Dachra, le premier film d’horreur 100 % tunisien
TUNIS – « J’essaie encore de m’en remettre ! » Alors que Dachra (petit village en arabe), premier film d’horreur tunisien, sort dans les salles du pays ce mercredi 23 janvier, Rihab, 24 ans, est encore sous le choc de l’avant-première à laquelle il a assisté il y a… plus d’une semaine, à la Cité de la Culture à Tunis.
Sa projection avait attiré 1 800 personnes au moment où des milliers de supporters célébraient, dans les rues de la capitale, le centenaire de l’Espérance, un célèbre club de football.
Dachra, qui est aussi le premier long métrage d’Abdelhamid Bouchnak, le fils du chanteur Lotfi Bouchnak, a de quoi intriguer. Véritable ovni au milieu des films réalistes souvent centrés sur des drames autour de l’intime, il se place aussi à contre-courant des comédies telles que Porto Farina, sorti en salle il y a une semaine.
Le film, qui a été présenté aux Journées cinématographiques de Carthage (JCC), emmène le spectateur sur les pas de Yasmine, Walid et Bilel, jeunes étudiants en journalisme censés réaliser une enquête « exclusive ». Dans une salle de classe poussiéreuse où sont entassés des livres, signe d’un passé déjà archaïque, le professeur leur lance : « Pas de sujet sur la révolution, je n’ai eu que ça l’année dernière ».
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Le ton est donné. Dachra n’est ni un film sur la révolution, ni un film sur la dictature. Il puise dans les peurs ancestrales des Tunisiens : des sorcières, des kidnappeurs d’enfants avec une tâche dans les yeux ou une ligne verticale sur la main.
« On en a tous entendu parler étant enfants. La légende dit que le sang de ces enfants ‘’spéciaux’’ est capable d’amener celui qui le boit jusqu’à un trésor. Mon grand-père me racontait ce genre d’histoires. Du coup, avec le film, on a envie de creuser un peu plus », témoigne Meriem, une psychologue de 30 ans, en marge de l’avant-première.
« Les Américains avaient du mal à croire à l’existence de ces superstitions »
- Abdelhamid Bouchnak, réalisateur de Dachra
Yasmine, Walid et Bilel, qui passent plus de temps à plaisanter qu’à travailler, enquêtent sur un crime commis 25 ans plus tôt qui va les mener au cœur d’un cauchemar dont ils vont avoir du mal à ressortir vivants.
« Tout a commencé par la lecture d’un fait divers dans les journaux à Montréal », raconte Abdelhamid Bouchnak à MEE. « J’ai ensuite développé le film. Ce qui fait sa force, c’est son identité tunisienne. Il explore des croyances autour de rites qui existent encore dans le Maghreb ou encore d’anciens rites puniques. Quand j’ai présenté le film dans certains festivals aux États-Unis, les Américains avaient du mal à croire à l’existence de ces superstitions. »
Petit Chaperon rouge et sacs imbibés de sang
Il y a huit ans, il commence à écrire les prémices du scénario : Mongia, une femme retrouvée la gorge à moitié tranchée sur le bord d’une route, passe vingt ans dans un asile psychiatrique sans que l’on sache ce qui lui est arrivé.
C’est à partir de ce personnage que les trois étudiants vont mener leur enquête et tomber dans un petit village où surviennent des faits étranges.
« Pour un film tunisien, il est super. J’ai eu vraiment peur à certains moments et j’ai trouvé que c’était très original ! », commente Meriem.
Une enfant qui semble ne jamais vieillir, habillée comme le Petit Chaperon rouge, des femmes silencieuses qui passent leur temps à cuisiner une viande à l’odeur bizarre, un villageois trop amical qui sort la nuit avec des sacs imbibés de sang… tous les détails de Dachra effraient et donnent le ton de la suite du film qui vire parfois au gore.
La production de Dachra aussi a son histoire dans un environnement difficile où les financements se font rares. « Le film a été entièrement réalisé sur la base de fonds propres avec un budget de 100 000 dinars [environ 30 000 euros]. Nous avons produit, tourné et monté le film en trois semaines », raconte Abdelhamid Bouchnak.
« Je n’ai même pas déposé le dossier au ministère de la Culture pour une demande de subventions. Je voulais montrer qu’il était possible de faire ce film seul »
- Abdelhamid Bouchnak
Distribué par Hakka, qui fait de la promotion des films locaux une priorité, le film a été aussi coproduit avec Shkoon Productions et SVP, deux jeunes sociétés de production. « Les jeunes cinéastes ont compris qu’il faut aller vers une certaine indépendance pour tenter des expériences. Cela a été le cas avec The Last of Us d’Alaeddine Slim, qui a ouvert la voie. Je n’ai même pas déposé le dossier au ministère de la Culture pour une demande de subventions. Je voulais montrer qu’il était possible de faire ce film seul. »
Si ce dernier pêche parfois par certaines incohérences de scénario et des lenteurs, son esthétique grisâtre et froide, l’angoisse qui s’installe progressivement et des personnages attachants ont le mérite d’en faire un film à part dans le cinéma tunisien.
Au-delà d’une histoire authentique ficelée autour de croyances populaires, le film montre également des jeunes acteurs en phase avec leur époque. L’altercation entre Yasmine et son grand-père qui veut lui faire voir un cheikh pour lutter contre ses cauchemars montre la rébellion des jeunes face aux croyances de la société.
Le film, non dénué d’humour, rend aussi hommage au genre – la scène de la douche rappelle Psychose d’Alfred Hitchcock.
« Il est parfois un peu tiré par les cheveux », relève Bedis, 40 ans, professionnel du marketing, à la sortie de l’avant-première. « Mais tous les ressorts dramatiques autour des croyances populaires sont très bien trouvés. Le fait que la salle soit comble montre qu’il y a une curiosité pour autre chose. Nous ne sommes pas habitués, en tant que Tunisiens, à ce genre de film ! »
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