Comment la France se prépare à frapper la Syrie
Alors que les échanges d’informations entre Emmanuel Macron et Donald Trump « confirment a priori l’utilisation d’armes chimiques » contre la ville de Douma, le 7 avril, et que le président américain a averti Bachar al-Assad qu’il devra « payer le prix fort », quelle est la marge de manœuvre de la France ?
Comment la France peut-elle frapper ?
Parmi les scénarios possibles côté français : l'envoi d'avions Rafale armés de missiles de croisière Scalp. La portée de ces missiles, supérieure à 250 km, permet de frapper sans que les avions n'aient à survoler la Syrie, dont le ciel est protégé par les défenses anti-aériennes russes. Les appareils pourraient décoller de Jordanie ou des Émirats arabes unis (EAU), pays qui accueillent chacun une base française. Dans ce cas, les appareils seraient ravitaillés en vol le temps qu’ils rejoignent la zone. Objectif : « viser des bases et des centres de commandement en évitant la présence russe et iranienne », estime Bruno Tertrais, de la Fondation pour la recherche stratégique.
Mais selon Le Figaro, le raid partirait de la métropole, a priori de la base de Saint-Dizier, dans la Haute-Marne, et non des bases françaises avancées au Proche-Orient, la Jordanie et les EAU ne souhaitant pas être impliqués dans une telle riposte.
Autre possibilité : lancer des frappes depuis une frégate multi-missions (FREMM) équipée de missiles de croisière navals (MdCN), dont la portée de plusieurs centaines de kilomètres permet de viser en profondeur des objectifs stratégiques, en restant dans les eaux internationales.
Actuellement, la FREMM « Aquitaine » croise en Méditerranée orientale, dans le cadre de l'opération Chammal au Levant. « Il y a quelques jours », le bâtiment de guerre français a été survolé de manière « trop proche » voire « inamicale » par un chasseur russe, poussant l'équipage à rappeler à l'appareil les règles de survol, selon des sources militaires, confirmant des informations du magazine Le Point.
Un raid présente-t-il des risques ?
Oui. C’est d’ailleurs, selon Pierre Servent, expert militaire et spécialiste des questions de défense, auteur de 50 nuances de guerre, qui paraîtra bientôt chez Robert Laffont, ce qui empêche les autres pays de se joindre à une telle opération. « Il faut avoir la capacité militaire de frapper, et de frapper à distance », relève l’expert qui ne privilégie d’ailleurs pas l’intervention aérienne. « Les Russes ont amené énormément de systèmes de défense sol-air. »
Moscou dispose en effet en Syrie de systèmes de défense anti-aérienne S-300 et S-400, ainsi que de dizaines de chasseurs et de bombardiers opérant en soutien au régime. En février, un F-16 israélien a été abattu en Syrie après avoir bombardé une base militaire syrienne. Lundi, Russes et Syriens ont accusé Israël d'avoir de nouveau frappé cette base, mais selon Moscou, cinq des huit missiles téléguidés aurait été détruits.
Quelle que soit l'option technique choisie par Emmanuel Macron, « le principal risque, c'est la riposte sol-air », rappelle un haut gradé, en référence aux systèmes de défense anti-aériennes et anti-missiles en Syrie.
L'ambassadeur russe au Liban Aleksander Zasypkin s’est d’ailleurs fait menaçant sur la chaîne Al-Manar, basée au Liban et gérée par le Hezbollah chiite libanais : « En cas de frappe américaine (...) les missiles seront détruits, de même que les équipements d'où ils ont été lancés. »
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Pourquoi une frappe française est-elle inéluctable ?
François Heisbourg, président de l’Institut international des études stratégiques, résume à l’AFP : « Avec sa déclaration répétée sur les ‘’lignes rouges’’, Emmanuel Macron a choisi de se lier les mains. Il se retrouve dans la situation d'Obama en 2013 et s'il choisit de ne pas respecter cette contrainte, il aura un prix politique à payer », renchérit François Heisbourg, président de l'Institut international des études stratégiques (IISS) de Londres.
En août 2013, Barack Obama avait renoncé à la dernière minute à frapper le régime syrien après une attaque similaire. « Dès lors, de Poutine à Xi Jinping [président chinois] en passant par Netanyahou, plus personne ne l'a pris au sérieux », rappelle-t-il.
À quelques jours d’une visite d’État (le 24 avril) à Washington, Emmanuel Macron a aussi, selon Benjamin Haddad, chercheur au Hudson Institute à Washington, « beaucoup à gagner ». « Les deux présidents ont construit une relation personnelle forte », souligne-t-il dans la revue Foreign Policy. À Washington, Emmanuel Macron pourrait tenir sa victoire s'il persuade le président américain de rester dans l'accord nucléaire iranien, dont la remise en cause pourrait ébranler tout le Moyen-Orient.
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