Terrorisme et sexisme : la déformation médiatique des actes de violence commis par des femmes
Le 27 avril 2017, la police a procédé à des raids dans le nord de Londres, dans les habitations de trois femmes soupçonnées de comploter en vue d’une attaque au couteau qui aurait été « le premier attentat terroriste entièrement perpétré par des femmes au Royaume-Uni », selon de nombreux médias. Les femmes ont été placées en détention, l’une d’entre elles ayant été touchée par des tirs de la police.
Alors que les gros titres se sont multipliés sur Internet, la majorité des articles adoptaient un angle particulier : la femme blessée au cours de l’arrestation a refusé les soins des ambulanciers car, vraisemblablement, elle ne voulait pas être soignée par des hommes.
Bien que ce point mérite d’être noté, il est très éloigné du principal sujet de préoccupation. Les journalistes adeptes du sensationnalisme ont choisi de mettre en évidence le cadre du corps féminin comme centre de leur reportage plutôt que les facteurs sous-jacents de cette attaque, le risque que celle-ci représentait pour le public ou ce qui a été fait pour la détecter et la prévenir.
Traduction : « "NE TOUCHEZ PAS À MON CORPS" – Spectaculaire : des policiers s’escriment à soigner la première femme suspectée de terrorisme de l’histoire britannique blessée par balles, qui crie "Lâchez-moi", suite à un raid qui a permis de déjouer un "complot terroriste actif" et abouti à six arrestations »
L’angle de l’histoire s’est ensuite orienté vers la tenue vestimentaire des femmes. Accusées d’infractions de terrorisme et de conspiration en vue de commettre un meurtre, les femmes ont comparu pour la première fois devant le tribunal le 12 mai 2017.
Les gros titres allaient de « La magistrate ordonne aux membres du "premier groupe entièrement féminin du Royaume-Uni" accusé d’avoir comploté en vue d’une attaque au couteau à Westminster d’enlever leur burka » pour The Sun, à « Une mère et sa fille impliquées dans une affaire de complot terroriste sommées d’enlever leur voile par la magistrate qui exige de voir leurs yeux » pour The Telegraph.
Ce type de couverture médiatique attire l’attention des lecteurs sur des aspects non pertinents et leur fait oublier le rôle et la culpabilité de ces femmes.
La déformation médiatique
Les médias suivent cette rhétorique générale lorsqu’ils couvrent l’actualité dans la région de l’Asie de l’Ouest et de l’Afrique du Nord. En effet, un examen plus approfondi de la couverture consacrée à des combattantes arabes de premier plan donne un aperçu des motivations imaginées de leurs opérations, qu’elles aient été menées à bien ou déjouées. Trois noms viennent à l’esprit : Leïla Khaled, Wafa Idriss et Sajida al-Rishawi.
Leila Khaled s’est principalement fait connaître en raison de l’ambiguïté de son statut, entre combattante de la liberté et terroriste. En 1969, dans le cadre d’une opération du Front populaire de libération de la Palestine (PFLP), elle a détourné le vol 840 de la compagnie TWA reliant Rome à Tel Aviv sans blesser de passagers. Elle est ainsi devenue pour beaucoup une icône de la libération. Pourtant, le fourmillement médiatique qui a entouré l’incident a fini par la transformer en « pin-up » de la lutte palestinienne.
Plutôt que de se focaliser sur l’acte, les médias se sont davantage intéressés à son apparence. L’an dernier, au cours d’une interview, elle m’a expliqué : « Ils disaient toujours que j’étais jolie, que j’étais l’un des visages de la lutte palestinienne – les journalistes étrangers étaient également très intéressés par mes compétences culinaires. Je menais des missions et j’ai subi six opérations de chirurgie plastiques pour changer d’apparence afin que je puisse continuer ce que je faisais sans risquer de me faire capturer par les Israéliens – et eux se préoccupaient de la qualité de ma cuisine. »
Wafa Idriss, la première femme kamikaze palestinienne, et Sajida al-Rishawi, une terroriste irakienne, sont incontestablement et sans l’ombre d’un doute des extrémistes violentes. Leurs rôles dans ces attaques ont cependant été déformés par les médias.
