Jocelyne Saab : l’art au service de la paix
Le 13 avril 1975, un bus chargé de Palestiniens est attaqué par des milices phalangistes libanaises. Cette histoire marque le début de la guerre civile au Liban et les prémices de la carrière de réalisatrice de Jocelyne Saab.
Menaces de mort
L’œuvre de Jocelyne Saab, née à Beyrouth le 30 avril 1948, a été engagée et résolument militante dans sa documentation de la guerre civile libanaise. Caméra à la main, elle tourne en 1975 son premier film, Le Liban dans la tourmente, pour lequel elle traverse les rues de la capitale libanaise, des bureaux du parti des phalangistes chrétiens jusqu’aux camps réservés aux Palestiniens en périphérie de la ville.
Elle y interroge responsables politiques et chefs de partis et de milices sur la terreur qui s’est emparée de la ville et capte les regards hagards de Palestiniens et de Libanais. Le film sort à Paris mais tombe sous le coup de la censure au Liban.
Le 18 janvier 1976, le bidonville de Karantina, à Beyrouth-Est, est envahi par les milices chrétiennes libanaises, entraînant le massacre de 1 000 à 1 500 musulmans, en majorité Kurdes, Syriens et Palestiniens.
Ce tragique épisode de la guerre civile libanaise inspire à Jocelyne Saab Les Enfants de la guerre, dans lequel elle raconte la vie des jeunes survivants du massacre. Sa caméra donne alors à voir les jeux d’enfants mimant les armes des adultes et les corps gisants au sol. À la diffusion du film au Liban en 1976, elle sera menacée de mort par les milices chrétiennes.
L’engagement de la réalisatrice libanaise ne s’arrête pas au pays du Cèdre. Dans Dunia Kiss Me Not On The Eyes (2005), Jocelyne Saab met notamment en scène une jeune femme qui souhaite danser et étudier la poésie soufie dans un Caire engouffré dans le fondamentalisme religieux. Jocelyne Saab est de nouveau menacée de mort, cette fois par les fondamentalistes égyptiens.
Artisane de la paix et de la mémoire
Réalisatrice, journaliste, photographe, plasticienne et activiste, Jocelyne Saab a œuvré pour la paix, comme en témoigne son parcours cinématographique. Dans Lettre de Beyrouth (1978), elle traverse la capitale en bus d’est en ouest, au mépris des frontières créées par la guerre, montrant des Beyrouthins de toutes confessions et communautés dans leur vie quotidienne, se croiser dans les transports, regretter la guerre et s’appeler frères.
En 1991, le Parlement libanais adopte un projet de loi d’amnistie générale portant sur tous les crimes politiques commis durant la guerre civile. Ceux qui étaient des chefs de milice pendant le conflit deviennent alors les leaders des principaux partis politiques du Liban.
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Jocelyne Saab s’attelle alors à redonner une mémoire à son pays devenu amnésique, en réunissant tous les films libanais de l’histoire du cinéma. Un travail qui constituera un premier fond pour la création d’une cinémathèque nationale.
Sa dernière réalisation, un ouvrage photographique intitulé Zones de guerre, retrace chronologiquement sa carrière. L’habituée des images animées nous fournit là un ultime chef-d’œuvre d’images fixes qui témoigne de cinq décennies de conflits dans le monde, et en particulier au Moyen-Orient. Elle y saisit l’histoire des conflits dans leurs blessures, leurs oublis, leurs joies et leurs renaissances. Le dernier regard aimant d’une artiste engagée.
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