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Des danseurs syriens explorent des mouvements d’un nouveau genre à Berlin

Trois danseurs syriens réfugiés en Allemagne utilisent la danse pour montrer les défis – et les possibilités – que présente l’intégration culturelle
Moufak Aldoabl, Medhat Aldaabal et Amr Karkout, trois danseurs syriens qui se produisent à Berlin après avoir fui la guerre en Syrie (avec l’aimable autorisation de Bernhard Musil)

La danse est ce qu’ils savent faire de mieux. Ces trois artistes originaires de Damas proposent en Allemagne des spectacles bruts et puissants à travers lesquels ils contribuent à montrer la diversité humaine qui caractérise la riche culture de leur patrie, plutôt que d’illustrer les images de guerre et de réfugiés relayées par les médias. 

Les danseurs syriens partagent leurs histoires individuelles à travers un spectacle de danse intitulé Come As You Are (avec l’aimable autorisation de Bernhard Musil)

« Je me produisais à Berlin et quelqu’un m’a demandé ce que cela me faisait d’être un danseur originaire de Syrie », explique Amr Karkout, un danseur de 33 ans. « J’ai répondu que cela me semblait tout à fait normal parce qu’il y a plus de 100 danseurs syriens. Ce n’est pas comme si nous vivions dans des tentes au beau milieu du désert. » 

« Je me produisais à Berlin et quelqu’un m’a demandé ce que cela me faisait d’être un danseur originaire de Syrie. J’ai répondu que cela me semblait tout à fait normal parce qu’il y a plus de 100 danseurs syriens »

– Amr Karkout, danseur syrien

« Nous avons aussi des universités et différents styles de danse. Bien sûr, c’est différent de Berlin, mais c’est aussi de la danse. Cela peut aider à briser le stéréotype sur les immigrés ou les réfugiés du Moyen-Orient », a-t-il ajouté.

Les trois amis – Karkout, Medhat Aldaabal et Moufak Aldoabl – étaient collègues en Syrie. Ils pratiquaient principalement le ballet dans leur pays avant de fuir la guerre, qui a fait près d’un demi-million de morts dans le pays. Ils se sont réunis à Berlin au cours des dernières années. 

Ces derniers mois, le trio est monté sur les scènes de théâtres allemands de premier plan pour révéler les difficultés qu’ils ont rencontrées en tentant de s’adapter à la vie de réfugiés dans la capitale, Berlin.

« La scène est comme une plate-forme où l’on peut tout simplement exprimer qui l’on est et ce que l’on ressent », a déclaré Karkout à Middle East Eye.

Après une série de représentations couronnées de succès à Berlin et à Leipzig, dans l’est du pays, au cours des trois derniers mois, leur retour sur scène est prévu début décembre dans la capitale.

« Tout cela s’est inscrit dans notre processus mental d’intégration, ajoute Aldaabal. Pouvoir présenter librement ce qui est en nous, avoir cette opportunité de dire tout ce que l’on veut en dansant, c’est magique. » 

Un partage d’émotions sur scène

En août, le trio a présenté son premier spectacle au théâtre DOCK 11, l’un des théâtres de danse les plus populaires de la capitale, situé dans le quartier branché de Prenzlauer Berg ; dans ce spectacle, les danseurs ont souhaité partager leur expérience avec le public.

Le spectacle du trio révèle également les défis auxquels ils sont confrontés à Berlin – de la barrière de la langue aux efforts pour s’intégrer dans une ville qui ne semble pas toujours accueillante (capture d’écran)

Les artistes ont intégré des monologues dans leur chorégraphie – des récits personnels, ouverts et émouvants expliquant qui ils sont, ce qu’ils ont vécu et leurs espoirs pour l’avenir.

« Pouvoir présenter librement ce qui est en nous, avoir cette opportunité de dire tout ce que l’on veut en dansant, c’est magique » 

– Moufak Aldoabl, danseur syrien

Le public apprend qu’Amr Karkout, qui a pourtant enseigné à l’Institut supérieur d’art dramatique de Damas, n’était pas pris au sérieux en tant que danseur par sa famille, qui voulait plutôt le voir poursuive une carrière plus « respectable », comme par exemple dans le domaine du droit.

« Un organisme peut s’adapter à un nouvel endroit, autant qu’un organisme peut survivre à des conditions extrêmes », explique-t-il. 

« J’ai l’impression d’avoir des pierres sur tout mon corps. Je m’emploie à m’en délester », ajoute-t-il avant de se lancer dans une séquence solo intense. 

Le spectacle du trio révèle également les défis auxquels ils sont confrontés à Berlin – de la barrière de la langue aux efforts pour s’intégrer dans une ville qui ne semble pas toujours accueillante, ou encore pour trouver un propriétaire disposé à louer à un réfugié.

Medhat Aldaabal, 30 ans, évoque une blessure au genou qu’il a récemment subie en dansant. Il met également en lumière la réalité à laquelle il est confronté.

