Trump donne à l’Iran une occasion en or de mobiliser le monde islamique contre Washington
L’annonce faite par le président américain Donald Trump de la reconnaissance de Jérusalem, le troisième site le plus sacré de l’islam, en tant que capitale d’Israël a déclenché une condamnation mondiale ainsi qu’une vague d’indignation en Palestine et dans de nombreux pays musulmans.
Dans ce contexte, la réponse de l’Iran présente un intérêt particulier, étant donné qu’il s’agit de l’État le plus radicalement anti-américain et anti-israélien de la région, que celui-ci est régi par l’islam, élément inséparable de la structure politique du pays, et que ce pays exerce une influence considérable dans la région.
Une opportunité à saisir
L’initiative de Trump est survenue à un moment singulier où l’Arabie saoudite et Israël – les ennemis jurés de l’Iran – ouvraient la voie à des relations mutuelles plus étroites et même ouvertes. La convergence d’intérêts entre les deux pays a abouti à l’émergence d’une alliance informelle et inattendue qui vise à affronter le régime iranien, voire si possible à le renverser.
Les Israéliens, les Saoudiens et Trump s’acharnent à désigner l’Iran comme la source des maux de la région. Il est toutefois intéressant de noter que la décision de Trump sur Jérusalem risque de faire dérailler les efforts déployés par les Saoudiens et les Israéliens pour présenter l’Iran comme le principal problème du Moyen-Orient et mobiliser un soutien en faveur de cette position.
Comme prévu, l’Iran a saisi l’opportunité de ramener la question d’al-Quds (Jérusalem) au sommet des problèmes auxquels le monde islamique est confronté. Un éditorial paru le 11 décembre dans l’hebdomadaire Sobhe Sadeq, l’organe politique des Gardiens de la révolution islamique qui reflète l’opinion de l’État iranien, s’intitulait « La Palestine redevient le problème numéro un du monde islamique ».
La décision de Trump sur Jérusalem risque de faire dérailler les efforts déployés par les Saoudiens et les Israéliens pour présenter l’Iran comme le principal problème du Moyen-Orient
Le long éditorial cite Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah libanais, qui décrit l’initiative américaine comme une seconde déclaration Balfour, en référence à la déclaration publique faite par le gouvernement britannique durant la Première Guerre mondiale qui a entraîné la formation d’Israël en 1948.
L’éditorial laisse entendre que la reconnaissance par les Américains de Jérusalem en tant que capitale d’Israël pourrait enterrer pour de bon tout espoir de former un État palestinien.
L’éditorial affirme que « l’initiative de Trump [...] a été rendue possible par la trahison de la Palestine commise par plusieurs dirigeants des États islamiques ». Faisant explicitement référence aux Saoudiens, l’éditorial soutient qu’« en entretenant des relations secrètes et ouvertes avec le régime sioniste, [ces dirigeants] ont vendu sans vergogne les Palestiniens opprimés aux sionistes ».
L’éditorial conclut que la démarche de Trump « est la preuve que les négociations avec le régime sioniste n’aboutiraient nulle part » et que « les Palestiniens devraient revenir à une intifada et à une lutte djihadiste pour obtenir leur droit d’exister et de vivre ».
Des objectifs politiques
Le gouvernement iranien cherchera sans aucun doute à initier une escalade verbale, en partie en raison de son système de croyances religieuses, mais aussi dans le but de poursuivre trois objectifs politiques.
Le premier est d’asseoir sa position dans le monde islamique en tant que principal soutien gouvernemental des Palestiniens et de l’idée qu’al-Quds leur appartient, et en tant que leader de la confrontation avec les États-Unis et Israël.
Le deuxième objectif consiste à mettre les Saoudiens dans une position défensive embarrassante. Pour affronter l’Iran, l’Arabie saoudite a travaillé dur au cours des dernières années pour se présenter comme le leader et le représentant du monde islamique.
L’Iran défendra verbalement la cause palestinienne, financera les Palestiniens prêts à se battre contre Israël, mais ne s’engagera pas dans un combat contre Israël ou les États-Unis pour la cause palestinienne
Désormais, étant donné que la lutte contre l’Iran constitue leur principale priorité en matière de politique étrangère, les Saoudiens doivent travailler en tandem avec l’administration la plus antimusulmane de l’histoire des États-Unis ainsi qu’avec Israël. À la suite de l’initiative des Américains concernant Jérusalem, cette situation offrira à l’Iran une occasion en or de manœuvrer autour de ces relations et de dépeindre les Saoudiens comme des traîtres au monde islamique.
Le troisième objectif est de mobiliser le monde islamique contre l’administration Trump, qui continue de poursuivre des politiques de plus en plus sévères contre Téhéran.
Le plan prévu
L’efficacité de cette approche dépend de l’intensité des actions et réactions israéliennes et palestiniennes. Le chef du bureau politique du Hamas Ismaël Haniyeh a appelé à une troisième intifada en Cisjordanie et à Jérusalem.
