Le bombardement de la Syrie, une aventure parrainée par l’Arabie saoudite qui n’aboutira à rien
Dans le monde arabe, même ceux qui soutiennent les frappes militaires occidentales contre la Syrie restent sceptiques quant à leur timing, leur objectif et leurs résultats. Que l’objectif soit de punir Assad, de protéger les civils ou simplement de se venger, il est hautement improbable que les frappes soient appelées à produire des issues positives.
Malgré la hâte avec laquelle Washington, Londres et Paris ont pris la décision de bombarder les forces de Bachar al-Assad, la légalité des frappes reste sujette à controverse. Sans consensus de l’ONU ni rapport complet des inspecteurs en armement chimique, les frappes de vendredi dernier resteront toujours suspectes et échoueront certainement à atteindre leurs objectifs déclarés.
Une entreprise controversée
En vertu du droit international, une intervention militaire initiée pour des raisons humanitaires reste une entreprise controversée. Pourtant, les trois capitales occidentales se sont lancées sans débat international ou national quant à la légalité de leurs agissements, mais aussi sans résolution les y autorisant. Ni les États-Unis, ni la Grande-Bretagne, ni la France n’ont demandé une consultation sérieuse auprès de leur propre Parlement ou de la communauté internationale au sens large.
De Nasser en Égypte à Kadhafi en Libye, en passant par Saddam en Irak, les bombes occidentales larguées de manière erratique ont prolongé le règne de ces dirigeants et renforcé leur légitimité nationale au lieu de les éliminer
Dans le monde arabe, l’historique des interventions militaires occidentales depuis 1956 est calamiteux, celles-ci ayant abouti au contraire exact de leurs objectifs déclarés. Les bombardements en Égypte dans les années 1950, en Libye dans les années 1980, en Irak dans les années 1990 et désormais en Syrie ont toujours renforcé et non affaibli les agents qu’ils étaient censés anéantir.
De Nasser en Égypte à Kadhafi en Libye, en passant par Saddam en Irak, les bombes occidentales larguées de manière erratique ont prolongé le règne de ces dirigeants et renforcé leur légitimité nationale au lieu de les éliminer.
Lorsque l’objectif était un changement de régime, comme en Irak en 2003 et en Libye en 2011, les interventions ont donné lieu à des bouleversements inégalés dans l’histoire du monde arabe depuis 1948, à l’exception du déplacement des Palestiniens.
En règle générale, les interventions militaires occidentales ont renforcé des acteurs non étatiques tels que les milices qui opèrent sur le terrain dans des pays où les autorités centrales se sont désintégrées ou ont été mortellement affaiblies.
Pourquoi maintenant ?
Le scepticisme à propos du récent épisode d’intervention militaire en Syrie doit être compris à travers les raisons pour lesquelles ce n’est que maintenant que Washington, Londres et Paris sont prêts à intervenir en réponse au conflit dans la Ghouta, où des armes chimiques seraient utilisées depuis plusieurs années et auraient tué des centaines de milliers de civils.
Pour répondre à la question du timing, nous devons nous tourner vers les relations troublées entre le trio et la Russie et vers les visites récentes du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane dans les trois capitales, où il a promis des utopies d’investissement et des dépenses extravagantes dans des produits occidentaux.
Au cours de la visite du prince héritier aux États-Unis, le président Trump a clairement indiqué qu’il était prêt à laisser des soldats américains en Syrie, une force estimée à seulement deux milliers d’hommes – et seulement si quelqu’un les payait.
Le président américain a réellement transformé le prétendu pouvoir militaire de la superpuissance en une force de mercenaires prête à être déployée après paiement. Le prince héritier saoudien n’hésitera pas à déverser de l’argent dans une intervention épineuse de son propre régime en Syrie.
Le principal problème du monde arabe est que des dictateurs continuent d’être soutenus par des puissances étrangères qui les bombardent dès qu’ils cessent d’être utiles
L’intervention saoudienne n’a abouti à rien. Sept ans après le début du conflit syrien, l’Arabie saoudite n’a pas réussi à couper l’Iran des côtes orientales de la Méditerranée, ni à renverser Bachar al-Assad, ni à installer un régime syrien fantoche.
Miné par les scandales russes qui déferlent aux États-Unis, le président Trump doit se montrer dur envers la Russie ; ses frappes militaires prouvent à ses publics nationaux qu’il est prêt et puissant lorsqu’il s’agit de contrer l’influence croissante de la Russie en Syrie. Si les attaques chimiques ont effectivement eu lieu, elles ont été autorisées par un client de la Russie.
