Saïf al-Islam appartient à l’ère autocratique de Kadhafi
Lors d’une conférence de presse, le lundi 19 mars à Tunis, un responsable du Front populaire libyen, Ayman Abu Ras, affirmant parler au nom de Saïf al-Islam Kadhafi, a déclaré que le fils du dictateur défunt, aujourd’hui âgé de 47 ans, se présentera aux prochaines élections en Libye.
Le lendemain, cependant, la brigade Abou Baker al-Sidiq – milice de Zintan qui est supposée détenir Saïf al-Islam depuis 2011 – annonçait sur sa page Facebook officielle que Saïf al-Islam avait nié avoir jamais autorisé quiconque à faire une telle déclaration en son nom.
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Saïf al-Islam Kadhafi est le fils aîné de Mouammar Kadhafi et de sa seconde épouse. Il est engagé dans la politique libyenne depuis 2002 et a joué un rôle crucial dans les contacts secrets entre son père, alors isolé au niveau international, et les principaux pays occidentaux, États-Unis et Royaume-Uni, entre autres.
Lorsqu’il vivait en Occident, Saïf al-Islam avait adopté un discours totalement différent du ton révolutionnaire et anti-impérialiste cher à son père. Au contraire, il se présentait comme réformiste et défenseur des droits de l’homme. Il avait été, de manière non officielle, mis en avant et désigné comme l’héritier présomptif et le plus probable successeur de son père pour gouverner la Libye.
Cela va faire enrager de nombreux Libyens, qui estimeront hypocrite de sa part de former un parti politique, le « Front populaire libyen », alors qu’il a activement soutenu son père dans sa criminalisation des partis politiques
La même année, Saïf al-Islam s’est inscrit au doctorat de la London School of Economics (LSE) dans le but de rehausser son image de réformateur hautement diplômé.
Mais dès le début du soulèvement populaire contre le régime de Kadhafi en février 2011, Saïf al-Islam a soutenu les efforts de son père pour écraser le soulèvement par la force. Il a même été filmé en public, brandissant une arme à feu et exhortant ses partisans à détruire ceux qui tentaient de renverser le pouvoir de son père.
Ce qui a choqué – et déçu – beaucoup d’amis et d’associés de Saïf al-Islam, en particulier dans les pays occidentaux qui voyaient vraiment en lui un véritable réformateur, c’est la position belliciste qu’il a immédiatement prise contre des manifestants pacifiques.
Il est également apparu à la télévision libyenne, où, pointant un doigt menaçant, il a donné cet avertissement aux Libyens : « Nous vous gouvernons ou nous vous tuons, à vous de voir ». Les médias britanniques qui ont rendu compte de l’incident ont dit qu’il était tout à fait « le fils de son père ».
La Cour pénale internationale (CPI) a commencé à enquêter sur la brutalité du régime de Kadhafi contre les manifestants libyens peu après le soulèvement. Le 27 juin 2011, la CPI a émis un mandat d’arrêt contre Saïf al-Islam, son père et un autre chef haut placé de la sécurité, exigeant que tous les trois soient jugés à La Haye pour crimes contre l'humanité.
Crimes contre les Libyens
La CPI n’a jamais réussi mettre la main sur Saïf al-Islam, mais il a été arrêté le 19 novembre 2011 par un groupe libyen au sud-ouest de la Libye. Il a ensuite été remis à la brigade Abou Baker al-Sidiq de la ville de Zintan, où il est détenu depuis lors.
Début juin 2012, la CPI a envoyé une équipe de quatre personnes pour avoir avec lui une entrevue pendant sa captivité à Zintan. L’équipe a été arrêtée immédiatement après l’entretien lorsque l’une des membres, une avocate australienne nommée Melinda Taylor, a été accusée d’avoir transmis des documents spéciaux à faire signer par le fils de M. Kadhafi.
La CPI exige toujours l’arrestation de Saïf al-Islam pour qu’il soit jugé à La Haye : voilà un handicap qui devrait jouer contre lui dans la course à la présidence
Des rumeurs disaient alors que s’il avait pu les signer, ces documents auraient autorisé à certains de ses proches collaborateurs l’accès à des comptes bancaires bien fournis à l’étranger, qui auraient servi à le faire sortir de Libye.