Si un tel soulèvement devait se produire, l’Iran en ressortirait probablement plus fort et le plan saoudo-israélien visant à frapper le gouvernement iranien échouerait. La seconde Intifada a duré cinq ans (2000 – 2005), au cours desquels plus de 3 200 Palestiniens et 800 Israéliens ont été tués selon les estimations.
Si la crise actuelle ne se poursuit pas, la question de la Palestine ne préoccupera pas les dirigeants arabes. Par conséquent, en l’absence de l’émergence d’un mouvement en Palestine, les plans de l’Iran seront éphémères.
Toutefois, l’Iran pourrait cibler les intérêts américains dans la région, étant donné que l’on compterait 2 000 soldats américains en Syrie et 5 000 en Irak.
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Le Harakat Hezbollah al-Nujaba, une milice de premier plan soutenue par l’Iran qui a joué un rôle important dans l’éradication du groupe État islamique en tant qu’organisation en Irak, a averti le 7 décembre que la décision de Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël pouvait devenir une « raison légitime » pour attaquer les forces américaines en Irak.
D’aucuns peuvent prétendre que l’Iran pourrait utiliser ses intermédiaires pour livrer une guerre asymétrique contre les forces américaines, comme ce fut le cas lorsque les Américains ont maintenu une présence militaire importante en Irak. Ce scénario est improbable.
La présence des forces américaines et leur installation en Irak à la suite de l’invasion américaine constituaient une menace militaire sérieuse pour le gouvernement iranien dans son arrière-cour. Dans le même temps, la majorité chiite irakienne avait pour la première fois l’opportunité de s’emparer du pouvoir.
L’Iran ne pouvait pas laisser passer cette occasion, car il pouvait alors intensifier sa profondeur stratégique dans la région pour couvrir un croissant comprenant l’Irak, la Syrie et le Liban. Cette stratégie était-elle simplement de nature sectaire, comme de nombreux experts ont tenté de l’expliquer ? Non.
L’Iran chiite a apporté son soutien à des groupes « sunnites » palestiniens tels que le Hamas et le Djihad islamique – et continue de le faire. La stratégie iranienne doit être expliquée dans le contexte de la realpolitik plutôt que dans celui de la religion ou des valeurs sectaires.
Les limites du soutien à la Palestine
Le gouvernement iranien n’entrerait pas en guerre pour des raisons idéologiques. Cela vaut particulièrement pour une guerre avec les États-Unis. L’Iran a pris la décision de ne pas combattre les États-Unis. Les événements de 1982 au Liban en sont un exemple flagrant.
Cette année-là, en juin, Israël a lancé une attaque massive contre le Liban qui a entraîné la mort de plusieurs milliers de personnes. Le fait le plus déchirant s’est produit en septembre, lorsque l’ancien ministre israélien de la Défense, Ariel Sharon, a autorisé des miliciens chrétiens maronites à massacrer plus de 800 civils palestiniens dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila. L’objectif déclaré d’Israël était de forcer l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à quitter le Liban.
Occupé par une guerre contre l’Irak, l’Iran a été plongé dans la ferveur révolutionnaire, en particulier les jeunes. Un groupe de volontaires des Gardiens de la révolution islamique a été déployé en Syrie pour participer à la guerre contre Israël.
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Ali Sayad Shirazi, alors commandant des forces terrestres iraniennes, affirme dans ses mémoires : « Le 26 juin 1981, nous avons rencontré l’imam [Khomeini, le chef de la révolution iranienne] pour rapporter ce que nous avions fait [au Liban]. […] [Il] a écouté nos rapports et, tout à coup, nous a annoncé : "Si les troupes que vous avez déployées là-bas versent la moindre goutte de sang, je n’en serai pas responsable. Dites-leur de revenir tout de suite." […] Nous étions stupéfaits. »
L’Iran défendra verbalement la cause palestinienne, financera les Palestiniens prêts à se battre contre Israël, mais ne s’engagera pas dans un combat contre Israël ou les États-Unis pour la cause palestinienne.
En outre, le gouvernement iranien n’a pas oublié que pendant la guerre contre l’Irak, l’OLP a soutenu le dictateur irakien Saddam Hussein et qu’au cours de la guerre en Syrie, même le Hamas, qui était pourtant son allié, lui a tourné le dos et soutenu le renversement de son collaborateur, Bachar al-Assad.
- Shahir Shahidsaless est un analyste politique et journaliste indépendant irano-canadien qui écrit sur les affaires intérieures et étrangères de l’Iran, le Moyen-Orient et la politique étrangère américaine dans la région. Il est coauteur de l’ouvrage Iran and the United States: An Insider’s View on the Failed Past and the Road to Peace. Il contribue à plusieurs sites consacrés au Moyen-Orient ainsi qu’au Huffington Post. Il écrit également de façon régulière pour BBC Persian. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @SShahidsaless.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : un portrait du président américain Donald Trump est brûlé au cours d’une manifestation organisée le 11 décembre 2017 dans la capitale iranienne, Téhéran, pour dénoncer sa déclaration de reconnaissance de Jérusalem en tant que capitale d’Israël (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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