Le « mariage blanc » en Iran : de plus en plus pratiqué, mais toujours aussi tabou
TÉHÉRAN – Taraneh, 32 ans, et Mehran, 35 ans, se sont rencontrés il y a un an et sont amoureux. Taraneh travaille dans une agence de voyages et Mehran dans un café. Le couple n’est pas marié mais vit ensemble depuis plusieurs mois.
Oui, et alors ? Taraneh et Mehran sont Iraniens et, dans leur pays, la cohabitation de couples non mariés reste taboue.
Taraneh et Mehran font partie du nombre croissant de jeunes Iraniens qui vivent ensemble sans être mariés pour faire un essai, un phénomène surnommé « mariage blanc » (« ezdevaj sefid »).
« Nos parents le savent. Les autres membres de notre famille ont essayé de le savoir, mais nous nous efforçons de leur cacher, car [nous savons] que ce n’est pas compatible avec leurs mentalités traditionnelles », a déclaré Mehran à MEE.
« Nos parents le savent. Les autres membres de notre famille ont essayé de le savoir, mais nous nous efforçons de leur cacher, car [nous savons] que ce n’est pas compatible avec leurs mentalités traditionnelles »
- Mehran
« Cela n’a pour eux aucun sens que deux personnes puissent vivre ensemble sans passer par des procédures formelles. »
Ni Taraneh ni Mehran n’ont souhaité donner leurs noms de famille par crainte de la désapprobation de leurs amis et de leurs proches, ainsi que des autorités. Le couple doit assister aux occasions familiales séparément en raison des exigences de la tradition.
« Presque tous nos amis sont au courant et n’y voient aucun problème, a indiqué Taraneh. Néanmoins, ils nous conseillent parfois en nous disant que ce genre de vie ne sera pas stable et que nous devrions nous décider.
« Ils essaient toutefois de respecter nos choix. »
Un mariage coûteux
En Iran, les mariages sont un processus compliqué et onéreux. Le coût a fortement augmenté en raison de la crise monétaire qui accable l’économie et la population depuis quelques mois.
Le coût typique d’un mariage en Iran est aujourd’hui d’environ 2 000 dollars pour un minimum de 250 invités, selon l’organisation qui gère les lieux d’union en Iran. Cela comprend les fleurs, la décoration, la musique et les services d’un photographe.
Le montant de la dot varie quant à lui d’un couple à l’autre, mais il s’élève généralement à quatorze pièces d’or au minimum (environ 666 millions de rials, soit 16 000 dollars sur le marché des changes secondaire). Il y a en outre le coût du logement, qui a également considérablement augmenté.
Tout cela pour un salaire minimum d’environ 11 dollars par mois en 2017, selon le ministère du Travail iranien.
Ensuite, il y a l’administration. Premièrement, le couple doit être officiellement annoncé en tant que mari et femme en présence d’un « aaqed » ou concluant (membre du clergé) dans un bureau d’enregistrement.
Entre mars 2016 et mars 2017, le nombre de mariages enregistrés a diminué de 8 %
Ensuite, le mariage doit être enregistré par un cabinet d’avocats supervisé par le pouvoir judiciaire. Enfin, les noms des époux doivent être inscrits sur leurs cartes d’identité respectives.
En conséquence, au cours des dernières années, les taux de mariage en Iran ont diminué et les taux de divorce ont augmenté.
Selon l’Organisation nationale d’enregistrement des faits d’état civil, le nombre de mariages enregistrés (609 000) a diminué de 8 % entre mars 2016 et mars 2017. Le taux de divorce (175 000) a augmenté de 7,8 % au cours de la même période, et le taux de natalité a chuté de 7,7 % en glissement annuel.
Pas que l’argent
Le mariage blanc permet aux couples de s’assurer de leur compatibilité avant de commettre une erreur coûteuse susceptible d’entraîner un divorce considéré comme socialement inconvenable. Et bien que la cohabitation puisse être inacceptable pour beaucoup d’Iraniens, elle est répandue, en particulier dans les métropoles comme Téhéran.
Selon Fahimeh Hassanmiri, une célèbre militante des droits des femmes qui a rédigé des articles sur des questions sociales pour des médias tels que Khabaronline, Sazandeghi et Zanane Emrooz, plusieurs facteurs expliquent l’essor du mariage blanc, notamment l’économie et la hausse des prix, y compris celui de l’or.
« Les mariages traditionnels sont devenus très chers, a-t-elle expliqué, de sorte que les garçons et les filles ne peuvent répondre aux attentes des familles. Ils sont dès lors complètement dissuadés de se marier.
