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Après le 2e tour des élections iraniennes, le président Rohani renforce sa mainmise sur le pouvoir

Les résultats des élections législatives consolident l’avantage de Rohani mais accroissent sa dépendance aux réformistes et à Rafsandjani

La conclusion du deuxième tour des élections au Majlis (Parlement) à la fin du mois dernier a significativement conforté la liste « Espoir » (Omid), alliée au président iranien Hassan Rohani.

En obtenant 38 sièges supplémentaires, alors que le camp des conservateurs/principlistes n’en remporte que 18 de plus, les alliés de Rohani ont assurément brisé la domination de ces derniers au Majlis.

Par ailleurs, les très bons scores des candidats ostensiblement « indépendants » (ils ont obtenu 12 sièges supplémentaires au deuxième tour) renforcent la base de son soutien centriste/réformiste, donnant aux alliés de Rohani une mince majorité au Parlement.

Ce résultat, meilleur que prévu pour les alliés de Rohani, est incontestablement un revers majeur pour les factions conservatrices et principlistes, fortement opposées aux politiques du président, tant intérieures qu’à l’étranger.

Cette mince majorité au Parlement (si tant est que les « indépendants » pèsent de tout leur poids en faveur du gouvernement), permet à Rohani de poursuivre d’autant plus facilement sa politique de main tendue à l'Occident et, plus important encore, de superviser la mise en œuvre de l'accord sur le nucléaire pour assurer sa réussite.

Sur le plan intérieur, la composition de ce 10e Parlement fraichement élu autorise Rohani à innover et à appliquer un large éventail de politiques socio-économiques néolibérales destinées, au moins en partie, à compléter sa politique étrangère.

Cependant, à y regarder de plus près, Rohani n’est pas autant en position de force que le prétendent ses partisans. En outre, la composition précise du 10e Majlis signifie que Rohani doit désormais compter encore plus sur le soutien réformiste et technocratique des parlementaires sous étiquette « indépendant ».

Un Majlis complaisant ?

Autoritaire par instinct et notoirement susceptible à la critique, Rohani aura du mal à imposer ses volontés au nouveau Majlis. Certes, de nombreux principlistes partisans de la ligne dure et certains ennemis jurés du gouvernement ont quitté l'arène (du moins pour l'instant), ce qui assoit d’autant plus l’influence du président sur le législatif.

Cependant, le repli des principlistes est mitigé du fait que la majorité des députés élus, et particulièrement les nouveaux arrivants au Majlis, ont plus d’affinités avec les courants politiques réformiste et technocratique établis de longue date qu’avec le mouvement « centriste » récemment façonné par Rohani.

Si la majorité des députés censément pro-Rohani ainsi que les députés indépendants appuieront probablement le gouvernement sur les questions clés – en particulier les très attendues politiques de réforme économique –, on ne peut affirmer qu’ils forment un socle indéfectible de soutien.

Quant à leurs perspectives stratégiques à long terme, bon nombre des députés nouvellement élus, et surtout les jeunes candidats peu expérimentés en politique, chercheront plutôt à consolider leur influence personnelle au sein du contexte plus large de leur affiliation à telle ou telle faction.

Notons que bon nombre des députés nouvellement élus s’identifient avec le courant réformiste et sa figure de proue, l'ancien président Mohammad Khatami. Les réformistes ont certes considérablement atténué leur discours ainsi que les exigences politiques qui les accompagnent mais, en coulisses (et peut-être maintenant plus ouvertement dans le contexte du 10e Majlis), ils préparent le terrain pour un retour en force.

Cette évolution va de pair avec les projets et aspirations d'un autre ancien président, Hachemi Rafsandjani, dont les partisans, on les comprend, jubilent devant de si bons scores aux élections de l’Assemblée des experts qui ont eu lieu fin février.

Les chances de Rafsandjani de devenir président de l'Assemblée des experts sont faibles, mais le si controversé ancien président (dont le fils languit en prison) exploitera à fond sa nouvelle assise électorale pour augmenter son influence et celle de ses alliés sur l'administration Rohani.

Jusqu'ici, Rohani a fait preuve d’une remarquable habileté politique pour rassembler réformistes et pragmatistes et exploiter leur soutien, afin, principalement, de compenser l’absence d'une base politique solidement établie en sa faveur.

C’est une coalition de complaisance, intrinsèquement fragile, et le président va devoir donner la pleine mesure de ses fameuses compétences en micro-management s’il veut garder le contrôle des forces parlementaires disparates qui passent pour ses alliés.

Le président d’un seul mandat ?

Si sa victoire parlementaire est incontestable, les perspectives politiques à long terme de Rohani ne s’en trouvent pas nécessairement améliorées pour autant. Au contraire, Rohani en sort potentiellement affaibli du fait de sa dépendance croissante aux alliés de Rafsandjani et aux réformistes en particulier.

Des réformistes potentiellement gênants, d’ailleurs : leur idéologie provient du camp situé à gauche de la République islamique et contraste fortement avec les politiques économiques de Rohani, systématiquement de centre-droit.

En outre, les réformistes (même dans leur version contemporaine édulcorée) se sont sincèrement impliqués en faveur d’une libéralisation politique, alors que Rohani, tant par instinct que conviction, se montre plus autoritaire que la plupart des conservateurs et principlistes.

Sécurocrate de formation et par expérience, Rohani n’a sans doute pas le tempérament ni les compétences nécessaires pour tenir dans la durée une coalition peu structurée.

Plus fondamentalement encore, la base du soutien présidentiel est de nature à militer contre une alliance forte avec les réformistes. De la même façon, elle le rend vulnérable aux pressions insistantes des pouvoirs en place.

Du fait de sa longue carrière au sein des organes de sécurité nationale de la République islamique, le réseau de Rohani est presque entièrement intégré à l'appareil de sécurité et de renseignement, au ministère du Renseignement en particulier.

Par définition, ce réseau fermé et secret serrera les rangs derrière le pouvoir en cas de crise politique. La nature des emplois et postes qu’il détient garantit qu’il en soit ainsi.

C’est l’une des raisons pour lesquelles les adversaires de Rohani intensifient sans relâche leur pression sur le président, certains éléments influents de l'establishment ayant même, selon certaines sources, exhorté Rohani à ne pas se présenter à l'élection présidentielle de l'année prochaine, d’une importance cruciale.

Une pression qui devrait s’intensifier dans les semaines et mois à venir, lorsque s’ouvriront les sessions du nouveau Parlement et que Rohani s’efforcera de tirer profit de ses victoires électorales, en demi-teinte.

Or, l’intensification de cette pression ne saurait être interprétée comme une tentative sérieuse de renverser Rohani. Elle est plus probablement destinée à peser sur le comportement du président, en vue de saboter l'alliance centriste-réformiste, déjà si inconfortable.

- Mahan Abedin est un analyste spécialiste de la politique iranienne. Il dirige le groupe de recherche Dysart Consulting.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le président iranien Hassan Rohani prononce son discours lors d'une cérémonie marquant la Journée nationale de la technologie nucléaire à Téhéran, le 7 avril 2016 (AFP/PRÉSIDENCE IRANIENNE).

Traduction de l’original (anglais) par Dominique Macabies.

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