Au Yémen, les habitants de Hodeida « attendent la mort »
SANAA – Après l’échec des négociations de paix la semaine dernière, les forces fidèles au président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi ont déclaré s’être emparées d’une partie de la route principale de Hodeida, qui relie la ville à Sanaa et à la principale ligne de ravitaillement houthie. Les Houthis affirment que cette artère vitale de la ville reste sous leur contrôle.
Les habitants pris au piège craignent d’être bientôt pris dans les combats.
Mohammed Hadi, un habitant du quartier de Ghulail, a déclaré à Middle East Eye que des combats acharnés se poursuivaient vendredi le long de la rue Kilo 16, la route principale disputée.
Hadi vit à moins de quatre kilomètres de la rue Kilo 16, mais il n’a pas fui sa maison, car selon lui il est plus dangereux de partir.
« La route principale a été bloquée et il y a des rues secondaires, mais elles ne sont pas sûres car les frappes aériennes visent toute voiture dans ces rues », a-t-il déclaré. « Il vaut mieux rester chez soi en attendant la mort que de fuir au milieu des combats. »
La coalition dirigée par l’Arabie saoudite a lancé plusieurs frappes aériennes contre les positions houthies à Hodeida ces derniers jours pour aider les combattants pro-gouvernementaux à progresser.
Mohammed Hadi a déclaré que les forces fidèles au président Hadi avaient avancé vers Hodeida, tandis que des renforts houthis étaient arrivés du nord et d’autres parties de la ville.
Vendredi matin, Mohammed al-Boukhaiti, un membre du conseil politique houthi basé à Hodeida, a publié une vidéo d’une autre route principale – « Kilo 10 » – qui faisait suite à une vidéo filmée jeudi à « Kilo 16 » pour affirmer que les Houthis contrôlaient ces routes.
« L’armée yéménite [les Houthis] a affronté l’attaque de la coalition et aujourd’hui, Kilo 16 est sous le contrôle de l’armée mais n’est pas sûre pour les usagers car les frappes aériennes les visent », a-t-il déclaré vendredi à MEE.
Une coalition d’États dirigée par l’Arabie saoudite est intervenue dans la guerre du Yémen en 2015 contre les rebelles houthis, après que ces derniers eurent chassé le gouvernement de Sanaa.
L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et les forces locales alliées ont lancé une attaque en juin pour prendre aux Houthis la ville côtière stratégique de Hodeida, en dépit des protestations des responsables des Nations unies et des gouvernements occidentaux.
Les gens ont peur
Des dizaines de civils auraient été tués et davantage blessés dans les affrontements depuis lors. Selon Mohammed Hadi, il y aurait plus de civils encore dans leurs maisons, trop effrayés pour partir.
« [Mes enfants] parlent de la mort tout le temps et ils ne jouent à rien »
- Mohammed Hadi, habitant de Hodeida
« Mes enfants n’arrivent pas à dormir du tout et même s’ils s’endorment, les combats les effraient, alors ils ne dorment pas bien », a déclaré Hadi.
« Ils parlent de la mort tout le temps et ils ne jouent à rien. Je pense qu’ils souffriront d’un traumatisme psychologique à l’avenir à cause de la guerre. »
Hadi a déclaré que sa famille et lui achetaient rarement de la nourriture dans les magasins du quartier. Il craint qu’un jour prochain, ils ne puissent plus quitter leur maison.
« Je veux dire aux organisations internationales et aux belligérants de prendre en considération les enfants. Personne ne peut imaginer leur situation dans cette guerre », a-t-il ajouté.
« Il faut que les organisations internationales interviennent à Hodeida, pour nous emmener dans des zones sûres hors de la ville car nous ne pouvons pas quitter nos maisons. »
Lise Grande, coordinatrice humanitaire de l’ONU pour le Yémen, a prévenu que la situation humanitaire s’aggravait.
« Des centaines de milliers de vies sont en jeu à Hodeida », a-t-elle déclaré dans un communiqué publié jeudi dernier. « La situation s’est considérablement détériorée ces derniers jours. Les familles sont absolument terrifiées par les bombardements, les pilonnages et les frappes aériennes. »
« Les gens luttent pour survivre », a-t-elle ajouté. « Plus de 25 % des enfants souffrent de malnutrition, 900 000 personnes cherchent désespérément à se nourrir et 90 000 femmes enceintes courent un risque énorme. Les familles ont besoin de tout : nourriture, argent, soins de santé, eau, assainissement, fournitures d’urgence, soutien spécialisé et beaucoup ont besoin d’un abri. C’est déchirant de voir autant de gens qui ont besoin de tant de choses. »
« Des centaines de milliers de vies sont en jeu à Hodeida. […] Plus de 25 % des enfants souffrent de malnutrition, 900 000 personnes cherchent désespérément à se nourrir et 90 000 femmes enceintes courent un risque énorme »
- Lise Grande, coordinatrice humanitaire de l’ONU pour le Yémen
L’ONU a déclaré que le Yémen souffrait d’une des pires catastrophes humanitaires au monde. Soixante-quinze pour cent de la population a besoin d’une forme d’assistance humanitaire et de protection, dont 8,4 millions de personnes au bord de la famine.
Certains civils ont fui Hodeida pour Sanaa à mesure que les combats se sont rapprochés de la ville.
