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Politique fiction : pour son cinquième mandat, le président Bouteflika vous remercie « chaleureusement » 

Et si les manifestations du 22 février 2019 n’avaient pas entraîné une mobilisation populaire inédite dans l’histoire de l’Algérie ? Abdelaziz Bouteflika serait resté au pouvoir. Voilà à quoi auraient pu ressembler les deux années qui viennent de s’écouler… 
En son absence lors des meetings, les partisans du président déchu Abdelaziz Bouteflika avaient pour habitude d’installer une photo géante de lui (AFP)
En son absence lors des meetings, les partisans du président déchu Abdelaziz Bouteflika avaient pour habitude d’installer une photo géante de lui (AFP)

Alors qu’il s’apprête à entamer la troisième année de son cinquième mandat, le président Abdelaziz Bouteflika* a tenu à « remercier » les Algériens pour « leur confiance » dans un message à l’occasion de la journée du Chahid (martyr) du 18 février, lu par son frère-conseiller et nouveau secrétaire général du parti FLN (majorité présidentielle), Saïd Bouteflika*.

Pour rappel, le frère cadet du président avait été imposé au lendemain de la présidentielle d’avril 2019 à la tête du vieux parti pour asseoir le contrôle total de la plus importante machine électorale du pays, présente en force dans la majorité des assemblées locales et nationales. 

La cérémonie de ce 18 février s’est déroulée dans une salle comble, au complexe sportif Mohamed Boudiaf sur les hauteurs d’Alger, là où, le 9 février 2019, les partis dit de « l’allégeance » (FLN, RND, TAJ et MPA), qui maintiennent toujours leur emprise sur le Parlement et le gouvernement, avaient annoncé soutenir un cinquième mandat de l’actuel chef de l’État.  

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L’élection présidentielle d’avril 2019 a ressemblé à celle de 2014 et à celle de 2009, avec un candidat assuré de se succéder à lui-même, comme au temps du parti unique du FLN de 1962 à 1989, et son absence physique durant toute la campagne. 

Ses fidèles, comme en 2014, se sont chargés de tenter de venir à bout de la morosité d’une campagne sans enjeux et sans suspense. 

L’opposition politique, cantonnée à s’époumoner entre les quatre murs du Parlement ou des sièges de partis encerclés par les forces anti-émeutes, fut tout simplement écrasée par les scores soviétiques de l’élection d’avril 2019. De prochaines lois sur les partis et le fonctionnement du Parlement, selon nos sources, finiront de paralyser toute opposition légaliste en Algérie. 

Le nouveau ministère de la Sécurité intérieure et des Frontières

La pression exercée sur l’activisme de la société civile, qui a tenté de se mobiliser sur les réseaux sociaux, a été maintenue durant des mois par le nouveau ministère de la Sécurité intérieure et des Frontières (MSIF, appelé par les Algériens « B’ssîf », « par la force ») et ses nombreuses brigades de cyber-surveillance. 

L’impitoyable traque des « contenus subversifs » – pour reprendre les termes du secrétaire général de la présidence, Ahmed Ouyahia* – se poursuit avec une rare férocité, notent des ONG des droits de l’homme à l’étranger – les ONG algériennes étant désormais interdites d’exercer sur ordre du MSIF depuis la réélection d’Abdelaziz Bouteflika.

Cette même « vague de répression », regrette Reporters sans frontières, a également frappé les prestigieux journaux privés : comme par exemple El Watan et El Khabar, asphyxiés économiquement (leurs imprimeries ont été nationalisées et leurs recettes publicitaires réduites à zéro), qui ont été poussés à la fermeture, achevant ainsi dans la douleur le cycle de l’ouverture médiatique entamée à la fin des années 1980. 

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Par ailleurs, aucune accréditation pour un média étranger n’a été accordée, depuis fin 2019, par le ministre de la Communication et de la Culture, Azzedine Mihoubi*, consacrant ainsi la fermeture totale du pays aux médias étrangers. 

Ce ne sont donc que des médias publics et privés proches du pouvoir qui ont pu couvrir la lecture par Saïd Bouteflika du message présidentiel dans la salle de la Coupole en ce 18 février. 

Le président étant totalement absent de la scène publique depuis au moins 2013, les seules et dernières images datent de décembre 2020, lors de l’inauguration de la Grande mosquée d’Alger, la troisième plus grande du monde, où les Algériens ont découvert un homme avachi sur son fauteuil roulant poussé par un agent du protocole, sans un mot ni un regard pour la caméra. 

Ali Haddad, futur président ! 

Le frère et conseiller spécial du chef de l’État a donc lu un message présidentiel qui ne comportait aucune annonce pertinente. On y glorifiait le « bilan » des deux premières années du cinquième mandat sous les applaudissements d’une salle acquise, peuplée par les hauts responsables et des affidés du régime, la fameuse « société civile » pro-pouvoir. 

Le discours a rendu hommage, en cette journée mémorielle des sacrifices des combattants algériens de la lutte contre la colonisation, à l’armée algérienne, « digne héritière de l’Armée de libération nationale ». Un signe de reconnaissance au nouveau vice-président, ministre d’État, ministre de la Défense et des Industries militaires et chef d’état-major, le général de corps d’armée Abdelghani Hamel*, ex-puissant patron de la police. 

