Undocumented : la série dramatique syrienne qui permet au public de choisir son scénario
Undocumented, une mini-série dramatique spécifiquement conçue pour les réseaux sociaux et Internet, retrace avec optimisme les défis auxquels sont confrontés des Syriens tentant de prendre un nouveau départ dans la vie au cours de la guerre civile.
Si de nombreux talk-shows ou comédies arabes et syriens sont produits pour le web, Undocumented est l’une des premières séries dramatiques interactives en ligne.
Filmée en l’espace de quelques mois, la série se compose de 29 courts épisodes d’une durée de deux à cinq minutes chacun.
« Des interprétations de qualité et convaincantes peuvent livrer un message très rapidement », a déclaré à Middle East Eye le réalisateur, auteur et acteur syrien Rafi Wahbi.
« Des interprétations de qualité et convaincantes peuvent livrer un message très rapidement »
– Rafi Wahbi, réalisateur, auteur et acteur
Les spectateurs peuvent laisser derrière eux les limites logistiques du monde des écrans de télévision et regarder la série sur leur smartphone, leur ordinateur portable et leur tablette. Une connexion Internet stable est la seule condition préalable pour pouvoir la visionner à tout moment.
Écrit par Wahbi, avec la contribution de l’auteur libanais Bassem Breish et du réalisateur Amin Dora, lui aussi libanais, le projet a été produit en collaboration avec la société de production libanaise Spring Entertainment et réalisé par Dora.
Des héros à visage humain
La série raconte trois histoires indépendantes avec des personnages différents comme principaux protagonistes. Les personnages principaux se retrouvent au dénouement, où leurs vies sont apparemment liées. Les spectateurs ont la liberté de choisir quel personnage suivre et dans quel ordre.
Dans l’une des histoires, Wafik, un officier de police fidèle à ses principes et incarné par Wahbi, refuse d’obéir à des responsables de haut rang qui lui ont ordonné de falsifier des documents officiels, avec des conséquences terribles. Pour lui donner une leçon, ils ciblent son unique fils.
La deuxième histoire porte sur un jeune homme nommé Karim, joué par l’acteur syrien Yanal Mansour, qui est invité à devenir un informateur lorsqu’il est arrêté en raison de sa relation avec un activiste politique, ce qui le contraint à fuir.
Les spectateurs ont la liberté de choisir quel personnage suivre et dans quel ordre
Dans la troisième histoire, une ingénieure originaire de Deraa se fait licencier de son travail pour avoir enquêté sur la désertification des terres dans sa ville, après avoir découvert que des hommes puissants, dont son oncle, coupent l’approvisionnement en eau de paysans pauvres.
En choisissant des héros très « humains » pour chacune des trois histoires, Wahbi a évité de se laisser entraîner dans une politique partisane ou dans des affiliations à des groupes politiques particuliers.
Un genre politisé
Depuis son lancement sur YouTube et sur Facebook en décembre, la série a gagné en popularité et a été encensée par la critique. Undocumented comporte des sous-titres en anglais et, selon Wahbi, pourrait bientôt être disponible dans d’autres langues.
Avant 2011, la Syrie était connue pour être l’un des principaux centres de production de drames télévisés dans le monde arabe, avec des séries populaires regardées par des millions de téléspectateurs du Liban au Golfe.
Wahbi travaille dans l’industrie de la télévision et du cinéma depuis vingt ans. Mais lorsque la guerre civile syrienne a éclaté en 2011, l’industrie a été rongée par les divisions.
« Chaque fois que j’écrivais un scénario, j’étais attaqué des deux côtés, par le régime et par l’opposition »
– Rafi Wahbi, réalisateur, auteur et acteur
« Chaque fois que j’écrivais un scénario, j’étais attaqué des deux côtés, par le régime et par l’opposition », affirme-t-il.
Lorsque les leaders du divertissement du Golfe ont cessé d’acheter les drames syriens parce que leurs gouvernements avaient rompu leurs liens avec le président Bachar al-Assad, les maisons de production syriennes ont perdu leurs plus gros clients, ce qui a ainsi transformé un moyen de subsistance autrefois stable en un secteur à peine viable et frappé par d’énormes pertes.
Selon Rafi Wahbi, le drame syrien est devenu un nouveau canal permettant aux rivaux politiques de faire passer en force leurs opinions dans les programmes télévisés ; il est alors devenu très difficile de produire du contenu et d’obtenir des financements pour des projets. Par conséquent, il s’est produit un exode d’auteurs, d’acteurs et de producteurs cherchant à travailler dans des pays plus sûrs, comme le Liban. Wahbi a ainsi décidé de mettre son travail en ligne.
Selon lui, les membres de l’industrie qui sont restés en Syrie sont soumis à la censure et suivent principalement la ligne officielle du gouvernement.
« J’ai un temps envisagé de me mettre en quête d’une toute nouvelle carrière en raison de la guerre en Syrie. Il m’est devenu très difficile de garder mon équilibre dans cet environnement », a déclaré le réalisateur de 44 ans, star du drame syrien.
