« Le monde est en train de changer » : une ONG pro-LGBT fait campagne dans les rues d'Irak
L’Irak n’est pas particulièrement connu pour sa tolérance envers les personnes LGBT : même si l’homosexualité n’y est pas officiellement criminalisée – contrairement à de nombreux autres pays du Moyen-Orient –, les discussions libres sur les différences sexuelles y sont à la fois rares et découragées.
Pourtant, un groupe d’activistes de la ville de Souleimaniye, dans le nord du pays, a entrepris de remettre en cause l’idée selon laquelle les questions relatives aux gays, lesbiennes, bisexuels et transsexuels ne devraient pas être discutées ou ne sont pas pertinentes pour leurs communautés.
L’organisation de défense des droits de l’homme Rasan s’apprête ainsi à couvrir les murs de sa ville de nouvelles peintures murales conçues pour sensibiliser la population aux droits des personnes LGBT et encourager le dialogue au sein de leur communauté, composée principalement de Kurdes sunnites.
Le plan, a déclaré le directeur adjoint de Rasan, Ayaz Shalal, consiste à placer des peintures murales près de l’entrée de la ville de manière stratégique afin que « tous ceux qui viennent à Souleimaniye et qui quittent la ville voient ces peintures murales ». Le groupe prévoit également de lancer des animations éducatives en ligne parallèlement à la campagne, qui débute ce mois-ci.
Ce n’est pas leur première action de cette nature, mais c’est la plus importante jusqu’à présent – une indication, selon Shalal, que les attitudes changent pour le mieux.
« Avec ce genre de peintures murales, nous disons aux gens : ‘’Ce n’est pas quelque chose de mal et si vous voulez en savoir plus, nous vous le dirons’’ », a-t-il déclaré à Middle East Eye.
« Nous diffusons des idées au sein de la communauté. Nous ne crions pas sur les toits, nous ne passons pas à la télé juste comme ça au hasard pour parler des questions LGBT, parce que ce n’est pas comme ça qu’on sensibilise à une cause.
« Si le conseil vient de quelqu’un qui est proche de vous, vous le recevrez mieux que s’il vient d’un personnage public. »
Initialement fondée en 2004 en tant qu’organisation axée principalement sur les droits des femmes, Rasan a finalement adopté dans le cadre de ses attributions les questions LGBTQI (ajoutant les droits des queers et personnes intersexuées).
« [Rasan] collabore actuellement avec deux imams qui travaillent à l’émission de fatwas en faveur des LGBT »
- Ayaz Shalal, directeur adjoint de Rasan
Rasan a également par le passé peint des dessins pro-LGBT sur les murs des écoles de Souleimaniye, espérant inculquer des idées de tolérance aux jeunes générations.
Si l’on peut s’attendre à des réactions négatives à ce genre d’action, Ayaz Shalal soutient que Rasan a réussi à se forger une bonne réputation et à créer un réseau communautaire qui accepte sa campagne – même si tout le monde n’est pas entièrement ouvert à leurs idées.
« Les gens nous font confiance », a-t-il assuré, ajoutant que lors de leur premier atelier lancé l’année dernière, la majorité des personnes présentes au début étaient restées jusqu’à la fin. « Certaines personnes sont parties, mais d’autres sont restées. »
L’activiste a expliqué que Rasan avait cherché à nouer le dialogue avec des dirigeants communautaires et était parvenu à créer une base de soutien comprenant des membres du ministère de l’Éducation du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK), des avocats, des médecins et des responsables religieux.
Il a ajouté que Rasan « [collaborait] actuellement avec deux imams qui travaill[aient] à l’émission de fatwas en faveur des LGBT ».
L’activisme du groupe a toutefois mis en évidence un contraste frappant en ce qui concerne les attitudes envers les questions LGBT en Irak, ainsi que la capacité des militants à les soulever publiquement.
Rasan a par exemple été autorisé à mener sa campagne de peinture murale par les autorités gouvernementales de Souleimaniye.
Celle-ci a depuis longtemps la réputation d’être la ville la plus libérale d’Irak et, bien que les personnes LGBT y subissent toujours une forte pression de la part de la société, il existe à Souleimaniye un espace de liberté qui est absent dans d’autres parties du pays.
Le GRK est, dans son ensemble, généralement perçu comme plus laïc et plus libéral que les régions à majorité arabe de l’Irak – bien que ce ne soit pas le cas sur toutes les questions, comme le montre la pratique de mutilations génitales féminines (MGF) dont sont victimes la majorité des femmes kurdes. Globalement, cependant, l’influence des organisations religieuses et des groupes armés conservateurs y est moins prononcée.
« Même si vous comparez la situation des personnes LGBT en tant que telles, celle-ci est meilleure au Kurdistan, les risques pour elles y sont moindres. Par conséquent, de nombreuses personnes fuient les autres villes et viennent dans le nord parce qu’elles y sont plus en sécurité », a affirmé Shalal. « Cela ne veut pas dire qu’elles y sont en sécurité. Pas du tout. Mais qu’elles y sont davantage en sécurité. »
« Comparé au reste de l’Irak, elles ne se font pas défoncer la tête dans la rue. »
Un « endroit sûr »
Récemment, les cas de violence les plus brutaux et les mieux documentés à l’encontre des personnes LGBT en Irak ont été les exécutions perpétrées dans les zones contrôlées par le groupe État islamique.
Des images d’hommes homosexuels jetés du haut de bâtiments à Mossoul ont circulé dans les médias, venant s’ajouter à la longue liste des atrocités commises par le groupe.
