Silwan, une communauté palestinienne dévastée par la recherche israélienne d’une « cité perdue »
Manal et Mohammed se tiennent devant la porte de leur maison à Silwan, montrant les fissures béantes qui lézardent les murs. Leur maison a plusieurs décennies, comme beaucoup dans ce quartier palestinien situé au sud de la vieille ville de Jérusalem – mais les fissures sont une nouveauté.
« Ils travaillent de 7 h à 21 h tous les jours. Personne ne nous a jamais mis en garde contre ces fouilles »
- Mohammed, habitant de Silwan
Elles ont commencé à apparaître lorsqu’Israël a commencé à creuser des tunnels sous les rues pour créer une nouvelle attraction touristique et trouver des preuves de l’existence de la « Cité de David » vieille de trois millénaires. Pour beaucoup de gens, y compris certains Israéliens, ces recherches ne reposent sur aucune preuve, mais elles ont littéralement ébranlé les fondations des personnes vivant au-dessus
Manal et Mohammed vivent dans la zone de Wadi al-Hilweh à Silwan. Ils affirment que leur maison est tout simplement en train de s’effondrer et racontent comment un morceau de mur est tombé sur la tête de leur fils de 3 ans pendant qu’il jouait.
« Quand nous allons chez ses grands-parents, il ne veut pas rentrer à la maison. Il l’appelle la “maison qui s’effondre” », a déclaré Manal.
Mohammed explique que les fouilles et le forage sont presque continus depuis trois ans. « Ils travaillent de 7 h à 21 h tous les jours. Personne ne nous a jamais mis en garde contre ces fouilles. »
De nombreux habitants de ce quartier très soudé accusent directement Israël. Ce dernier développe des sites touristiques et archéologiques dans la zone depuis 1995, ce qui, selon les Palestiniens, est une tentative de trouver des preuves d’une histoire juive qui légitimerait les colonies illégales dans Jérusalem-Est occupée.
L’Autorité des antiquités d’Israël est en train de fouiller des sites à Wadi al-Hilweh, près de la mosquée al-Aqsa et des murs de la vieille ville. Ir David, une fondation de colons israéliens, finance les fouilles, qui sont liées à la « Cité de David », une nouvelle attraction.
Son achèvement, y compris une « voie romaine » construite sur des rues qui ont abrité des générations de Palestiniens, consoliderait la position des 450 colons illégaux vivant actuellement à Silwan et condamnerait les 10 000 Palestiniens qu’ils côtoient à vivre sous haute surveillance.
Tous les habitants auxquels Middle East Eye a parlé ont raconté la même histoire : presque sans exception, les fouilles commencent à 7 h du matin et continuent pendant 14 heures, presque tous les jours, et les résultats ont été catastrophiques pour leurs maisons et leur communauté.
Basem Siam, un autre habitant, a déclaré que les fouilles étaient semblables à un tremblement de terre frappant la région. « Les vitres se brisent, les murs se fissurent, les planchers bougent et s’effondrent. Les fouilles ont débuté il y a dix ans », a indiqué Siam.
« Si ces maisons s’effondrent, la municipalité de Jérusalem ne nous accordera pas de permis pour construire de nouvelles maisons »
- Fuad Mokhtar, habitant de Silwan
Il a ajouté que la plupart des familles de Wadi al-Hilweh avaient été contraintes de quitter leurs maisons à cause de leur effondrement.
Siam a affirmé, comme beaucoup d’autres habitants de la zone, qu’il n’avait d’autre choix que de rester. Où irait-il, et qui prendrait sa place ?
« Si j’allais vivre en Cisjordanie, je risquerais de perdre mon statut de résident à Jérusalem », a-t-il précisé.
Fuad Mokhtar, propriétaire d’un magasin à Wadi al-Hilweh, a montré comment les verres d’eau sur les tables tremblaient en raison de l’intensité des excavations. Sa maison et celle de son voisin « sont suspendues en l’air… Ce n’est qu’une question de temps avant que ces maisons ne s’effondrent ».
Mokhtar a ouvert son magasin après avoir abandonné un emploi dans le bâtiment qui l’obligeait à faire des déplacements et à passer du temps loin de chez lui.
« Je l’ai fait car j’avais peur qu’un jour, en revenant du travail, je trouve des colons occupant ma maison – c’est arrivé à certains de mes voisins. »
Il a ajouté que tout le monde à Wadi al-Hilweh était confronté à la pression des autorités israéliennes pour partir.