Khaldoon al-Absi, un habitant qui a fui la ville jeudi, a déclaré qu’il avait voyagé depuis Hodeida vers la province de Hajja, puis jusqu’à Sanaa, la voie la plus sûre vers la capitale.
Prendre le contrôle de Kilo 16, a-t-il estimé, ne constituait qu’une « victoire illusoire » pour les forces pro-gouvernementales.
« Les forces pro-Hadi disent qu’elles assiégeront la ville, mais en fait, elles ne peuvent pas le faire car il y a plusieurs routes reliant Hodeida à d’autres provinces », a-t-il déclaré à MEE.
Les civils prenant le bus de Hodeida vers d’autres provinces ont eu recours à des routes plus onéreuses et indirectes pour se mettre en sécurité.
« Je payais 4 000 riyals yéménites [environ 13,70 euros] pour prendre le bus de Hodeida à Sanaa et hier, j’ai payé 6 000 riyals [environ 20,50 euros] car la route est plus longue », a déclaré Absi. « Il faut une solution à cette guerre. Nous ne pouvons plus supporter davantage de souffrance. »
De nombreux habitants de Hodeida ont fui la ville au cours des derniers jours. Les marchés sont presque vides et tout le monde ne pense plus qu’à la guerre, a-t-il indiqué.
L’importance vitale de Hodeida
Hodeida est une bouée de sauvetage pour des millions de Yéménites à travers le pays. Près de 70 % de toute l’aide humanitaire et presque tous les stocks alimentaires commerciaux du nord du Yémen entrent par les ports de Hodeida et de Saleef, juste au nord de Hodeida, selon l’ONU.
La fermeture de Kilo 16 ou tout siège total de la ville aurait un impact considérable sur les habitants des provinces du nord du pays.
« Après la fermeture de la route principale, nous avons payé le transport plus cher, ce qui signifie que les marchandises augmenteront encore plus qu’avant », a déclaré à MEE Jameel al-Qirwi, un négociant de Sanaa. « Le siège ne concerne pas la ville de Hodeida, il concernera toutes les provinces du nord et cela affectera des millions de civils. »
« Tant de choses ont déjà été détruites. Rien qu’au cours des six dernières semaines, des maisons, des fermes, du bétail, des entreprises, des routes, une installation d’eau et un moulin à farine ont été touchés »
- Lise Grande, coordinatrice humanitaire de l’ONU pour le Yémen
Hodeida est également menacée d’attaques sur ses réserves de nourriture, ce qui affecterait les régions du nord du pays.
« Les moulins de Hodeida nourrissent des millions de personnes. Nous sommes particulièrement préoccupés par le moulin de la mer Rouge, qui contient actuellement 45 000 tonnes de nourriture, suffisant pour nourrir 3,5 millions de personnes pendant un mois. Si les moulins sont endommagés, le coût humain sera incalculable », a déclaré Lise Grande, de l’ONU.
« Tant de choses ont déjà été détruites. Rien qu’au cours des six dernières semaines, des maisons, des fermes, du bétail, des entreprises, des routes, une installation d’eau et un moulin à farine ont été touchés. »
Les forces pro-Hadi disent faire de leur mieux pour éviter d’endommager les institutions.
« Nous progressons à Hodeida selon un plan clair, et les institutions et les civils sont une priorité pour nous, donc nous ne viserons pas les moulins ou les entreprises aveuglément », a déclaré à MEE sous couvert d’anonymat un commandant des opérations pro-Hadi à Hodeida.
« Les Houthis utilisent des maisons et des institutions comme casernes militaires pour nous amener à les détruire, mais ne cibleront pas les institutions civiles. »
Le commandant a ajouté qu’ils avaient repris la majeure partie de la rue Kilo 16, soulignant que les vidéos de Boukhaiti avaient été prises d’un côté de la rue.
« Au cours des prochains jours, nous viserons Kilo 16 pour commencer à nettoyer la ville des Houthis », a-t-il annoncé.
Les civils sont les premières victimes de la guerre
Le journaliste indépendant Tareq al-Mallah, qui se trouve actuellement à Aden, a déclaré que les civils étaient les principales victimes de la guerre, ajoutant que les gens ne se souciaient pas de l’identité du vainqueur mais de leur famille.
« La chose la plus importante pour nous est que nous ne voulons plus assister à de nouvelles guerres. Nous pouvons vivre sous la direction des Houthis ou de [Abd Rabbo Mansour] Hadi, mais pas avec les guerres »
- Mohammed Hadi, habitant de Hodeida
« Les forces pro-Hadi ont déclaré que la libération de la ville était la prochaine étape des combats à Hodeida, et les Houthis ont confirmé qu’ils résisteront à toute attaque, alors que les gens ne veulent assister à aucune guerre dans la ville », a-t-il indiqué à MEE.
« J’espère que les belligérants seront plus rationnels et iront à Genève pour mettre fin à cette guerre. Les guerres détruisent toujours les pays. »
Mohammed Hadi, l’habitant de Hodeida, a exprimé une opinion similaire.
« La chose la plus importante pour nous est que nous ne voulons plus assister à de nouvelles guerres, a-t-il déclaré. Nous pouvons vivre sous la direction des Houthis ou de [Abd Rabbo Mansour] Hadi, mais pas avec les guerres. »
Traduit de l’anglais (original).
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