Toutefois, l’autre principale source de violence envers les personnes LGBT en Irak provient de ceux-là mêmes qui se sont attribué le plus grand mérite dans la victoire contre l’État islamique.
Si, sous Saddam Hussein, l’homosexualité était illégale, le renversement du dirigeant irakien de longue date lors de l’invasion américaine de 2003 a donné lieu à un essor de groupes armés ayant des liens financiers et idéologiques avec la République islamique d’Iran, un pays responsable de plus de 5 000 exécutions de personnes LGBT depuis 1979.
Selon des organisations de défense des droits de l’homme, des groupes armés ont harcelé et attaqué des personnes LGBT (ou perçues comme telles). En 2014, l’organisation Asa’ib Ahl al-Haq a même publié une liste de personnes recherchées comportant les noms d’hommes suspectés d’homosexualité.
En 2012, des groupes armés, principalement à Bagdad, ont lancé une campagne contre les personnes perçues comme étant « emos », un terme faisant référence à des hommes généralement jeunes perçus comme étant efféminés et ambigus sur le plan sexuel. La Mission d’assistance des Nations unies en Irak a rapporté qu’environ 56 personnes avaient été assassinées pour cette raison.
En 2017, un acteur a été poignardé et torturé à mort à Bagdad pour « avoir l’air gay », selon les médias locaux.
Malgré les difficultés que rencontrent les personnes LGBT, Rasan et d’autres associations pro-LGBT comme IraQueer ont réussi à établir de petits réseaux de soutien et à tenir des réunions (généralement clandestines) durant lesquelles des LGBT irakiens peuvent discuter de leur sexualité.
« La chose dont vous avez le plus besoin pour réunir des personnes LGBT est un endroit sûr », a déclaré à MEE un Irakien qui a souhaité garder l’anonymat.
« Pour le moment, il est très difficile de trouver un lieu pour de telles réunions à cause de la situation dangereuse en Irak en ce moment. »
« Lorsque ma famille a découvert mon orientation sexuelle, mon père a piqué un coup de sang et j’ai été forcé de quitter ma famille, ma ville et mon travail. J’ai dû tout quitter pour sauver ma vie »
- Anonyme
« À cause de ça, nous organisons de temps en temps de petites réunions dans des lieux privés, loin des milices ou de l’État. »
Malgré l’hostilité à laquelle ils sont souvent confrontés, l’homme a déclaré qu’ils réussissaient généralement à attirer un nombre plutôt satisfaisant de LGBT et de personnes non-LGBT qui s’intéressaient à la question.
« La majorité des personnes qui assistent à ces réunions ont déjà subi des persécutions au sein de notre société. Il y a aussi des laïcs et des alliés des LGBT, en particulier des communistes », a-t-il précisé.
« Quelqu’un qui est gay ne peut pas en parler ouvertement avec sa famille – aux yeux de ses proches, c’est comme s’il avait jeté l’opprobre sur la famille », a-t-il ajouté.
« Ils voudront probablement se débarrasser de lui, surtout s’ils sont conservateurs et d’origine tribale. C’est ce qui m’est arrivé.
« Lorsque ma famille a découvert mon orientation sexuelle, mon père a piqué un coup de sang et j’ai été forcé de quitter ma famille, ma ville et mon travail. J’ai dû tout quitter pour sauver ma vie. »
Les militants ont salué certaines améliorations.
L’influent religieux chiite Moqtada al-Sadr, qui a récemment fait la une des journaux pour son opposition au sectarisme et son alliance avec le parti communiste laïc, a notamment annoncé en 2016 qu’il était inacceptable d’attaquer des personnes soupçonnées d’homosexualité.
Bien qu’il ait réitéré la nécessité pour les Irakiens de se « dissocier » des personnes LGBT, il a souligné qu’ils ne devaient pas « les attaquer, car cela accroît leur aversion, et [qu’ils devaient] les guider en utilisant des moyens acceptables et rationnels ».
IraQueer et Human Rights Watch ont salué ses paroles, tout en notant qu’elles n’allaient pas assez loin.
« Enfin, le chef de l’un des groupes dont les membres ont commis de graves abus contre les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) en Irak condamne ces attaques odieuses », a déclaré Joe Stork, alors directeur adjoint de Human Rights Watch (HRW) au Moyen-Orient.
« Nous espérons que cela changera le comportement des partisans de [la milice de Sadr] l’Armée du Mahdi et d’autres, et que cela incitera le gouvernement à demander des comptes à ceux qui commettent ces crimes. »
Peu s’attendent à ce que les prochaines élections législatives prévues pour mai signalent un véritable changement social en Irak, encore moins en ce qui concerne les droits des LGBT.
Même les partis politiques qui pourraient soutenir les droits de ces personnes sont peu susceptibles de faire campagne sur un sujet qui risque d’éloigner de nombreux électeurs potentiels.
Au GRK, qui a vu une grande partie de son autonomie voler en éclats en 2017 après un référendum sur l’indépendance aux conséquences funestes, l’effondrement de l’économie et les affrontements politiques occupent aussi une place centrale au détriment des questions sociales.
En dépit de cette sombre réalité, Ayaz Shalal reste optimiste.
« La raison pour laquelle nous avons reçu du soutien [à Souleimaniye] est que nous avons prouvé aux gens, jour après jour, que ce que nous faisons est juste. Nos alliés se multiplient. Les personnes LGBT sont en train de devenir plus visibles. »
« Le monde est en train de changer, il est plus ouvert et tout cela va dans le sens de nos intérêts. »
Traduit de l’anglais (original).
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