VIDÉO : Des soldats égyptiens semblent procéder à une exécution sommaire dans le Sinaï
Une vidéo qui montrerait l’exécution d’un jeune homme par des soldats égyptiens dans la péninsule du Sinaï a été largement partagée sur les réseaux sociaux, suscitant la condamnation d’activistes qui affirment que l’armée égyptienne combat dans la région « dans le secret le plus total ».
Les forces de sécurité égyptiennes ont été accusées à plusieurs reprises de se livrer à des exécutions sommaires dans le nord du Sinaï, où elles luttent contre des militants qui seraient affiliés au groupe État islamique (EI) depuis 2013.
La vidéo qui est apparue cette semaine paraît montrer un soldat armé s’approchant d’un jeune homme couché sur le sable. On entend quelqu’un crier en arrière-plan : « Nous n’allons pas te tuer… couvre-le, couvre-le. »
« N’aie pas peur, mon garçon… ton père va venir te chercher », poursuit la même personne.
Le soldat recouvre alors le jeune homme, que l’on ne peut apercevoir distinctement, avec une couverture, puis des coups de feu semblent être tirés dans sa direction.
La chaîne de télévision d’opposition al-Sharq TV a été la première à se procurer et à divulguer cette vidéo lundi dernier. Le clip a suscité l’indignation sur les réseaux sociaux, où il a été largement partagé, de même que des captures d’écran du post d’un soldat qui revendiquait la responsabilité des coups de feu sur Facebook. Ce post a ensuite été effacé.
Middle East Eye n’a pas la possibilité de vérifier ces images de façon indépendante. Le gouvernement égyptien interdit l’accès du Sinaï aux journalistes et aux associations de défense des droits de l’homme.
Fin mars, un porte-parole des forces militaires égyptiennes a déclaré dans un communiqué que l’armée avait gagné du terrain contre « les cellules terroristes », notamment en exécutant des « militants ». L’une des images présentées semblait montrer la même victime que dans la vidéo, bien que l'on ne sache pas avec certitude si le porte-parole se référait à cette vidéo, et si celle-ci a été prise avant ou après cette déclaration.
Amr Magdi, un chercheur de Human Rights Watch pour le Moyen-Orient, a déclaré : « Nous sommes encore en train d’enquêter sur ce cas pour authentifier la vidéo. Si elle s’avère véridique, cela n’aura rien de surprenant mais n’en restera pas moins horrifiant. »
Faute de journalistes et d’activistes dans la région, a poursuivi Amr Magdi, il est difficile de savoir ce qu’il s’y passe.
« L’armée égyptienne mène une guerre dans le Sinaï dans le secret le plus total, sans autoriser de journalistes indépendants ou de militants des droits de l’homme à aller se rendre compte par eux-mêmes de la situation », a affirmé Amr Magdi. « L’armée devrait immédiatement ouvrir le Sinaï aux journalistes indépendants. »
L’Organisation arabe des droits de l’homme a enregistré plus de 2 934 exécutions sommaires en Égypte depuis qu’Abdel Fattah al-Sissi a pris le contrôle du pays en 2013, à la suite d’un coup d’État.
Alors que les affrontements continuent dans le Sinaï entre l’armée égyptienne et des combattants armés, 3 446 civils ont été tués et 5 766 personnes détenues, tandis que 2 500 maisons ont été démolies pour créer une zone tampon à la frontière avec Gaza, selon cette association.
Des centaines de membres des forces de sécurité auraient aussi été tués au cours des combats.
Amr Magdi a déclaré à MEE : « Nous avons déjà fourni les preuves de deux incidents séparés, probablement des exécutions sommaires, qui ont impliqué dix et huit personnes respectivement dans le Sinaï. Loin de toute supervision judiciaire, la détention et le traitement des prisonniers dans le Sinaï sont uniquement contrôlés par les officiers de l’armée. »
« Nous savons déjà que des miliciens opèrent sur ordre de l’armée. Ils se vantent même parfois sur les réseaux sociaux d’avoir mené des exécutions extrajudiciaires. »
L’année dernière, Human Rights Watch a rapporté que les forces militaires égyptiennes avaient exécuté jusqu’à huit détenus désarmés dans le nord de la péninsule du Sinaï.
Selon l’ONG, l’armée aurait tenté de dissimuler ces meurtres en publiant une vidéo faisant croire que les victimes avaient été tuées au cours d’un raid contre des « terroristes » armés.
Les familles de deux des victimes ont affirmé à Human Rights Watch que leurs proches, dont ils ont vu les corps à la morgue, semblaient avoir reçu des balles dans la tête.
L’armée maintient que la séquence a été fabriquée de toutes pièces.
La campagne antiterroriste dans le nord du Sinaï a suscité de nombreuses accusations d’abus et de violations des droits de l’homme.
Entre juillet 2013 et août 2015, les autorités égyptiennes ont détruit la moitié de la ville de Rafah, à la frontière de la bande de Gaza, expulsant des milliers de famille et démolissant au moins 3 255 bâtiments, d’après Human Rights Watch.
Des dizaines de familles interviewées par l’ONG en 2016 et 2017 ont rapporté de nombreuses arrestations arbitraires, des disparitions forcées, des actes de torture et des exécutions sommaires perpétrés par l’armée égyptienne et les forces du ministère de l’Intérieur.
Depuis 2013, plus de 1 500 attaques armées ont tué des dizaines de civils et des centaines de membres des forces de sécurité dans le nord du Sinaï, selon l’Institut Tahrir pour la politique au Moyen-Orient.
MEE a contacté l’ambassade d’Égypte à Londres pour solliciter un commentaire.
Traduction de l’anglais (original) par Maït Foulkes.
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