« Ils utilisent la politique de la carotte et du bâton. Depuis l’ouverture de la Cité de David, la vie à Wadi al-Hilweh est devenue insupportable. Si ces maisons s’effondrent, la municipalité de Jérusalem ne nous accordera pas de permis pour construire de nouveaux logements. »
Paralysie dans les tribunaux
Peu de temps après le début des fouilles à Wadi al-Hilweh, un groupe de voisins a engagé un avocat et a attaqué l’Autorité des antiquités d’Israël, l’Autorité israélienne pour la nature et les parcs et la Fondation Ir David.
La maison de Khaled al-Zier a été détruite trois fois par Israël pour « construction sans permis », ce qui l’a contraint à déménager avec sa famille dans l’une des grottes voisines. La police israélienne l’a arrêté à plusieurs reprises pour s’être exprimé sur la crise qui frappe Wadi al-Hilweh.
Zier a indiqué que l’avocat était en train de monter un dossier contre les fouilles mais qu’il croyait cependant que les autorités israéliennes retardaient la décision finale pour laisser le temps de les terminer.
Il a dit que lui et ses voisins poursuivaient constamment les avocats et les ingénieurs.
« Certains observateurs de l’ONU sont venus et ont rapporté ce qui nous arrive, mais nous n’avons constaté aucun résultat. »
Sami Khurshid, l’un des avocats des habitants de Silwan, a raconté la même chose : « Les autorités israéliennes refusent de laisser un géomètre pénétrer dans les tunnels et les espaces souterrains pour produire un rapport professionnel à présenter au tribunal », a-t-il indiqué.
Khurshid représente quinze familles qui possèdent huit propriétés. Il a dit qu’en 2017, la municipalité de Jérusalem avait forcé trois familles à partir parce que leurs maisons risquaient de s’effondrer.
« Nous avons demandé à la municipalité de rénover les maisons mais elle a refusé, motivant son refus en affirmant ne pas connaître l’origine des dommages causés aux maisons et ne pas être responsable de leur rénovation. »
Interrogé par MEE, un porte-parole de la municipalité a déclaré que « les allégations selon lesquelles ces structures [avaient] été endommagées par les excavations ou fouilles [étaient] complètement fausses. » Ce dernier a ajouté qu’un bâtiment de la zone avait été condamné en raison d’un dégât des eaux non lié aux excavations, et que les habitants avaient été évacués pour leur sécurité.
« Nationalisme sioniste »
Un guide touristique juif israélien qui a souhaité garder l’anonymat a déclaré que selon lui, la « Cité de David » n’avait aucune importance religieuse pour les juifs.
« Tout ce que vous voyez ici, c’est du nationalisme. Si vous êtes un nationaliste sioniste, cet endroit sera important pour vous. »
Les touristes visitant la « Cité de David » ne verront aucun Palestinien, a déclaré le guide, qui est également archéologue.
« La majeure partie de la visite est souterraine, et son objectif est de donner au touriste un aperçu du pèlerinage juif depuis Birket al-Hamra ou “bassin de Siloé” au sud de Wadi al-Hilweh, où le fidèle se purifiera avant de monter au Mur des Lamentations. »
Les visites se font sous-terre à travers les anciennes canalisations d’eau de Silwan et à 400 mètres de ce qui était autrefois un réseau d’égouts romain.
Au-dessus de ce tunnel, l’Autorité israélienne des antiquités planifie une route imitant une « voie romaine » et reliant le mur occidental de la vieille ville de Jérusalem à Birket al-Hamra, au sud de Wadi al-Hilweh. C’est cette route qui va compromettre les maisons palestiniennes de Wadi al-Hilweh.
Dans les tunnels, la scène est celle d’un chantier : échafaudages, seaux et sacs pour déblayer les gravats, bruits de machinerie lourde et crissement des scies électroniques.
« Pour terminer les fouilles, la zone a été fermée aux habitants palestiniens avant de devenir un site touristique payant », a déclaré le guide israélien.
Le billet coûte 44 shekels (10 euros) pour une demi-visite qui monte de Birket al-Hamra au Mur des Lamentations via le tunnel.
Emek Shaveh, une ONG archéologique israélienne, a déclaré dans un rapport que ces tunnels « créent une ville juive israélienne souterraine et font des côlons ses habitants naturels et des habitants palestiniens… une présence temporaire. »
Le guide a déclaré que ces fouilles n’avaient pas permis de découvrir le moindre objet de l’époque du roi David, qui remonte à 3 000 ans.
Ce qui a été découvert, en revanche, ce sont des artefacts des divers empires éteints, principalement arabes et musulmans, qui ont contrôlé Jérusalem au cours des siècles.
Ont également été découverts des artefacts datant de la période du Second Temple, qui remonte au Ier siècle avant notre ère, une période importante pour les juifs.
Rien d’autre.
Néanmoins, les Israéliens continuent leur recherche acharnée de leur cité perdue, tandis que la cité bien réelle des Palestiniens au-dessus est lentement reléguée aux livres d’histoire.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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