Comment les Émirats arabes unis ont remis Aden entre les mains des milices
Le 21 janvier, le Conseil de transition du Sud (CTS) à Aden a annoncé des mesures d’escalade contre le gouvernement du Yémen, basé dans la ville depuis plus de deux ans.
Aïdarous al-Zoubaïdi, chef du CTS, a donné au gouvernement yéménite une semaine pour démissionner et a rejeté l’initiative du Premier ministre Ahmed Obaid ben Dagher qui souhaitait organiser des sessions parlementaires à Aden. Ben Dagher avait annoncé quelques jours plus tôt que le parlement se réunirait à Aden pour approuver le dernier budget en date, le premier du gouvernement depuis 2015.
Le partage d’Aden
Le ton et les termes de l’ultimatum du CTS se rapprochaient de l’annonce faite par les rebelles houthis en août 2014 avant leur coup d’État contre le gouvernement yéménite. À l’époque, les Houthis avaient donné au gouvernement une semaine pour démissionner, l’accusant de corruption, avant d’attaquer la capitale Sanaa et d’assigner le gouvernement et le président à résidence.
À Aden, les tensions s’intensifiaient entre les deux camps, déclenchant des affrontements dimanche dernier. Au cours des deux dernières années, les deux camps se sont partagé le contrôle de la ville ; néanmoins, la Ceinture de sécurité du CTS (la force du CTS à Aden, composée de vingt brigades) avait plus de districts sous son contrôle, plus de bases militaires et de meilleures armes que les forces fidèles au président Abdrabbo Mansour Hadi.
Des sources du Mouvement – séparatiste – du Sud, du bureau du Premier ministre et du CTS ont dressé pour Middle East Eye un tableau des événements de ces derniers jours.
Le ton et les termes de l’ultimatum du CTS se rapprochaient de l’annonce faite par les rebelles houthis en août 2014 avant leur coup d’État contre le gouvernement yéménite
Selon ces sources, Mohammed al-Zoubaïdi, le frère d’Aïdarous, a mobilisé les forces du CTS aux entrées de la ville, ce qui leur a permis de prendre rapidement le contrôle de routes entre Abyan et Aden.
Mahran al-Qubati, officier militaire de haut rang fidèle au président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi et chef de la quatrième brigade de protection présidentielle, a déclaré avoir reçu des ordres clairs et directs de la part du président, qui lui a demandé d’empêcher le CTS de prendre le contrôle de nouvelles zones ou de nouvelles bases militaires et d’employer la force si nécessaire.
La quatrième brigade de protection présidentielle, basée dans le quartier de Dar Saad, était l’une des principales cibles du CTS.
Lundi soir, après 48 heures de combats, les forces du CTS s’étaient retirées de Dar Saad. Les quartiers de Cheikh Othman, Mansoura, Mualla, Buraiqah et al-Shaab sont restés relativement calmes, les deux camps ayant tenu leurs positions.
Les approvisionnements émiratis en armes
Dans le même temps, les forces de Hadi ont pris le contrôle d’un camp militaire à al-Arish qui était détenu par le CTS, tandis que de violents affrontements ont éclaté entre la troisième brigade de protection présidentielle et les forces du CTS à Khormaksar, où se trouve l’aéroport.
D’autres affrontements dans la montagne Jebel Hadid ont entraîné la mort d’Abdulmajeed Shae’e, le frère de Shalal Shae’e, chef de la Ceinture de sécurité du CTS et commandant des forces de sécurité d’Aden.
La coalition dirigée par l’Arabie saoudite a annoncé tard ce lundi un cessez-le-feu qui n’a duré que quelques heures avant la reprise des affrontements. Des membres de la quatrième brigade de protection présidentielle ont déclaré à Middle East Eye que les forces émiraties avaient fourni au CTS des chars blindés lourds qui ont été utilisés pour prendre d’assaut la base de la quatrième brigade de protection présidentielle à Dar Saad.
Lors des combats, des avions émiratis ont ouvert le feu sur les forces du président, ce qui a donné au CTS l’occasion d’attaquer la base. Le bureau du Premier ministre a confirmé que toutes les bases des forces présidentielles, excepté la base située près du palais présidentiel, étaient tombées lundi soir face aux forces du CTS après le prétendu cessez-le-feu, avec l’aide directe des forces émiraties à Aden.
