Algérie : Ahmed Ouyahia, une conception centralisée et autoritaire du pouvoir
Le premier ministre algérien Ahmed Ouyahia présente, ce mercredi 6 septembre, son « plan de travail » au Conseil des ministres, avant de le faire avaliser, dans la foulée, par les deux chambres du parlement.
Il s’agit là de simples formalités avant d’affronter une dure réalité, mêlant crise de régime, dysfonctionnements politiques et institutionnels, déficits et crise sociale, le tout se déroulant sur fond de guerre de succession.
Ces éléments suffisent pour dire que le conseil des ministres du 6 septembre 2017 fera date, notamment pour une des rares apparitions du chef de l’État depuis le début de l’année.
Les images qui en seront diffusées seront scrutées très attentivement par les acteurs politiques et les chancelleries pour tenter d’y déceler des éléments sur l’état de santé du président Abdelaziz Bouteflika et, de là, sur sa capacité à terminer son quatrième mandat, voire d’en briguer un cinquième.
L’intérêt de l’opinion publique ne s’arrête pas là. Il s’étend aussi à cette question lancinante concernant la capacité du chef de l’État à exercer ses prérogatives constitutionnelles, et, au cas où il en serait incapable, de savoir qui prend réellement les décisions.
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Le cafouillage enregistré avec le limogeage de M. Abdelmadjid Tebboune, trois mois après sa nomination au poste de Premier ministre, a confirmé ces flottements au sommet de l’État. L’opposition a d’ailleurs tenté, en vain, de mettre la pression pour amener l’armée et le Conseil constitutionnel à faire appliquer l’article 102 de la Constitution, qui définit les modalités de transfert du pouvoir en cas d’empêchement du président de la République.
Marge étroite
C’est dire que ce conseil des ministres se tient à un moment délicat, qui ne laisse aucun répit à M. Ouyahia, contraint d’animer la scène politique tout en se préparant à affronter les vrais problèmes de l’économie.
Le Premier ministre n’a qu’une marge de manœuvre limitée pour faire face à la situation. Il dispose de réserves de change de près de 100 milliards de dollars (80 milliards d’euros), avec un endettement externe insignifiant, et une garantie de recettes d’hydrocarbures autour de 30 milliards de dollars par an.
Ce conseil des ministres se tient à un moment délicat, qui ne laisse aucun répit à M. Ouyahia, contraint d’animer la scène politique tout en se préparant à affronter les vrais problèmes de l’économie
Mais cela risque de s’avérer insuffisant pour faire face aux immenses défis qu’il doit affronter : engager les douloureuses réformes nécessaires pour diversifier l’économie algérienne, contenir le front social, garantir au président Bouteflika une fin de mandat tranquille, ne pas trop hypothéquer ses propres chances pour une succession éventuelle, et, dans tous les cas de figure, créer les conditions d’une succession apaisée.
Comment y parvenir, alors que la situation économique du pays est si fragile ? Il suffit de rappeler que depuis que le prix du baril de pétrole est passé de 100 à moins de 50 dollars, les réserves de change du pays ont baissé de 200 à 100 milliards de dollars en trois ans, alors que l’économie du pays reste structurellement incapable d’innover. Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une croissance très faible en 2017 et 2018, avec respectivement 1,4 % et à 0,6 %.
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Mais M. Ouyahia ne fait pas la même erreur d’appréciation que son prédécesseur. Il a pris soin d’apaiser les relations avec les milieux d’argent, alors que M. Tebboune s’était lancé dans une confrontation inutile et dangereuse, dans un pays où les forces de l’argent sont devenues une composante du pouvoir.
M. Ouyahia a aussi compris que l’urgence pour l’économie algérienne était de trouver des dinars, non des devises.
Pour simplifier, malgré les déficits externes, l’Algérie ne devrait pas connaître de pénurie de devises sur les trois ou quatre prochaines années. À l’inverse, les dinars manquent cruellement. Avant même que son programme ne soit validé, M. Ouyahia a engagé une première action, et en a annoncé une seconde. Ce qui donne une première idée du cap qu’il s’est fixé.
M. Ouyahia a décidé simultanément de s’attaquer à la parité du dinar, et de se donner les moyens d’accéder à la création monétaire (formule soft pour parler de la planche à billets) pour faire face aux déficits internes.
Le mouvement est déjà amorcé. D’un côté, la baisse du dinar s’est accélérée. Il faut désormais 132,03 dinars pour acheter un euro. La monnaie algérienne a ainsi reculé de 8,47 % face à l’euro durant les trois derniers mois, 13,5 % depuis le début.
Face au dollar, le dinar est passé, en un mois, entre le 3 août et le 3 septembre 2017, de 108,33 dinars pour un dollar à 115,5, soit une baisse de 6 % en un mois.