« Je me suis dit que la danse était une langue universelle [et] que les gens à Berlin allaient me comprendre et m’accepter comme je suis »

– Medhat Aldaabal, danseur syrien

« Je me sens tellement limité dans mon corps. Des limites, des limites et encore des limites : au centre d’emploi, à la Finanzamt (administration fiscale allemande), à la Volkshochschule (école germanophone), alors que mon père est en danger de mort avec le régime d’Assad », confie-t-il. 

« Je me suis dit que la danse était une langue universelle [et] que les gens à Berlin allaient me comprendre et m’accepter comme je suis. »

Il ajoute qu’il apprend à respirer de nouveau et que, comme sa nouvelle ville, qui s’est reconstruite jusqu’à devenir « l’une des meilleures villes » d’Europe, il a juste besoin de plus de temps.

Moufak Aldoabl a principalement étudié le ballet, la danse contemporaine et le jazz en Syrie (avec l’aimable autorisation de Bernhard Musil)

De son côté, Moufak Aldoabl, 24 ans, raconte qu’en Syrie, il a principalement étudié le ballet, la danse contemporaine et le jazz. Maintenant qu’il est à Berlin, il « explore de nouveaux styles, [il apprend] tellement, [il] improvise, [il] observe ».

« Je vis dans un rêve artistique », ajoute-t-il.

« Je vis dans un rêve artistique »

– Moufak Aldoabl, danseur syrien

Pour Aldaabal, le spectacle porte sur le développement de son identité physique. « Lorsque j’ai obtenu mon diplôme, un de mes professeurs de danse m’a dit que si l’on a un petit sentiment qui nous ennuie et nous met mal à l’aise, il nous suffit de l’emmener sur scène et de l’évacuer [en dansant]. D’autres personnes peuvent se sentir mieux après avoir parlé, d’autres font d’autres choses pour se sentir bien ; la danse est notre moyen. »

Come As You Are

La production, intitulée Come As You Are, a été créée et produite par Nir De Volff, chorégraphe basé à Berlin, du collectif Total Brutal. Au cours des dix dernières années, De Volff a développé une méthode de danse appelée « Use-Abuse », décrite comme une « coordination harmonisée entre le corps et le système émotionnel des danseurs, des acteurs et des interprètes ». Elle vise à proposer une « nouvelle dimension pour les mouvements et l’exploration du corps ».

« Le spectacle en lui-même est un acte politique, pour ceux qui veulent venir et témoigner leur soutien [aux réfugiés] »

– Nir De Volff, chorégraphe 

Au plus fort de la crise des réfugiés à Berlin, en 2015, De Volff s’est rendu compte que la danse pouvait être utilisée pour aider les migrants à faire face au stress émotionnel et physique que leur corps avait pu subir lors de leur périple éprouvant jusqu’en Allemagne.

De Volff a monté un groupe de danse gratuit au studio Eden, associé à DOCK 11. Il n’enseignait aucun type spécifique de chorégraphie, mais dirigeait une variété d’exercices physiques issus de sa méthode « Use-Abuse », dont des techniques de danse accompagnées d’images. 

En septembre de la même année, Aldoabl est arrivé, suivi près de deux ans plus tard par Karkout, qui a rallié la ville en février. Avec les encouragements et les conseils de De Volff, le groupe a monté Come As You Are.

« Le spectacle correspond à la résistance politique et au soutien aux réfugiés et aux immigrés, explique De Volff. Il ne s’immisce pas directement dans la politique, on ne parle pas de politique sur scène, mais le spectacle en lui-même est un acte politique, pour ceux qui veulent venir et témoigner leur soutien. »

Briser les frontières

Comme la plupart des 50 minutes de chorégraphie sont improvisées, le trio explique que le style de danse « Use-Abuse » est complètement différent des « séquences homogènes et pré-chorégraphiées basées sur le ballet » qu’ils avaient connues auparavant.

« Nous avons de nombreux souvenirs de la vie en Syrie, mais le spectacle s’est penché sur ce que nous avons vécu à Berlin une fois que nous sommes arrivés ici, ainsi que sur les différences entre la danse dans notre culture et la danse dans la culture européenne », poursuit Karkout.

« Le fait de me rendre compte qu’il y a des gens qui ont traversé les cultures et qui partagent leurs difficultés et leurs émotions avec nous sur scène a suscité en moi beaucoup de respect et d’humilité »

– Florian Hoffmeier, spectateur 

Le pouvoir d’une telle ouverture trouve un écho au sein du public. Le trio devrait se produire trois fois au Dock 11 à partir du 5 décembre.

« Ils ont changé leur vie et leur façon de vivre », a déclaré à MEE Florian Hoffmeier, un interne en psychiatrie qui a assisté à l’une des représentations. « Le fait de me rendre compte qu’il y a des gens qui ont traversé les cultures et qui partagent leurs difficultés et leurs émotions avec nous sur scène a suscité en moi beaucoup de respect et d’humilité. »

Nir De Volff explique que l’idée de Come As You Are vise à inciter les gens à ne pas voir ceux qui entrent ici comme une pancarte médiatique, mais à apprendre à les connaître en tant que personnes.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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