Des prisonniers en attente
Mardi soir, les membres du cabinet étaient rassemblés au palais présidentiel, ont rapporté des sources à Middle East Eye. « Nous sommes comme des prisonniers qui attendent que les Émiratis prennent leur décision », ont-ils déclaré.
Les forces gouvernementales ont été confinées à deux zones de la ville alors que le Premier ministre attend des nouvelles de Riyad. Si ben Dagher a démenti les informations selon lesquelles il s’était évadé à Riyad, il était néanmoins clair qu’il ne pouvait pas sortir du palais présidentiel par crainte d’être pris pour cible par les forces du CTS.
« Tout le monde, y compris Hadi, a gardé le silence tandis que ces milices exploitaient le vide sécuritaire à Aden »
– Fahmi al-Sakkaf, membre du Mouvement du Sud
Qubati, qui a été évacué de la base de la quatrième brigade de protection présidentielle immédiatement après que celle-ci a été touchée par les forces aériennes émiraties, a déclaré que le CTS avait selon lui pour mission de l’assassiner, tout comme les autres chefs militaires fidèles à Hadi et au gouvernement légitime.
Fahmi al-Sakkaf, un membre du Mouvement du Sud depuis sa création en 2007 qui n’est toutefois pas membre du CTS, a déclaré que la responsabilité incombait en premier lieu à la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et à Hadi.
Les Émirats arabes unis ont financé et soutenu la création de forces armées qui ne sont subordonnées à personne, a-t-il expliqué, remettant ainsi Aden entre les mains de milices. Tout le monde, y compris Hadi, a gardé le silence tandis que ces milices exploitaient le vide sécuritaire à Aden, a affirmé Sakkaf.
Les sources du CTS ont déclaré dans le même temps à Middle East Eye que celui-ci demeurait un allié solide de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite qui combat les Houthis, soulignant que son offensive à Aden était une réponse à l’usage de la force et à la corruption présumée dont le gouvernement yéménite se rendait coupable.
Et maintenant ?
À la lumière des événements survenus dernièrement à Aden, une solution politique au conflit yéménite semble tout sauf proche. Alors que les forces fidèles au gouvernement continuent de se mobiliser contre les Houthis à Taïz, dans le centre du Yémen, et dans les provinces d’al-Jawf et de Sa’dah dans le nord, celles-ci seront désormais préparées à une possible seconde manche contre le CTS dans le sud.
La coalition dirigée par l’Arabie saoudite est de plus en plus dirigée par les Émirats arabes unis. Les Émiratis construisent des alliances, soutiennent différents groupes et sont actifs sur le terrain alors que l’Arabie saoudite semble être à l’arrière-plan pour le moment.
Les Émirats arabes unis tentent de reconstruire les forces de Tarek Saleh pour affronter les Houthis dans le nord
Outre le CTS, les Émirats arabes unis ont trouvé un nouvel allié dans le nord qui n’est autre que Tarek Mohammed Saleh, neveu de l’ancien président. Tarek, qui a dirigé par le passé les forces spéciales sous le règne de son oncle, cherche désormais refuge dans le sud sous la protection des Émiratis.
Les Émirats arabes unis tentent de reconstruire les forces de Tarek Saleh pour affronter les Houthis dans le nord.
Il est fort probable que le CTS recherchera une alliance avec Tarek Saleh, qui sera soutenu par les Émiratis. Interviewé par France 24, Aïdarous al-Zoubaïdi a déclaré ce lundi qu’il était impatient d’aider Saleh dans son combat contre les Houthis dans le nord.
Alors que le gouvernement est toujours fortement dépendant du soutien saoudien, les événements récents survenus à Aden montrent clairement – pour la première fois depuis le début de la guerre menée par l’Arabie saoudite au Yémen – que l’Arabie saoudite pourrait ne pas être le puissant allié sur lequel le gouvernement comptait autrefois.
Pendant ce temps, les Houthis n’ont toujours pas de véritables alliés après avoir tué l’ancien président Ali Abdallah Saleh en décembre. Néanmoins, ils comptent sur de nouvelles divisions dans le camp adverse qui pourraient finalement contribuer à soulager la pression qu’ils subissent.
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Photo : un séparatiste du sud du Yémen debout sur un char agite le drapeau de l’ancien Yémen du Sud, dans la ville portuaire d’Aden (Yémen), le 30 janvier 2018 (Reuters).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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