenêtre d’opportunité offerte aux chasseurs.
Une nouvelle ère
Sous la direction de Serhal, la Société pour la protection de la nature au Liban (SPNL), qui œuvre à la conservation des espèces aviaires et de la faune, a conseillé le ministère de l’Environnement dans l’élaboration de ses politiques cynégétiques.
« La principale plainte est venue des communautés de chasseurs, selon eux empêchés de pratiquer leurs droits légaux depuis vingt ans. C’est la raison pour laquelle des oiseaux étaient tout le temps, abattus illégalement. À elle seule, l’interdiction équivalait en quelque sorte à obliger les gens à chasser les oiseaux de façon illégale », affirme Serhal.
Grâce aux efforts de la SPNL, de Bird Life International et d’autres associations de la société civile, la loi n° 580 sur la chasse, récemment promulguée, prévoit le lancement de la saison de chasse le 15 septembre. Elle s’étalera jusqu’à fin janvier 2018, selon Serhal.
Nabil Saad, l’un des principaux membres du Club de chasse libanais, le plus grand groupe de ce genre au Liban, affirme que son organisation soutient la mise en œuvre de la nouvelle loi et la protection qu’elle offre aux amateurs respectueux de la loi.
« Cela a un impact sur de nombreux chasseurs, de nombreux chasseurs éthiques, car en tant que chasseurs, nous attendons une certaine saison pour sortir chasser dans des régions éloignées, mais la chasse étant interdite au Liban, on est constamment en train de regarder par-dessus notre épaule pour voir si la police est là », explique Saad.
« Au-delà du domaine de l’application de la loi, il y a vraiment beaucoup d’enfants qui vont à la chasse. De nombreux enfants, de 12-14 ans, portent des armes à feu et chassent, et nous déplorons de nombreux accidents chaque année, des personnes tuées à cause d’erreurs stupides faites par des chasseurs amateurs ou des personnes qui ne savent pas vraiment comment chasser ou où chasser », ajoute Saad.
Des avis mitigés
La loi révisée sur la chasse n°580 tente de s’attaquer à quelques-uns de ces problèmes et introduit un certain nombre d’exigences visant à renforcer la sécurité des chasseurs et à minimiser les risques pour les personnes et l’environnement. Pour participer à la saison de chasse, il faut faire une demande de permis de chasse, octroyé une fois que le candidat a satisfait plusieurs conditions.
Les chasseurs éligibles doivent être âgés d’au moins 18 ans, avoir réussi un examen écrit portant sur la sécurité en matière d’armes à feu et sur la connaissance des enjeux environnementaux, et passer un examen pratique avec leur arme, qui doit elle-même être enregistrée.
Ces examens ne peuvent être passés que dans des champs de tir approuvés, ce qui peut obliger les demandeurs à parcourir de grandes distances. De plus, une assurance doit être achetée pour couvrir d’éventuelles blessures causées par des accidents de chasse. Un permis de chasse pour les oiseaux coûte 66 dollars (55 euros), et 100 dollars (84 euros) pour les mammifères.
Après des décennies de chasse non réglementée, l’imposition soudaine des exigences introduites par la loi 580 pour l’obtention d’un permis de chasse et les coûts annexes pourraient s’avérer difficile à digérer pour de nombreux chasseurs libanais.
« Je dirais que 10 % des personnes qui portent des armes et vont à la chasse respecteront cette loi à cause de ses implications financières et du fait que la plupart de ces personnes ne se soucient aucunement de la loi. Donc, à moins de vraiment voir des mesures très dures et strictes d’application de cette loi sur le terrain, rien ne changera réellement », observe Saad.
Ceux qui violent la loi encourent des peines d’emprisonnement et des amendes pouvant aller jusqu’à 663 dollars (560 euros) pour les personnes reconnues coupables de voler des nids d’oiseaux, des œufs ou des oisillons, d’après la police.
« Personne ne chassait le Pinson des arbres mais, maintenant, s’ils voient ne serait-ce qu’une plume voler, ils tirent dessus. C’est un massacre qui a lieu »
Henri Bou Obeid, ingénieur en environnement, agriculteur biologique et chasseur passionné, estime que la nouvelle loi est un bon point de départ mais qu’elle doit être améliorée pour autoriser la chasse dès le mois d’août.
« Certains types d’oiseaux pourraient être abattus et sont chassés traditionnellement au Liban à la Sainte-Marie, le 15 août, et c’est une bonne période pour commencer à chasser », explique Obeid.