Rafi Wahbi a quitté la Syrie pour Beyrouth au début de l’année 2014 avant de déménager finalement à Madrid.
« Ils veulent seulement vendre de la fiction qui leur rapportera plus d’argent et attirera un public plus large »
– Rafi Wahbi, réalisateur, auteur et acteur
Il a commencé à expérimenter le format numérique il y a deux ans avec une série intitulée We’ll Be Right Back. En plus d’avoir écrit le scénario, Wahbi a joué dans le projet, produit par MBC TV et adapté du film italien Stanno tutti bene (Ils vont tous bien !). Selon les critiques, la série, qui abordait la vie quotidienne dans la société arabe moderne, a réussi à attirer de nombreux téléspectateurs de tout le monde arabe.
Même si le programme de 33 épisodes était principalement produit pour la télévision, celui-ci était également accessible sur le site web de MBC TV et sur sa chaîne YouTube.
Un défi « spécial » pour les acteurs
Yanal Mansour, un jeune acteur enthousiaste de 29 ans, s’est dit ravi de son rôle dans Undocumented.
Au cours des trois dernières années, Mansour, qui vit à Damas, n’a accepté aucun rôle dans des drames syriens.
« J’avais le sentiment que le drame syrien qui était disponible n’était pas d’un niveau de sérieux acceptable vis-à-vis des événements tragiques qui se déroulaient dans le pays, alors j’ai arrêté de travailler »
– Yanal Mansour, acteur
« J’avais le sentiment que le drame syrien qui était disponible n’était pas d’un niveau de sérieux acceptable vis-à-vis des événements tragiques qui se déroulaient dans le pays, alors j’ai arrêté de travailler », explique Mansour par téléphone à MEE.
Yanal Mansour a étudié l’art dramatique à l’Institut supérieur des arts dramatiques de Damas, dont il a été diplômé en 2012. Il a participé à plusieurs projets à la télévision, au cinéma et sur scène.
Mansour est parti quelque temps au Liban, où il a travaillé comme formateur en art dramatique pour les enfants réfugiés.
« J’ai senti que c’était la meilleure façon dont je pouvais aider, transmettre mes compétences d’acteur à ces enfants ; ce fut une expérience agréable à la fois pour moi et pour eux. »
Lorsqu’il se trouvait au Liban, il a entendu parler d’Undocumented par le biais d’amis travaillant dans les médias et s’est rendu sans hésiter à l’audition.
Le résultat a dépassé ses attentes.
« J’ai ressenti tant de respect et de reconnaissance pour mon travail et j’ai acquis de l’expérience auprès de tout le monde sur le plateau », raconte-t-il.
« L’histoire en elle-même et la production en général représentaient exactement ce que je recherchais depuis que j’avais arrêté de travailler », ajoute Mansour. « Ce travail correspondait parfaitement à mes convictions quant à l’art dramatique et à ce qu’il devrait être. »
Reem Salameh, l’ingénieure, est interprétée par Abeer Hariri, une actrice, chanteuse et cinéaste syrienne de 30 ans, diplômée en littérature anglaise à l’université de Damas et en art dramatique à l’Institut supérieur des arts dramatiques. Lorsqu’elle a lu le scénario, elle savait qu’elle avait trouvé quelque chose qui valait la peine.
« Dès que j’ai lu le scénario, je savais que le projet était très spécial et authentique »
– Abeer Hariri, actrice, chanteuse et cinéaste
« Dès que j’ai lu le scénario, je savais que le projet était très spécial et authentique », a confié Hariri depuis Le Caire, où elle étudie actuellement le chant à l’Académie des arts.
« J’ai commencé ma carrière à l’âge de 17 ans et depuis, j’ai participé à plusieurs pièces de théâtre, séries télévisées et films en Syrie, au Liban, en Égypte et dans d’autres pays de la région MENA [Moyen-Orient/Afrique du Nord]», explique-t-elle.
Dans le rôle de Reem, Hariri a décrit une expérience remarquable, soulignant toutefois les défis qu’elle a dû surmonter.
« Cela a fait ressortir le meilleur de moi-même, en tant que Syrienne et en tant qu’actrice. Jouer ce personnage représentait un défi parce que la performance devait être sincère, en particulier dans la mesure où l’histoire aborde un sujet très sensible et chargé émotionnellement », indique-t-elle.
Le reflet de la réalité
Rafi Wahbi croit en l’importance du développement de projets qui portent la réalité de la tragédie syrienne à l’attention des spectateurs arabes et des Syriens en particulier.
« Le drame est un outil très important pour refléter la situation réelle sur le terrain »
– Rafi Wahbi, réalisateur, auteur et acteur
« Cela peut présenter aux spectateurs un scénario réaliste rejeté par de nombreux producteurs, lesquels veulent tous un drame superficiel qui embellit une réalité difficile. Pour l’essentiel, ils veulent seulement vendre de la fiction qui leur rapportera plus d’argent et attirera un public plus large. »
« Le drame est un outil très important pour refléter la situation réelle sur le terrain », ajoute-t-il.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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