Dans ce même message à la nation, le président Bouteflika, qui bouclera le 2 mars ses 84 ans, a vanté les « exploits d’une économie algérienne en plein essor », arrachant un large sourire de contentement à Ali Haddad*, ex-patron des patrons, nommé depuis un an à la tête d’un super-ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Investissement. 

L’ancien président de l’ex-FCE, principale organisation patronale du pays, Ali Haddad, PDG du n°1 privé du BTP algérien, est aujourd'hui en prison, condamné dans plusieurs affaires (AFP)
L’ancien président de l’ex-FCE, principale organisation patronale du pays, Ali Haddad, PDG du n° 1 privé du BTP algérien, est aujourd'hui en prison, condamné dans plusieurs affaires (AFP)

Même si le pays, quasiment en banqueroute, semble obligé d’aller désormais toquer à la porte du Fonds monétaire international (FMI) pour un endettement d’urgence, le sourire ne s’efface pas sur le visage de celui qui, à travers ses médias et ses nombreux relais, compte gravir plus vite les échelons de la décision. 

« Haddad, jeune entrepreneur maturé de l’esprit de l’État, président de l’Algérie pour 2024, pourquoi pas ?! », assurent ses supporteurs. 

« Rien ne l’empêchera de briguer la fonction suprême malgré une situation économique explosive », atteste un analyste économique, qui énumère les différentes mesures prises récemment pour tenter de sauver une économie moribonde, de la privatisation en masse de toutes les banques publiques au démantèlement de la Sonatrach, la major pétrolière, sans oublier le détachement de certaines industries militaires au profit de groupes privés. 

Des mesures défendues âprement par le ministre des Exportations et du Commerce extérieur, Abdeslam Bouchouareb*, également patron du RND. « Les orientations économiques présidentielles sont révolutionnaires et inédites, il faut casser les tabous d’une économie rentière. » 

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« Les centaines de milliers d’employés licenciés en quelques mois apprécieront », a réagi le Collectif des syndicats autonomes algériens, dorénavant condamné à la clandestinité depuis les décrets du MSIF, pendant que des centaines d’émeutes et de manifestations secouent le pays depuis des mois pour dénoncer la politique d’austérité et de « bradage » du secteur public.             

De toute les manières, « l’après-Bouteflika » qui s’esquisse pudiquement dans les rangs du régime semble s’imposer peu à peu, même « si personne n’ose encore défier publiquement le néo-makhzen [pouvoir central] politico-sécuritaire que les Bouteflika ont mis en place », note un observateur algérois. 

Mais dans cette grande salle omnisports dont l’espace était saturé par les gigantesques affiches du chef de l’État, l’heure n’était pas aux calculs macbéthiens. 

La Casbah ? Rasée !

Le message présidentiel s’est notamment réjoui du « projet du siècle », dont le contrat vient d’être signé cette semaine avec les Émirats arabes unis pour la construction d’un « super complexe touristique » composé de gratte-ciel et d’une marina à la place de la Casbah d’Alger qui sera, finalement, complétement rasée, malgré les protestations d’une partie de la société civile et d’instances internationales. 

« Les critiques contre ce projet phare, décidé par son excellence monsieur le président de la République, émanent des ennemis traditionnels de l’Algérie », a tranché, avant-hier, le Premier ministre Abdelmalek Sellal*. 

Ce dernier, et les autres hauts responsables de l’État, se sont levés comme un seul homme pour applaudir la conclusion du discours du président Bouteflika, qui, en renouvelant ses « chaleureux remerciements » aux Algériens qui l’ont élu pour une cinquième fois consécutive, a promis « de continuer, jusqu’à son dernier souffle, d’assumer son devoir envers le pays ». 

* Dans la vraie vie…

Abdelaziz Bouteflika a été obligé de quitter ses fonctions le 2 avril 2019 après de gigantesques manifestions entamées le 22 février de la même année pour protester contre un cinquième mandat.

Saïd Bouteflika a été jugé puis innocenté par le tribunal militaire pour « complot » contre l’État et l’armée. Il est toujours en prison pour d’autres affaires, notamment pour avoir influé sur le déroulement de la justice.

Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia, deux ex-Premiers ministres de Bouteflika, sont en prison, condamnés pour plusieurs affaires de corruption, à l’instar de l’ex-patron de la police, le général-major Abdelgani Hamel et de l’homme d’affaires Ali Haddad.

Abdeslam Bouchouareb, l’ex-ministre de l’Industrie, condamné pour des affaires de corruption par contumace, est toujours en fuite à l’étranger. 

L’ancien ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, a comparu en décembre dernier comme témoin dans des affaires de corruption touchant son secteur. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Adlène Meddi est un journaliste et écrivain algérien. Ex-rédacteur en chef d’El Watan Week-end à Alger, la version hebdomadaire du quotidien francophone algérien le plus influent, collaborateur pour le magazine français Le Point, il a co-écrit Jours Tranquilles à Alger (Riveneuve, 2016) avec Mélanie Matarese et signé trois thrillers politiques sur l’Algérie, dont le dernier, 1994 (Rivages, sortie le 5 septembre). Il est également spécialiste des questions de politique interne et des services secrets algériens.
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