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Face à l’agressivité de l’Algérie, le Maroc se prépare à un affrontement

Le régime marocain n’a jamais été aussi déterminé à contrecarrer la menace militaire algérienne et serait disposé à répondre militairement si jamais les généraux algériens décidaient d’enclencher les hostilités
Photo prise lors du plus grand exercice annuel du commandement militaire américain pour l’Afrique, African Lion 21, co-organisé par l’armée marocaine (FAR), en juin 2021 (AFRICOM)
Photo prise lors du plus grand exercice annuel du commandement militaire américain pour l’Afrique, African Lion 21, co-organisé par l’armée marocaine (FAR), en juin 2021 (AFRICOM)

Depuis que l’Algérie a annoncé fin août la rupture de ses relations diplomatiques avec le Maroc, son agressivité envers Rabat va crescendo.

Elle a d’abord fait savoir qu’elle ne renouvellerait pas l’accord pour l’exploitation du gazoduc Maghreb-Europe (acheminant du gaz en Espagne mais permettant au Maroc de s’approvisionner).

Elle a ensuite annoncé la fermeture de son espace aérien à tous les avions civils et militaires marocains ainsi qu’aux aéronefs portant un numéro d’immatriculation marocain.

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Le 28 septembre, c’est le chef d’état-major de l’armée algérienne, Saïd Chengriha, qui s’en est violemment pris au Maroc en accusant le royaume d’ourdir des « conspirations » contre l’Algérie et de « porter atteinte à l’unité » du peuple algérien « en semant la discorde et la division en son sein ».

« L’attachement de l’Algérie à ses principes et sa détermination à ne guère en dévier dérangent le régime du makhzen [le pouvoir au Maroc] et entravent la concrétisation de ses plans douteux dans la région », a-t-il déclaré.

Dans ce contexte, il est désormais impossible de croire que Mohammed VI pourrait uniquement se contenter d’exercer une influence via le soft power du consensus et de la coopération régionale.

Nous ne sommes plus dans les discours : ni celui de décembre 2019, dans lequel le monarque marocain appelait le président Tebboune fraîchement élu à « ouvrir une nouvelle page dans les relations entre les deux pays voisins sur la base de la confiance mutuelle et du dialogue constructif », ni celui d’août 2021, dans lequel il appelait encore le chef d’État algérien à « œuvrer à l’unisson au développement des rapports fraternels ».

Le roi, engagé sur la voie militaire

Il semblerait même que derrière la fameuse politique de la « main tendue » du régime marocain, se cache vraisemblablement une stratégie souterraine visant à pousser les généraux algériens à enclencher les hostilités.

Mohammed VI, chef suprême des armées et chef d’état-major des Forces armées royales (FAR) selon la Constitution, semble lui aussi très engagé sur la voie militaire pour défendre les frontières du royaume dans les régions du sud.

Après avoir choisi de rallier les militaires, en janvier 2020, en leur confiant la gestion de la sécurité des palais et de la cité royale à la place de la gendarmerie royale et la Sûreté nationale – cette manœuvre mûrement réfléchie visait à neutraliser les militaires qui avaient d’ailleurs déjà tenté de renverser le régime sous le règne de Hassan II –, le roi a ensuite accéléré la modernisation de l’appareil militaire, surtout après le Printemps arabe et le renversement de plusieurs régimes autoritaires dans la région.

La nomination de Belkhir El Farouk au poste d’inspecteur général des FAR, lui qui a pris part à plusieurs guerres au Sahara occidental, serait un signal fort envoyé à Alger 

Cela s’est traduit dans les faits par une restructuration de l’appareil de défense sous l’égide du général de corps d’armée Abdelfettah El Ouarrak, nommé en janvier 2017 inspecteur général des FAR par le roi, qui n’a pas remplacé son prédécesseur, le général Aroub, au poste de commandant de la zone sud.

La mission principale de ce militaire de haut rang a été d’assurer la supervision opérationnelle de la rénovation de l’appareil militaire avec un budget colossal estimé, en 2020, à environ 4,5 % du PIB national.

En 2018, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), des pays comme Israël (4,3 %), les États-Unis (3,2 %) ou la Turquie (2,5 %), pourtant impliqués dans des zones de conflits, ne se sont pas montrés aussi généreux que le Maroc avec leur appareil de défense.

Cette étape étant franchie, le roi semble avoir amorcé une nouvelle stratégie de hard power qui tend à imposer subrepticement la volonté de Rabat à Alger à l’aide de moyens militaires et économiques. Une stratégie similaire que la diplomatie algérienne adopte, depuis bien longtemps, pour contenir les manœuvres de la diplomatie marocaine.

Ainsi, on ne compte plus les fois où l’armée algérienne a décidé d’organiser d’importantes manœuvres militaires – dans chacune de ses régions militaires, notamment à la frontière marocaine –, comme celles tenues en janvier 2021 avec le soutien de la Russie.

Selon le rapport annuel du SIPRI publié en 2021, le Maroc est devenu le troisième importateur d’armes en Afrique, derrière l’Égypte et l’Algérie.

