En Palestine, la récolte des olives a toujours un goût amer
WADI FUQIN, Cisjordanie occupée – Alors que la famille Manasra cueillait des olives dans l’un de ses champs, au début du mois de novembre, période qui marque la fin de la saison des récoltes, le grondement sourd d’engins de construction dans la colonie israélienne illégale de Beitar Illit leur rappelait l’incertitude qui régit l’existence de la petite communauté palestinienne.
Coincé entre les colonies de Beitar Illit et de Tzur Hadassah et directement adjacent à la Ligne verte qui définit la frontière entre la Cisjordanie occupée et Israël, Wadi Fuqin se bat depuis la création de l’État d’Israël pour préserver ses moyens de subsistance et sa présence sur les terres du village, connues autrefois comme le « panier alimentaire » de la région de Bethléem.
« Nous sommes entourés par toutes ces colonies et nous sommes coincés au milieu, avec une seule route pour en sortir », a expliqué à Middle East Eye Nadia Manasra, une matriarche de la famille. « C’est comme une prison. »
« Aucun de mes droits humains n’est respecté, la plupart des terres de la vallée sont confisquées ou menacées de confiscation et nous ne savons pas quel sera notre sort ici », a déclaré à MEE Mohammad Moussa Manasra, le mari de Nadia.
« Mais malgré tout, nous essayons de nous adapter à notre situation. »
Une importance économique et symbolique
En 1948, suite à la création de l’État d’Israël, les habitants de Wadi Fuqin ont été chassés de leur village par les forces israéliennes et ont fui vers le camp de réfugiés de Dheisheh, juste au sud de la ville de Bethléem.
Les autorités israéliennes ont autorisé les Palestiniens de Wadi Fuqin à cultiver leurs terres pendant la journée, mais leur ont interdit de vivre dans le village.
Mohammad Manasra, également connu sous le nom d’Abou Nader, est né en 1950 dans une grotte de la région de Wadi Fuqin, où ses parents vivaient au mépris des ordres israéliens.
En 1972, Israël a finalement permis aux Palestiniens de retourner vivre dans le village, officiellement en raison d’un manque de place à Dheisheh.
Les Manasra ont donné naissance à leur fille cette année-là, le premier enfant à être officiellement né dans le village après plus de vingt ans, a expliqué avec fierté le couple de personnes âgées.
À Wadi Fuqin, comme ailleurs dans le territoire palestinien occupé, les oliviers revêtent une importance économique en tant que ressource agricole majeure, mais aussi en tant que symbole de la résilience palestinienne – les arbres sont soigneusement entretenus par les habitants de Wadi Fuqin depuis des années et l’ont même été lorsqu’ils avaient l’interdiction de vivre dans la région.
Les oliviers peuvent mettre jusqu’à vingt ans pour être adultes et porter leurs fruits ; de nombreux arbres dans le territoire palestinien et en Israël ont plusieurs centaines d’années, certains sont même millénaires.
« Les Palestiniens ont ce lien avec les oliviers parce qu’ils en ont hérité de leurs familles », a déclaré Muhanad Qaisi, qui dirige l’Olive Tree Campaign, une campagne qui vise à sensibiliser l’opinion internationale et à venir en aide aux agriculteurs palestiniens dans la zone C – qui correspond aux 60 % de la Cisjordanie sous le contrôle militaire complet d’Israël.
« Dans le cadre du conflit [israélo-palestinien], les Palestiniens essaient de préserver les oliviers car ils constituent notre souvenir, notre patrimoine et notre histoire. Chaque fois que des arbres sont déracinés ou détruits, des souvenirs, un patrimoine et une histoire sont démolis. »
Les villages palestiniens de la zone C, comme Wadi Fuqin, ont vu leurs terres agricoles progressivement confisquées par les autorités israéliennes au fil des cinquante années d’occupation de la Cisjordanie, que ce soit à travers la construction de colonies et du mur de séparation israélien, illégaux, ou à travers la proclamation de « terres d’État » israéliennes et de « zones militaires fermées ».