En juillet 2015, Saïf al-Islam a été jugé par contumace par un tribunal libyen à Tripoli. Il a été condamné à mort pour crimes contre le peuple libyen, avec que huit autres hautes personnalités du régime de Kadhafi.
Cet arrêt, à moins d’être annulé ou cassé par la même cour ou une juridiction supérieure, exclut que Saïf al-Islam puisse bénéficier d’une amnistie politique, comme celle prétendument octroyée par la Chambre des représentants du Parlement à Tobrouk, en 2016.
Les experts juridiques affirment que les articles de cette loi d’amnistie ne s’appliquent pas au cas de Saïf al-Islam, sur qui pèse toujours une condamnation.
Un homme libre ?
Depuis son arrestation et son transfert à Zintan en 2011, personne n’entendait plus parler d’une éventuelle libération de Saïf al-Islam – jusqu’en juillet 2016, les médias affirmant qu’il avait été libéré de sa prison et qu’il circulait librement en Libye. Or, en juin 2017, on a de nouveau annoncé que Saïf al-Islam avait été relâché de sa prison de Zintan.
L’avocat libyen Khaled al-Zaidi, qui prétend représenter Saïf al-Islam, a déclaré aux médias tunisiens que le fils de Kadhafi avait été libéré, mais qu’il préférait ne pas révéler où il se trouvait pour des raisons de sécurité.
Compte tenu de la confusion des rapports autour de sa libération et en l’absence de preuves convaincantes, il semble très probable que Saïf al-Islam soit toujours détenu à Zintan sous étroite surveillance, malgré les trompeuses déclarations officielles de sa libération.
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Les élections présidentielles en Libye ne sont pas prévues avant longtemps et n’ont pas encore fait l’objet d’un accord, tandis que se poursuivent divisions politiques et conflits.
Il reste toutefois une question cruciale, dont les Libyens débattent actuellement : faut-il organiser des élections avant ou après s’être mis d’accord sur une nouvelle Constitution permanente pour le pays ? Ce sera la première Constitution en Libye depuis 1969, date à laquelle Kadhafi a pris le pouvoir.
La majorité de l’opinion publique exige qu’un projet de Constitution – approuvé en juillet dernier par une assemblée élue – soit soumis dès que possible à référendum, ratifié dès que possible par l'électorat libyen.
Le projet de Constitution stipule déjà les conditions requises pour qu’un Libyen lambda puisse se présenter aux élections présidentielles. Parmi ces conditions, l’absence de casier judiciaire ou d’acte d’accusation. Cela exclurait Saïf al-Islam.
Il sera soutenu par certains sympathisants du régime de son père et contré par tous ceux qui ont pris part à la révolution de février
La CPI exige toujours l’arrestation de Saïf al-Islam pour qu’il soit jugé à La Haye : voilà un handicap qui devrait jouer contre lui dans la course à la présidence.
Autre facteur crucial, Saïf al-Islam demeurera un personnage conflictuel : il sera soutenu par certains sympathisants du régime de son père et contré par tous ceux qui ont pris part à la révolution de février.
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Cela va faire enrager nombre de Libyens, qui estimeront hypocrite de sa part de former un parti politique, le « Front populaire libyen », alors qu’il a activement soutenu son père dans sa criminalisation des partis politiques et la condamnation à la peine de mort des activistes.
Il a également soutenu son père en ne permettant jamais au peuple libyen de passer par les urnes pour élire les dirigeants. Saïf al-Islam Kadhafi appartient à une ère autocratique qui s’est achevée avec la mort de son père en octobre 2011.
Les chances que la Libye soit de nouveau dirigée par un membre de la famille Kadhafi sont extrêmement faibles.
- Guma el-Gamaty, universitaire et homme politique libyen, est à la tête du parti Taghyeer en Libye et membre du processus de dialogue politique libyen soutenu par l’ONU.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Dans cette photo d’archive, prise le 18 août 2007, le fils du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, Saïf al-Islam, assiste à une cérémonie marquant l’arrivée de l’eau de la grande rivière artificielle dans la ville de Gharyan, au sud de la Libye (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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