Mohammed ben Salmane est un Saddam Hussein des temps modernes. Il doit partir
Tard dans la nuit durant l’été 1988, ma mère a reçu un appel téléphonique à notre résidence au Liban, déjà sous haute sécurité. Mon père était alors au Brésil.
Son état de panique était inexplicable à l’époque, mais j’ai appris par la suite que les services de renseignement brésiliens avaient déjoué une tentative d’assassinat « imminente » contre mon père, un opposant de premier plan du régime baasiste irakien.
Il assistait à un sommet de l’opposition irakienne organisé par le gouvernement dans la capitale Brasilia. Armée de fusils de sniper, de silencieux et d’un tas d’autres équipements tactiques, une équipe d’assassins irakiens avait été arrêtée à proximité du lieu de la conférence avec des photos de la cible.
Une mentalité hystérique
Aussi choquant que cela ait pu paraître, la tentative manquée d’atteinte à la vie de mon père n’a pas surpris ma famille et ce, pour deux raisons. Premièrement, Saddam avait assassiné de nombreuses personnalités de l’opposition irakienne, dont l’oncle de mon père et nombre de ses amis et collègues. Deuxièmement, il avait été condamné à mort par contumace par des tribunaux révolutionnaires baasistes, un honneur réservé uniquement aux opposants les plus influents de Saddam.
Cet incident illustrait la mentalité hystérique du régime et son effronterie dans ses tentatives d’élimination de détracteurs et de dissidents à l’étranger.
Il est désormais manifeste que Mohammed ben Salmane est tout aussi irresponsable, imprévisible et brutal que son sosie baasiste
Lorsque des agents des services de renseignement saoudiens ont enlevé et tué le chroniqueur du Washington Post Jamal Khashoggi, ma première pensée a été que nous avions affaire à un nouveau Saddam. Alors que Saddam était un personnage démoniaque qui a hanté la vie de millions d’Irakiens – et au-delà –, Mohammed ben Salmane, le dirigeant saoudien de facto, semble en être une réincarnation moderne.
Ivre de jeunesse, d’argent et de pouvoir, le prince héritier d’Arabie saoudite est pris d’une folie meurtrière depuis qu’il est sorti vainqueur des « noces pourpres » macabres de la maison des Saoud en 2017.
Comment s’en tirer après un meurtre
Le caractère éhonté de l’assassinat de Khashoggi et l’absence de remords montrent que le prince héritier d’Arabie saoudite est persuadé de pouvoir agir en toute impunité et littéralement s’en tirer après un meurtre. Il aurait pu faire tuer Khashoggi de la même manière qu’il élimine tous les autres dissidents, tels que le cheikh Nimr al-Nimr, le chef de la minorité chiite réprimée qui compte trois millions de représentants dans le royaume. Ce fut également le cas récemment de Turki ben Abdul Aziz al-Jasser, un autre journaliste saoudien dissident qui serait lui aussi mort sous la torture, à peine un mois après Khashoggi.
Les règles du jeu étaient assez simples : il suffisait d’ordonner une « reddition » face à l’Arabie saoudite, de traduire l’accusé en justice sous des accusations factices de terrorisme ou même de « désobéissance au roi », puis de le crucifier en public sous les hourras d’un troupeau de journalistes et d’experts saoudiens. Au lieu de cela, Mohammed ben Salmane a choisi de déchirer la version standard des règles du jeu et de porter le masque d’un Tywin Lannister plus jeune et plus puissant. C’était une déclaration de sa part.
Le recours à une force brutale et à un pouvoir coercitif est après tout la politique emblématique de Mohammed ben Salmane. On en trouve des preuves en Syrie et au Liban, mais en particulier au Yémen, où les Nations unies évoquent la pire catastrophe humanitaire au monde suite à un assaut mené depuis plus de trois ans par les Saoudiens, fruit de l’imagination du prince héritier.
Alors que la monarchie saoudienne, tout comme l’Irak baasiste, a toujours été un régime autocratique brutal qui ne tolère aucune critique, Mohammed ben Salmane a cimenté cette image en contrôlant son peuple par la terreur et l’intimidation, en le traitant comme un ensemble de sujets plutôt que de citoyens, tout en exigeant que le monde regarde ailleurs.
Les critiques timides du Canada contre les violations des droits de l’homme commises par le régime ont entraîné une véritable crise diplomatique avec le régime saoudien en août dernier.
Pendant longtemps, les puissances occidentales ont vu dans le régime de Saddam Hussein une « force de stabilisation » et un contrepoids aux « mesures expansionnistes » de l’Iran. C’est seulement après que Saddam a franchi trop de lignes rouges qu’il est devenu évident qu’il n’en était rien. Sa barbarie est devenue évidente à travers son usage d’armes chimiques, les innombrables fosses communes et la répression sauvage, un héritage qui a ensuite perpétué le bain de sang qui a suivi l’invasion américaine de 2003.
Le soutien apporté au régime saoudien
Si la justification occidentale du soutien apporté à Saddam Hussein semble familière, c’est que cette même rhétorique est désormais employée pour rationaliser celui dont jouit le régime saoudien. La différence est que si Saddam a exécuté et assassiné des dizaines de milliers de personnes, le monde pouvait plaider l’ignorance. Khashoggi a changé la donne : il est désormais manifeste que Mohammed ben Salmane est tout aussi irresponsable, imprévisible et brutal que son sosie baasiste.
Lorsque des responsables et des chefs d’entreprise occidentaux se sont retirés du « Davos du désert » malgré le battage médiatique qui entourait la conférence, le prince héritier a pris la parole devant la délégation russe et les autres délégations présentes : « Maintenant, nous savons qui sont nos meilleurs amis et qui sont nos meilleurs ennemis. »
Les graines de sa rébellion contre ses alliés occidentaux traditionnels ont été semées. Alors qu’il a fallu des décennies à Saddam pour renoncer à ses soutiens, Mohammed ben Salmane suggère déjà une approche de type « c’est comme ça et pas autrement », ne montrant aucun signe de remords. Rappelez-vous qu’il n’a que 33 ans et imaginez ce qu’il pourrait advenir par la suite.
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Mohammed ben Salmane a été présenté comme le dernier espoir de réforme du pays. Bien que l’administration Trump couvre ses arrières vis-à-vis de ce rêve, celui-ci ne se matérialisera jamais. Le prince héritier d’Arabie saoudite finira par décevoir ses alliés, tout comme Saddam.
En tant que victime de la barbarie de ce dernier et témoin de sa cruauté, je n’ai aucun doute que tous deux ont été façonnés dans le même moule autoritaire. Mon père a survécu à la tentative d’assassinat au Brésil, mais d’innombrables autres dissidents n’ont pas eu la même chance. Si nous voulons empêcher Mohammed ben Salmane de suivre les traces de Saddam, il doit partir.
- Sayed Mahdi Modarresi est un écrivain et théologien d’origine irakienne. Il est l’auteur de plusieurs livres sur la théologie et la spiritualité islamiques. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @SayedModarresi
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Photo : le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane et l’ancien dirigeant irakien Saddam Hussein (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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