« La date du 15 septembre a été décidée parce que d’autres oiseaux disponibles qui commencent [à migrer] le 15 août ne devraient pas être abattus. Pour mieux les protéger, ils ont repoussé le début [de la saison] au 15 septembre, mais cela n’a pas été accepté par de nombreux chasseurs libanais. »
Toutefois, Obeid soutient la sauvegarde des oiseaux protégés et exhorte le gouvernement à retirer de la liste le Pinson des arbres, l’une des rares espèces chassables cet automne.
« Quand il migre, il se déplace avec beaucoup d’autres oiseaux semblables que l’on n’a pas le droit de chasser... Aujourd’hui, au Liban, beaucoup de chasseurs ne font pas la différence entre le Pinson des arbres, qui est autorisé et pourrait être chassé, et les autres oiseaux. Ils chasseront donc tous ces oiseaux qui lui ressemblent, ce qui n’est pas bon », explique Obeid.
En l’absence de réglementation
L’ouverture de la nouvelle saison survient à un moment où la chasse est de plus en plus pratiquée, ayant connu une popularité croissante au cours de la dernière génération, selon les chasseurs.
Toni Mdawar, qui chasse au Liban depuis 35 ans, explique que la chasse était bien réglementée avant le début de la guerre civile libanaise en 1975, et limitée principalement à la verdoyante vallée de Bekaa, dans l’Est du Liban.
Depuis, l’absence d’application de la loi a entraîné une recrudescence des pratiques de chasse et de piégeage interdites dans tout le pays.
« Nous avions coutume de voir le ciel rempli d’oiseaux, mais maintenant, c’est rare », décrit Mdawar. « À présent, les petits oiseaux, ils les éliminent. Par exemple, le Pinson des arbres. Cet oiseau, personne ne le chassait mais, maintenant, s’ils voient ne serait-ce qu’une plume voler, ils tirent dessus. C’est un massacre qui a lieu. »
La National Ecological Survey and Reform (NESR), une ONG locale qui protège les ressources naturelles et la faune, surveille ces activités illicites.
Un jour, après avoir escorté un braconnier d’oiseaux jusqu’au commissariat, Lara s’est fait enlever par les gardes du corps armés d’un homme politique qui ont employé la menace pour qu’elle abandonne les charges
Selon sa présidente, Lara Haddad, les méthodes les plus courantes et les plus pernicieuses incluent l’utilisation de filets équipés de « machines sonores » qui attirent les oiseaux en reproduisant leur cri ou le fait d’enduire les branches d’arbres d’une substance adhésive qui colle les oiseaux lorsqu’ils se posent dessus.
De nombreux chasseurs espèrent que la loi 580 parviendra à remettre de l’ordre dans le secteur libanais de la chasse, mais selon Haddad, le manque de forces de maintien de l’ordre et la corruption gouvernementale pourraient rendre la loi obsolète.
« La loi est bonne, mais elle n’est pas réaliste parce que nous n’avons pas beaucoup d’effectifs pour la faire respecter. Nous n’avons pas encore le personnel et nous ne sommes pas prêts pour ça. Il faut du temps et beaucoup de soutien financier et maintenant, la chasse fait face, en particulier, à la corruption », explique Lara Haddad.
Elle affirme que les connections politiques permettent souvent aux chasseurs d’opérer en toute impunité et qu’il peut même s’avérer dangereux de les poursuivre en justice. Un jour, après avoir escorté un braconnier d’oiseaux jusqu’au commissariat, Lara s’est fait enlever par les gardes du corps armés d’un homme politique qui ont employé la menace pour qu’elle abandonne les charges, raconte-t-elle.
« Pendant ma mission de surveillance, j’ai été exposé au danger, des gangsters m’ont kidnappée et ils sont du même coin que moi... Donc partout, quelle que soit la région où nous avons un député ou un ministre, il y a des crapules qui chassent ou commettent toutes sortes d’exactions contre la nature, mais nous ne pouvons pas arrêter cela. C’est notre problème », déplore Lara Haddad.
À présent, alors que les premières licences de chasse de l’année ont déjà été approuvées et que le mois de septembre approche à grand pas, le gouvernement a encore beaucoup de chemin à parcourir pour faire en sorte que la loi 580 ait un impact significatif pour les chasseurs comme pour les oiseaux.
Traduit de l'anglais (original) par Monique Gire.
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