Gérer le court terme
M. Ouyahia pourra en tirer de multiples avantages : engranger plus de dinars, surenchérir le coût des importations, rendre les exportations plus attractives. De plus, c’est une mesure préconisée depuis longtemps par le FMI, qui dispose d’une abondante littérature sur le sujet.
D’autre part, dans sa première déclaration publique, M. Ouyahia a annoncé qu’il allait engager une révision de la loi sur la monnaie et le crédit.
M. Abdelkader Bensalah, président du Sénat, a surenchéri, en précisant que la loi serait adoptée rapidement, car « prioritaire ». Celle-ci introduirait la possibilité d’un « financement non conventionnel » de l’économie, selon M. Ouyahia. Deux experts, consultés sur la question, évoquent la même hypothèse : « permettre à la Banque d’Algérie de financer les bons du trésor ». Une autre formule soft pour éviter de parler de création monétaire.
M. Ouyahia veut tout contrôler, de l’investissement à la distribution du foncier industriel
Il reste que ces mesures montrent que le Premier ministre veut gérer le court terme, non transformer les fondamentaux de l’économie algérienne. Il s’agit de mesures d’urgence plutôt que de réformes.
Du reste, la pratique de la gestion par M. Ouyahia fait de lui un homme rétif au concept même de réforme. Celle-ci exige l’émergence d’acteurs autonomes (entreprises, banques, Banque centrale, syndicats de travailleurs et d’entreprises, centres d’arbitrages), soumis à la seule norme légale, alors que M. Ouyahia veut tout contrôler, de l’investissement à la distribution du foncier industriel.
Alors que la Banque d’Algérie a déjà été mise au pas par les amendements de 2003 et 2010, il veut aller plus loin, pour la réduire à une simple administration chargée d’imprimer les billets de banque.
Autre écueil pour le gouvernement Ouyahia, et c’est le plus important : le volet politique. En effet, il ne suffit pas de se lancer dans une dévaluation plus ou moins maîtrisée du dinar, il faut aussi prévoir une multitude d’ajustements et, surtout, s’engager dans un processus politique susceptible de garantir un minimum d’adhésion, pour éviter toute dérive éventuelle.
Organiser la concertation, rechercher l’adhésion des partenaires au-delà des organisations caricaturales que sont l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) et le Forum des chefs d’entreprise (FCE, principal syndicat patronal), gagner la confiance des élites et celle de la société : tout ceci ne semble pas entrer dans les préoccupations de M. Ouyahia. C’est pourtant là que tout risque de se jouer. D’autant plus que les temps s’annoncent difficiles, avec une situation économique qui risque de se détériorer.
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Autrement dit, la crise d’aujourd’hui a une apparence économique, mais elle est fondamentalement politique. La solution doit être envisagée de manière globale, avec des mesures cohérentes, dont les séquences peuvent être discutées, mais sans jamais dévier de la ligne générale.
La tentation du passage en force
Le pire serait d’envisager des solutions partielles, fragmentaires, ou de tenter un passage en force, sans tenir compte des intérêts des uns et des autres. Le seul résultat serait alors une aggravation de la crise.
M. Tebboune s’est complètement planté quand il envisagé de s’attaquer au problème par le seul biais de la balance commerciale et d’une confrontation avec les forces de l’argent.
M. Ouyahia fait un peu mieux, en abordant la question de la parité du dinar. Mais sur le reste, il sous-estime l’imbrication de tous les éléments : pour dévaluer le dinar, il faut, en bout de chaîne, avoir l’aval d’une multitude d’acteurs et préparer toute une batterie de correctifs et de mesures d’accompagnement.
Le Premier ministre aura besoin d’acteurs crédibles pour l’accompagner dans cet exercice. Il aura également besoin d’une administration efficace, et d’une ingénierie très sophistiquée. Il ne dispose ni des uns ni des autres
Le Premier ministre aura besoin d’acteurs crédibles pour l’accompagner dans cet exercice. Il aura également besoin d’une administration efficace, et d’une ingénierie très sophistiquée. Il ne dispose ni des uns ni des autres. Pire : il est entouré d’alliés-repoussoirs. Ce qui ne l’empêchera pas de tenter l’aventure.
Pourquoi prendre de tels risques ? Pour une raison simple : il n’a pas de comptes à rendre aux Algériens. Au pire, il sera limogé et mis dans un placard. Comme Abdelmadjid Tebboune. Comme Abdelmalek Sellal. Comme Abdelaziz Belkhadem.
- Abed Charef est un écrivain et chroniqueur algérien. Il a notamment dirigé l'hebdomadaire La Nation et écrit plusieurs essais, dont Algérie, le grand dérapage. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AbedCharef
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Photo : Ahmed Ouyahia, à nouveau désigné Premier ministre le 15 août dernier, présente ce mercredi son plan d'action au conseil des ministres (AFP).
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