Grande-Bretagne : l’enfer des visas pour les écrivains du Moyen-Orient
Des auteurs et artistes du Moyen-Orient et d’Afrique invités au fameux festival culturel d’Édimbourg, qui se tient du 3 au 27 août en Écosse, n'ont pas pu s'y rendre faute de visa britannique.
Selon les organisateurs de ce festival connu pour être l’un des plus importants au monde, la complexité à obtenir une autorisation pour visiter la Grande-Bretagne risque de nuire à la réputation culturelle de cet événement et de s'aggraver lorsque la Grande-Bretagne quittera l'Union européenne en mars 2019.
« Demander des visas semble être devenu incroyablement compliqué cette année, c’est presque de la complexité kafkaïenne », a déclaré à Reuters Nick Barley, directeur du Festival international du livre d’Édimbourg.
« En tant que réfugiée palestinienne, je suis à la recherche d'un pays, pas d'un autre pays. Ce soupçon britannique selon lequel je vais m’y installer est injuste »
- Nayrouz Qarmout, auteure palestinienne
En juillet, Chris Smith, directeur de Womad, un grand festival de musiques du monde, a déclaré que plusieurs activités avaient été annulées à cause des problèmes de visa.
« Ce n'est pas la première fois que des artistes étrangers réputés se sont vus refuser l'entrée au Royaume-Uni pour un festival. Le ministère de l’Intérieur est en train de tuer notre scène musicale mondiale - et ça va empirer », s’était alors indigné l’éditorialiste du Guardian, Kate Hutchinson.
Situation kafkaïenne
Les choses empirent, effectivement. L’auteure palestinienne Nayrouz Qarmout, invitée du festival d’Édimbourg, a dû déposer trois fois sa demande de visa et suivre un processus compliqué pour compléter son dossier.
Traduction : « Après pas un, pas deux, mais TROIS tentatives pour obtenir un visa britannique pour que l’auteure palestinienne Nayrouz Qarmout soit présente au Festival international du livre d’Édimbourg la semaine prochaine, nous avons finalement abandonné et rendons publique cette décision. Désolé Nayrouz. »
« Je suis censée m'expliquer dans le contexte de détresse que vivent tous les Palestiniens afin de demander un visa ? […] Je ne suis pas une terroriste et je ne suis pas une menace », a-t-elle déclaré à la presse depuis Gaza.
Selon son récit, on lui a, par exemple, demandé de déposer de l’argent sur un compte courant britannique, mais lorsqu’elle l’a fait, la transaction a été jugée « suspecte » par les autorités britanniques.
Par courrier, le ministère de l’Intérieur britannique a motivé son refus en invoquant le statut de célibataire de Nayrouz Qarmout
La jeune femme explique aussi avoir trouvé la procédure de demande de visa « intrusive » et les raisons invoquées pour son refus « humiliantes ». Par courrier, le ministère de l’Intérieur britannique a motivé son refus en invoquant le statut de célibataire de l'auteure.
Le directeur du festival du livre, Nick Barley, raconte qu'un autre auteur a dû, pour compléter son dossier de visa, présenter son certificat de mariage, l'acte de naissance de sa fille, trois ans de relevés bancaires et des tests biométriques à un bureau des visas africain, suivant ainsi un processus « humiliant ».
Une « censure culturelle »
Selon The Guardian, l’écrivaine palestinienne - qui est aussi journaliste à la télévision - a pu in extremis obtenir un visa au bout de la troisième tentative. Mmais les délais trop courts ne lui permettront pas d’assister aux événements programmés du festival. En tant que résidente de Gaza, elle doit également obtenir l’autorisation de la Jordanie pour voler d’Amman au Royaume-Uni, ainsi qu’un permis de sortie d’Israël pour traverser le passage d’Erez à la frontière. Elle a été informée que quatre à cinq jours étaient nécessaires pour que son passeport arrive à Gaza.
Ra Page, le fondateur de Comma Press, l’éditeur britannique de Nayrouz Qarmout, a souligné dans une déclaration aux médias que les refus de visas pour des artistes et écrivains étrangers étaient de plus en plus nombreux et que « des consignes avaient été données aux consulats britanniques pour qu'ils rejettent davantage » les demandes de visas.
« Nous parlons de censure culturelle efficace et silencieuse. Le ministère de l’Intérieur dit, en effet : les lecteurs britanniques ne devraient pas entendre d'autres points de vue lors de nos festivals du livre, leurs voix ont moins de valeur. Priorité aux voix britanniques »
- Ra Page, éditeur britannique de Nayrouz Qarmout
« On a l'impression que nous vivons dans une nouvelle ère de nativisme », ajoute l'éditeur au Guardian. « Nous ne parlons pas seulement du racisme institutionnel classique et difficile à prouver. Nous parlons de censure culturelle efficace et silencieuse. Le ministère de l’Intérieur dit, en effet : les lecteurs britanniques ne devraient pas entendre d'autres points de vue lors de nos festivals du livre, leurs voix ont moins de valeur. Priorité aux voix britanniques ».
Par ailleurs, deux illustrateurs iraniens, Ehsan Abdollahi et Marjan Vafaeian, attendent depuis des mois leurs visas britanniques. Tous deux ont été informés par le ministère de l’Intérieur britannique que leurs cas étaient « compliqués ».
Traduction : « Il n’est vraiment pas acceptable que l’un des festivals du livre les plus renommés et les plus respectés au monde soit menacé de cette manière. Le gouvernement britannique doit faire preuve de discernement ».
Le Premier ministre écossais, Nicola Sturgeon, qui a tenté de persuader le gouvernement britannique que l'administration décentralisée de l'Écosse devrait contrôler sa propre politique d'immigration, a déclaré que ces difficultés administratives « n'étaient pas acceptables », accusant Londres de « saboter » le festival d’Édimbourg.
« Nous accueillons des artistes et des musiciens venant de pays non membres de l'UE qui viennent au Royaume-Uni. Chaque cas est évalué individuellement en fonction des règles d'immigration », a répondu le ministère britannique de l'Intérieur dans un courrier électronique envoyé à Reuters.
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