« Un autre facteur est le point de vue de la société sur le divorce. Bien que les conditions soient très différentes aujourd’hui de ce qu’elles étaient il y a plusieurs dizaines d’années, la société considère toujours une femme divorcée comme une personne ayant un [grave] problème. Les femmes ont donc peur et tentent de s’évader. »
« Il ne s’agit pas seulement d’argent, a toutefois nuancé Tareneh. Les relations affectives jouent aussi un rôle. La manière dont la société voit les choses est également importante.
« Les restrictions familiales et les traditions restrictives posent de nombreux obstacles sur notre chemin et nous créent beaucoup de problèmes imprévisibles. »
S’aimer dans l’ombre
Un mariage blanc a néanmoins sa part de problèmes, à la fois sociaux et politiques.
« Presque personne n’est prêt à louer sa maison ou son appartement à un jeune homme et une jeune femme célibataires, observe Mehran. Nous devons donc dire que je vis seul, même si parfois des voisins curieux nous importunent et fourrent leur nez dans nos affaires. »
« Mais ces jours-ci, remarque Taraneh, dans une ville surpeuplée comme Téhéran, les gens sont tellement occupés qu’ils n’ont pas vraiment le temps de s’immiscer dans les affaires des autres. »
Il y a aussi la question des déplacements : si une femme célibataire veut réserver une chambre d’hôtel, elle doit présenter une pièce d’identité ou un certificat indiquant si elle est mariée ou non.
La désapprobation des autorités iraniennes ne fait par ailleurs aucun doute, les responsables craignant une forte hausse du phénomène, en particulier dans les grandes villes.
Bien qu’aucune loi n’interdise formellement les mariages blancs, les couples qui ont des relations sexuelles en dehors des liens du mariage s’exposent à de lourdes peines, dont la flagellation.
En novembre 2014, Mohammadi Golpayegani, chef de cabinet du guide suprême d’Iran, a déclaré que tout enfant issu d’un couple non-marié « ne sera plus halal [licite] mais, au contraire, sera [considéré comme] un bâtard ».
Et en janvier 2016, Hadi Sadeghi, chargé de la culture au sein de l’institution judiciaire iranienne, a demandé à « ne pas utiliser les mots ‘’mariage blanc’’ pour cet événement indécent, car il ne s’agit ni d’un mariage ni de [quelque chose de] blanc. Je suggère à la place d’employer les mots ‘’cohabitation noire’’ ».
Seyyed Assadollah Jolaee, le président de l’organisation Blood Money (Diya), la branche du système judiciaire iranien chargée d’organiser les compensations financières pour les victimes de crimes contre la propriété ou le corps, a lui aussi déclaré en octobre 2017 qu’il était erroné de décrire le phénomène comme un « mariage » et que le terme de « cohabitation », tel qu’utilisé en France, serait plus précis.
« La modernité a eu de nombreux effets positifs sur l’Iran, mais dans certains cas, comme celui-ci, elle a eu un impact négatif », a-t-il dit.
« Le mariage est un lien sacré et, malheureusement, cette chose sacrée est devenue aujourd’hui un ‘’contrat social’’ par lequel de moins en moins de jeunes sont prêts à s’engager parce qu’il coûte désormais une fortune. »
Essayer avant d’acheter
Mais un mariage blanc affecte-t-il les relations de couple ?
Fahimeh Hassanmiri craint que le secret entourant nécessairement les mariages blancs n’ouvre « la voie aux abus et comportements immoraux ».
Les femmes qui seraient maltraitées dans le cadre d’une telle relation ne peuvent pas porter plainte auprès de la police ou des autorités par peur d’être elles-mêmes inculpées, a-t-elle expliqué. « Les filles sont plus susceptibles d’en faire les frais que les garçons. »
« Nous avons vu beaucoup de nos amis se marier en nourrissant beaucoup d’espoir et d’amour, puis se séparer moins d’un an après »
- Mahran
Taraneh et Mehran sont plus pragmatiques. « Nous avons vu beaucoup de nos amis se marier en nourrissant beaucoup d’espoir et d’amour, puis se séparer moins d’un an après », a déclaré Mehran.
« Vous ne pouvez pas vous imaginer combien d’argent ils ont dépensé pour leurs fiançailles et leur mariage, ainsi que pour d’autres cérémonies traditionnelles, puis après une courte période, ils se sont séparés.
« C’est pour cela que nous avons décidé de vivre d’abord ensemble, pour mieux nous connaître. Ensuite, si nous sommes satisfaits de la situation, nous nous marierons officiellement. »
Traduit de l’anglais (original).
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