Wafa Idriss a fait l’objet de nombreuses spéculations quant aux motivations de son attentat, qui a fait un mort et plusieurs centaines de blessés. Un article du New York Times publié le 31 janvier 2002 l’expliquait ainsi : « Née dans un camp de réfugiés, elle a été conditionnée au militantisme par le premier soulèvement palestinien contre Israël, avant de divorcer d’un mari déçu de ne pas avoir eu d’enfants et furieux de la voir alors recueillir et soigner les blessés palestiniens du conflit actuel. »
Le cas de Rishawi souligne l’importance du fait de comprendre la psychologie des femmes terroristes. Un article de Newsweek publié le 25 janvier 2015 indiquait : « En 2005, al-Rishawi et son mari ont attaqué un hôtel Radisson en Jordanie, mais seuls les explosifs du mari se sont déclenchés. Après le dysfonctionnement de ses explosifs, elle s’est enfuie avec la foule mais a été arrêtée plus tard. À la suite d’une confession télévisée lors de laquelle elle a affirmé que son mari était le cerveau du plan de double attentat-suicide, elle a été condamnée à mort. »
Ce que l’on omet généralement, c’est que le couple était marié uniquement pour apporter une couverture qui allait leur permettre d’entrer en Jordanie pour exécuter l’attaque. Cette couverture médiatique irresponsable, au même titre que sa fausse déclaration, donne l’impression que son implication dans le complot résulte d’une manipulation par son conjoint.
Des informations publiques limitées
En Asie de l’Ouest et en Afrique du Nord, les informations publiques concernant les combattantes féminines sont, au mieux, limitées. Les recherches menées actuellement au WANA Institute basé à Amman démontrent toutefois que le rôle des femmes dans le processus de radicalisation et de déradicalisation est crucial.
La focalisation des médias sur l’apparence physique et les relations personnelles de ces femmes atténue quelque peu leur rôle dans l’exécution d’actes terroristes
Lors d’une rencontre récente d’un groupe de discussion, le chef d’une ONG locale qui effectue des recherches sur ce sujet a souligné que les femmes occupaient plus de vingt fonctions différentes au sein d’une organisation terroriste, notamment les mariages, le recrutement d’autres femmes et, dans certains cas, le combat. L’étude a également révélé que les messages de recrutement étaient adaptés différemment pour les femmes d’Orient et d’Occident.
La focalisation des médias sur l’apparence physique et les relations personnelles de ces femmes atténue quelque peu leur rôle dans l’exécution d’actes terroristes. La mauvaise interprétation de leurs motivations et de leurs luttes est un sujet de préoccupation, car elle empêche les universitaires, les journalistes et les chercheurs de comprendre les véritables moteurs du terrorisme féminin.
Ces limites s’étendent aux recherches qui se consacrent davantage au rôle des femmes dans la lutte contre l’extrémisme violent qu’à la façon dont elles sont recrutées et à leur implication dans des organisations violentes.
Les limites créées par les représentations médiatiques inexactes et les sensibilités culturelles de la région liées aux discours sur les femmes doivent être rectifiées pour que nous puissions développer notre compréhension de leur rôle dans l’extrémisme violent et combattre ce phénomène grandissant.
- Nadine Sayegh est chercheuse au WANA Institute, spécialiste de la sécurité humaine et de la lutte contre l’extrémisme violent.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Sajida Mubarak al-Rishawi, une Irakienne âgée de 35 ans, montre sa ceinture d’explosifs qui n’a pas détoné au cours d’attentats coordonnées contre trois hôtels à Amman le 9 novembre 2005, sur des captures d’écran tirées d’une retransmission de la télévision jordanienne du 13 novembre 2005 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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