Trump veut punir la Russie pour le dérapage de son protégé, à savoir Assad, et démontrer ainsi aux Américains qu’il n’est pas un allié de Poutine.
Une excellente opportunité
Et qu’en est-il de la Grande-Bretagne, qui joue le rôle d’assistant en intervention militaire ? Pour comprendre les frappes récentes, nous devons les situer dans le contexte politique actuel à Londres, où un gouvernement conservateur cherche désespérément à dissiper les conséquences des tensions avec la Russie suite à l’attaque de Salisbury.
Il semblerait que l’expulsion des diplomates russes ne soit pas suffisante pour atténuer les graves agissements de la Russie sur le sol britannique. Ce qui est étrange, c’est que le Royaume-Uni a fermé les yeux sur un certain nombre de meurtres liés à la Russie pendant plus d’une décennie et a attendu tout ce temps pour prendre des mesures.
Cela met en évidence la situation d’un gouvernement aux prises avec les subtilités d’une transformation majeure consécutive au Brexit et le cauchemar d’une économie en déclin qui hante la Première ministre britannique Theresa May.
Cette dernière a sauté sur l’occasion de montrer des muscles affaiblis et flasques et de renforcer sa position politique intérieure fragile. Le bombardement de la Syrie est une excellente opportunité de démontrer la dureté de Londres envers les Russes, capables de semer le chaos dans les rues des villes britanniques lorsqu’ils libèrent des substances toxiques contre leurs détracteurs et dissidents. La Grande-Bretagne a bombardé la Syrie pour affirmer sa souveraineté contre une Russie intrusive et agressive.
En France, Emmanuel Macron affronte quant à lui des forces intérieures qui s’avèrent obstinément réfractaires à ses nouvelles politiques économiques. Entre les grèves récentes des cheminots et dans les aéroports, les transports français sont interrompus par une série d’actions civiles contre les politiques phares de Macron visant à restreindre les pouvoirs des syndicats.
Dans un pays où aucun restaurant ne vous servira le déjeuner après 14 heures, où le temps de travail est le plus court d’Europe et où les préoccupations au sujet des vacances l’emportent sur toute autre initiative importante, Macron doit redynamiser une nation rongée par plusieurs forces paralysantes. Entre le racisme, l’islamophobie, la droite ultranationaliste et le chômage, Macron doit prouver que la France est encore grande, surtout dans le Levant, la région qu’elle chérit historiquement. Bombarder la Syrie n’est qu’une façon d’affirmer que la France compte toujours.
Le principal problème du monde arabe
Quelle que soit la précision avec laquelle ce bombardement a été exécuté, les frappes erratiques des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France ne concernent pas vraiment le peuple syrien et ses sept ans de détresse. La dépossession, les déplacements et la mort ne prendront pas fin après le largage de quelques bombes çà et là.
Le bombardement a eu lieu dans la foulée des visites du prince héritier saoudien dans les trois capitales, où des promesses économiques ont été faites et des contrats pour l’achat d’armes supplémentaires ont été signés. Le bombardement de la Syrie est une aventure parrainée par les Saoudiens qui ne permettra pas de résoudre le conflit en Syrie, ni de renvoyer les réfugiés chez eux.
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Le monde arabe a appris à prendre avec des pincettes les engagements pris par les Occidentaux pour sauver les populations. Lorsque cet Occident a contribué à prolonger le règne de dictateurs, à leur vendre des armes meurtrières et à drainer leurs ressources en échange d’arsenaux militaires occidentaux inutiles ne servant qu’à protéger ces dictateurs, il est très difficile de prendre au sérieux les engagements de ce genre pris par les Occidentaux.
Le principal problème du monde arabe est que des dictateurs continuent d’être soutenus par des puissances étrangères qui les bombardent dès qu’ils cessent d’être utiles. Les interventions problématiques de l’Occident, passées comme présentes, resteront controversées et dangereuses.
Lorsqu’elles sont financées par des pétrodollars saoudiens, elles sont encore plus problématiques puisqu’elles servent les intérêts d’un régime répressif meurtrier plutôt que ceux du peuple syrien en souffrance.
- Madawi al-Rasheed est professeure invitée à l’Institut du Moyen-Orient de la London School of Economics. Elle a beaucoup écrit sur la péninsule arabique, les migrations arabes, la mondialisation, le transnationalisme religieux et les questions de genre. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @MadawiDr.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : une photo publiée dans la matinée du 14 avril 2018 sur le site web de l’Agence arabe syrienne d’information (SANA), agence de presse officielle, montre une explosion à la périphérie de Damas après que des frappes occidentales auraient touché des bases militaires et des centres de recherche chimique syriens dans la capitale et les alentours (SANA/AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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