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Déterminé à contrer la diplomatie algérienne sur le terrain militaire, le régime marocain semble préparé à tout affrontement. Pour preuve : le roi a nommé le 16 septembre le général de corps d’armée Belkhir El Farouk au poste d’inspecteur général des FAR.

À en croire le communiqué du ministère de la Maison royale, du Protocole et de la Chancellerie, cette nomination est due « aux compétences professionnelles et [à] l’esprit élevé de responsabilité du général ».

Lauréat de l’Académie royale militaire (infanterie), le général Belkhir El Farouk a été également nommé commandant de la zone sud, où il a servi pendant 40 ans, un poste pratiquement vacant depuis 2017.

Le choix de ce haut gradé, qui a d’ailleurs pris part à plusieurs guerres au Sahara occidental, serait un signal fort envoyé à Alger : Rabat serait disposé à réagir par voie de représailles si jamais les généraux algériens décidaient d’élever le ton et d’enclencher les hostilités.

Par ailleurs, selon nos informations, les Américains seraient derrière la nomination du nouveau patron des FAR. Le général Farouk s’est notamment distingué par son engagement indéfectible lors de l’exercice African Lion 21, premier exercice annuel conjoint du Commandement des États-Unis pour l’Afrique, qui a débuté au Maroc en juin 2021.

Joutes diplomatiques

Sur la scène diplomatique, les tensions se sont récemment déportées à l’Assemblée générale annuelle de l’ONU, où les chefs de la diplomatie des deux pays, Ramtane Lamamra pour l’Algérie et Nasser Bourita pour le Maroc, ont échangé lundi de vives critiques.

« L’organisation d’un référendum libre et équitable pour permettre » au peuple sahraoui de « déterminer son destin et de décider de son avenir politique ne peut rester à jamais l’otage de l’intransigeance d’un État occupant qui a failli à plusieurs reprises à ses obligations internationales », a dit le ministre algérien.

Pour le chef de la diplomatie marocaine, qui s’est exprimé à l'ONU via une vidéo pré-enregistrée, l'Algérie, « responsable de la création et de la poursuite de ce conflit », doit « endosser pleinement ses responsabilités », a-t-il ajouté, en réclamant, allusion aux indépendantistes du Front Polisario établis sur le territoire algérien, qu’Alger arrête de protéger « un groupe armé séparatiste en violation flagrante du droit international humanitaire ».

Alors que le royaume revendique sa souveraineté sur le Sahara occidental, le Front Polisario prône l’indépendance du peuple sahraoui, avec le soutien d’Alger. Et face à la solution marocaine de l’« autonomie élargie », le Polisario défend le droit à l’autodétermination.

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Ces joutes diplomatico-médiatiques inopportunes sont survenues juste après l’organisation de l’African Lion 21 mais aussi juste après le renforcement de la coopération militaire entre Rabat et Washington.

Le royaume continue ainsi de bénéficier du soutien des Américains, surtout après la reconnaissance par l’ex-président des États-Unis, Donald Trump, de la marocanité du Sahara, en échange de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël.

De fait, le régime de Mohammed VI semble convaincu qu’il serait suffisamment « couvert » par deux puissances mondiales (les États-Unis et Israël), et non des moindres, pour pouvoir tenir tête aux généraux algériens qui épaulent le Front Polisario.

Mais la guerre des Sables, qui avait éclaté en 1963 en raison du différend frontalier entre les deux pays, hante encore les esprits.

Le conflit lié au Sahara occidental continue donc d’envenimer les relations diplomatiques entre le Maroc et l’Algérie, et préside jusqu’à aujourd’hui aux dispositifs et tactiques des protagonistes, risquant de réveiller les vieux démons de la guerre.   

Surtout qu’à la veille de la nomination du nouvel émissaire spécial des Nations unies pour le Sahara occidental, le Suédois Staffan de Mistura, et alors que les négociations entre le Maroc et le Front Polisario sont au point mort, les voix qui prêchent l’apaisement et la conciliation n’ont aucun écho.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Aziz Chahir is an associate researcher at the Jacques-Berque Center in Rabat, and the secretary general of the Moroccan Center for Refugee Studies (CMER). He is the author of Who governs Morocco: a sociological study on political leadership (L'Harmattan, 2015). Aziz Chahir est docteur en sciences politiques et enseignant-chercheur à Salé, au Maroc. Il travaille notamment sur les questions relatives au leadership, à la formation des élites politiques et à la gouvernabilité. Il s’intéresse aussi aux processus de démocratisation et de sécularisation dans les sociétés arabo-islamiques, aux conflits identitaires (le mouvement culturel amazigh) et aux questions liées aux migrations forcées. Consultant international et chercheur associé au Centre Jacques-Berque à Rabat, et secrétaire général du Centre marocain des études sur les réfugiés (CMER), il est l’auteur de Qui gouverne le Maroc : étude sociologique sur le leadership politique (L’Harmattan, 2015).
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