Un opposant saoudien pense avoir échappé au même sort que Khashoggi à Beyrouth
Maan al-Jaraba est le chef du mouvement d’opposition saoudien Harakat al-Karama (Mouvement de la dignité). Il appartient à une influente famille sunnite, qui a des liens par alliance avec la dynastie des Saoud, et qui est issue de l’une des plus grandes tribus arabes, les Choummar, disséminée entre les pays du Golfe, l’Irak, la Syrie, la Palestine et le Liban.
S’il affirme respecter les enseignements du cheikh chiite saoudien Nimr Baqr al-Nimr, considéré comme une figure de la contestation en Arabie saoudite (cet uléma a été décapité par les autorités de son pays début janvier 2016), cheikh al-Jaraba revendique de fortes affinités avec les idées de l’ancien raïs égyptien, Gamal Abdel Nasser.
Le piège qui aurait été tendu à Cheikh al-Jaraba, lequel prône l’instauration d’une Constitution et des élections démocratiques dans le royaume, a été révélé par le journaliste libanais Abdallah Kamah dans une enquête publiée par le site Lebanon Debate le lundi 21 janvier.
Contactée par Middle East Eye, une source proche de l’opposant saoudien, qui dirige également un site appelé The Saudi Reality, a indiqué que les faits se sont produits une dizaine de jours avant l’assassinat sauvage de Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, le 2 octobre 2018.
« Après avoir été boycotté pendant des années, Cheikh Maan a été contacté par des fonctionnaires de l’ambassade saoudienne à Beyrouth qui ont proposé d’établir un dialogue pour le ramener au bercail », précise la source qui a requis l’anonymat.
Rencontre avec des fonctionnaires de l’ambassade
Après plusieurs conversations téléphoniques, le fonctionnaire de l’ambassade en charge du contact avec l’opposant saoudien lui a proposé une « réunion de travail ». Cheikh al-Jaraba a accepté le principe de la rencontre, à condition qu’elle ait lieu dans un lieu neutre et public, comme un restaurant ou un café.
« Les fonctionnaires de l’ambassade qui l’ont accueilli ont été surpris par la présence des gardes du corps, ils pensaient que le cheikh viendrait seul. Pourtant, ils étaient eux-mêmes entourés d’un plus grand nombre de gardes »
- Une source proche de Maan al-Jaraba
« Après de longues palabres, il a été convenu que la rencontre aurait lieu dans une maison appartenant à l’ambassade saoudienne à Beyrouth », précise la source à Middle East Eye.
Le jour J, l’opposant se rend sur les lieux du rendez-vous accompagné, dans sa voiture, de trois gardes du corps armés et d’une protection plus éloignée, plus discrète, et plus importante.
« Les fonctionnaires de l’ambassade qui l’ont accueilli ont été surpris par la présence des gardes du corps, ils pensaient que le cheikh viendrait seul, poursuit la source. Pourtant, ils étaient eux-mêmes entourés d’un plus grand nombre de gardes. »
Ses interlocuteurs ont essayé de le convaincre de rentrer en Arabie saoudite pour poursuivre ses activités à partir de là-bas en « toute liberté ». Ils lui ont reproché sa défense de la « Résistance » (anti-israélienne) et le soutien iranien qu’il recevait selon eux, estimant que cela portait préjudice au royaume et à sa réputation.
Après avoir vanté les « réformes » entreprises par les dirigeants du royaume, notamment le prince héritier Mohammed ben Salmane, ils l’ont vivement invité à joindre ses efforts pour construire « l’Arabie de demain ». L’opposant a évidemment décliné l’offre et la réunion s’est terminée sur une promesse d’organiser d’autres rencontres pour poursuivre le dialogue.
Quelques jours plus tard, le journaliste saoudien Jamal Khashoggi était assassiné après avoir été attiré au consulat saoudien à Istanbul, où l’attendait une équipe de tueurs envoyés d’Arabie saoudite.
« Après ce qui s’est passé à Istanbul, l’entourage de Cheikh al-Jaraba était convaincu qu’il avait échappé de justesse à un sort similaire, affirme la source. Sa prévoyance et sa méfiance l’ont poussé à se faire accompagner par des gardes. C’est peut-être cela qui l’a sauvé. »
« Après ce qui s’est passé à Istanbul, l’entourage de Cheikh al-Jaraba était convaincu qu’il avait échappé de justesse à un sort similaire. Sa prévoyance et sa méfiance l’ont poussé à se faire accompagner par des gardes. C’est peut-être cela qui l’a sauvé »
- Une source proche de Maan al-Jaraba
Après l’assassinat de Khashoggi, Maan al-Jaraba n’a plus eu de contacts avec les fonctionnaires de l’ambassade d’Arabie saoudite à Beyrouth.
Le rapt de Nasser Saïd
De nombreux opposants saoudiens sont installés dans la capitale libanaise qui abrite, en outre, le siège d’une chaîne de télévision, Al-Nabaa, dirigée par le célèbre opposant chiite Fouad Ibrahim, lui-même basé à Londres.
C’est aussi à Beyrouth que l’un des plus célèbres détracteurs de la dynastie des Saoud, l’écrivain Nasser Saïd, auteur, entre autres, d’un ouvrage de référence (L’Histoire des Saoud), a été enlevé par des agents saoudiens pour ne plus jamais donner signe de vie.
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Ce rapt, digne d’un roman policier, s’est déroulé le 17 décembre 1979, alors que le Liban était en pleine guerre civile. À cette époque, le royaume était encore secoué par l’occupation de la grande mosquée de la Mecque par le fondamentaliste Juhayman al-Oteibi, à la tête de plusieurs dizaines d’hommes armés, et par un soulèvement chiite dans la région orientale.
Nasser Saïd, qui vivait à Damas, se rend à Beyrouth pour une série d’interviews avec des médias arabes et occidentaux. Il aurait été enlevé en plein jour dans la célèbre rue Hamra, après avoir été drogué. Les agents saoudiens auraient bénéficié de la complicité d’un haut responsable du Fatah de Yasser Arafat, Abou Zaïm.
L’opposant saoudien a été transporté à l’aéroport de Beyrouth pour être embarqué à bord d’un avion à destination de l’Arabie saoudite. Les récits, jamais vérifiés, disent qu’il a été jeté d’une altitude de dix-mille pieds. Son corps n’a jamais été retrouvé.
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