« Les Palestiniens essaient de préserver les oliviers car ils constituent notre souvenir, notre patrimoine et notre histoire. Chaque fois que des arbres sont déracinés ou détruits, des souvenirs, un patrimoine et une histoire sont démolis »
– Muhanad Qaisi, directeur de l’Olive Tree Campaign
Selon Abou Nader, les terres qui appartenaient aux habitants de Wadi Fuqin avant la création d’Israël s’étendaient sur 12 000 dounams (1 200 hectares). Aujourd’hui, d’après l’Institut de recherche appliquée de Jérusalem (ARIJ), Wadi Fuqin couvre seulement 3 262 dounams (326,2 hectares).
Selon les Nations unies, quelque 326 400 dounams (32 640 hectares) de terres arables sont actuellement interdits aux Palestiniens dans le territoire palestinien occupé, ce qui a des répercussions profondes sur la production agricole et sur l’économie palestinienne à plus grande échelle.
Selon Muhanad Qaisi, l’expansion continue des colonies de peuplement israéliennes sur les collines entourant Wadi Fuqin a provoqué l’assèchement d’une vingtaine de puits qui approvisionnaient le village en eau. Les colonies déversent également dans la vallée où les cultures palestiniennes sont exploitées des décombres produites par les constructions, ensevelissant partiellement de nombreux oliviers de la région.
« Maintenant, les colonies sont au sommet de la colline », a déclaré à MEE Nour Abou Kamal, petit-fils des Manasra, en montrant les bâtiments blancs en cours de construction et les grues surplombant la vallée.
« Mais personne ne sait à quel point ils se seront rapprochés de nous l’année prochaine, ni jusqu’où ils iront dans la vallée. »
Des oliviers déracinés
Les colons de Beitar Illit et de Tzur Hadassah ciblent régulièrement les habitants de Wadi Fuqin, qui ont rapporté à MEE de nombreux cas de harcèlement par des colons, souvent sous protection militaire israélienne.
D’après les villageois palestiniens, certains colons coupent ou déracinent des oliviers, endommagent des tuyaux d’irrigation et des serres, volent des ânes, empoisonnent des chiens ou se baignent même nus dans des piscines naturelles de la région devant des familles palestiniennes.
Selon un rapport publié en 2013 par Visualizing Palestine, les autorités israéliennes ont déraciné plus de 800 000 oliviers depuis 1967, soit l’équivalent de 33 fois la superficie de Central Park.
Dans le même temps, selon l’ONG de défense des droits de l’homme Yesh Din, les enquêtes israéliennes sur les actes de vandalisme perpétrés par des colons contre les oliviers ne donnent presque jamais lieu à des inculpations.
Selon Abou Nader, les colons israéliens s’en prennent à l’agriculture de Wadi Fuqin – dont ses oliviers – « parce qu’ils veulent que [les Palestiniens] partent ».
« Malheureusement, ils ne nous considèrent pas comme des êtres humains », a-t-il déploré.
« Le gouvernement israélien nourrit la haine des Palestiniens auprès de ses citoyens jusqu’à ce qu’ils croient que tous les Arabes sont pareils, que tous les Palestiniens sont dangereux. Cette mentalité conditionne les Israéliens à ne pas avoir de problème avec la discrimination et le génocide infligés au peuple palestinien. »
« Les Israéliens ont commis une erreur en nous laissant revenir dans les années 1970, parce qu’ils nous ont rendu nos droits »
– Nadia Manasra
Des organisations comme celle de Muhanad Qaisi recrutent activement des étrangers pour participer aux récoltes d’olives à travers la Cisjordanie afin de dissuader la violence israélienne ; Qaisi a en effet expliqué que les soldats et les colons israéliens étaient moins enclins à employer la force contre les Palestiniens devant des témoins internationaux afin de ne pas ternir l’image d’Israël à l’étranger.
Néanmoins, malgré la pression causée par les politiques gouvernementales israéliennes et la violence des colons, les habitants de Wadi Fuqin sont déterminés à rester sur leurs terres.
« Les Israéliens ont commis une erreur en nous laissant revenir dans les années 1970, parce qu’ils nous ont rendu nos droits », a constaté ironiquement Nadia Manasra.
« Maintenant, nous sommes là et nous n’irons nulle part. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].