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Les réformistes iraniens luttent contre les interdictions électorales massives

Plusieurs milliers de réformistes interdits d’accéder à un poste de député ripostent en évoquant un possible accord avec les modérés qui pourrait ébranler le paysage politique iranien

TÉHÉRAN – Mohammad-Javad Haghshenas a vu son rêve de siéger au Parlement iranien s’inscrire en pointillés. Comme plusieurs milliers d’autres réformistes, il a été disqualifié de la course aux élections par le Conseil des gardiens.

Toutefois, malgré l’interdiction, il est déterminé à revenir dans la partie.

« Avec les autres réformateurs disqualifiés, nous avons fait appel des décisions du Conseil des gardiens, et nous espérons que le Conseil prendra des mesures qui rétabliront certains candidats », a-t-il déclaré à MEE.

Le Conseil des gardiens, composé de théologiens désignés par le guide suprême et de juristes nommés par le pouvoir judiciaire, peut décider de qui peut se présenter ou non aux élections dans le pays.

Samedi dernier, le conseil a approuvé 1 500 candidats supplémentaires en vue des élections législatives, augmentant le nombre total de prétendants d’environ un tiers, selon les informations relayées par les médias.

Cette hausse est survenue après que des candidats précédemment rejetés ont présenté de nouvelles preuves de leurs références.

Les réformistes n’ont pas encore annoncé combien de leurs candidats ont été approuvés.

Les décisions du Conseil pourraient définir le paysage politique du pays pour les années à venir en renversant les alliances politiques entre les principales factions, à savoir les partisans de la ligne dure, les modérés et les réformateurs.

Haghshenas a expliqué que les modérés et les réformistes s’étaient engagés à joindre leurs forces et à concourir sur les mêmes listes si les exclusions étaient confirmées. Cette perspective renforcerait considérablement les chances électorales des réformistes.

« Nous sommes opposés aux disqualifications par le Conseil des gardiens », a-t-il indiqué à un site web d’actualités local. « Si notre objection n’aboutit pas, nous publierons une liste unique composée à la fois de candidats réformistes et modérés. »

Le mois dernier, 12 000 personnes se sont portées candidates pour les élections parlementaires à venir, un chiffre sans précédent dû à l’atmosphère politique plus détendue insufflée par le gouvernement iranien modéré.

Cependant, un grand nombre de réformistes et de modérés se sont vu interdire leur candidature et seulement une trentaine de candidats réformistes ont été autorisés dès le départ à se présenter au Parlement, qui se compose de 290 sièges.

En vertu de la législation iranienne, le Conseil des gardiens approuve les candidats sur des critères tels que le contexte politique et religieux et la loyauté envers la révolution islamique. Haghshenas a été l’un des nombreux candidats exclus, prétendument pour ne pas être suffisamment dévoué à l’islam.

Si le Conseil n’a pas publié de chiffres spécifiques quant aux modérés disqualifiés, il a annoncé avoir interdit 60 % des candidats.

Ceci indique qu’il restait environ 4 800 candidats avant samedi et que les modérés ont également été touchés par les restrictions, obscurcissant ainsi les espoirs d’évincer les partisans de la ligne dure lors des élections le 26 février, comme beaucoup l’avaient prévu.

Les modérés et les réformistes ont reproché les exclusions massives aux partisans de la ligne dure.

Il existe deux principaux camps politiques en Iran : les « conservateurs » et les « réformistes ». Toutefois, ces camps comportent de nombreuses factions ; ainsi, la faction conservatrice comprend traditionnellement les « modérés », comme le président Hassan Rohani, et les « partisans de la ligne dure ».

Les partisans de la ligne dure dominent le Parlement actuel mais ont été en conflit grandissant avec toutes les autres factions politiques tout au long du leadership de Rohani quant à sa gestion de l’accord sur le nucléaire signé entre l’Iran et les puissances mondiales.

Avec seulement une poignée de partisans de la ligne dure et de conservateurs disqualifiés, leur camp s’est montré confiant en prévision des élections.

Cependant, un revirement des modérés vers le camp réformiste, comme l’a prédit Mohammad-Javad Haghshenas, pourrait modifier de manière significative le paysage politique du Parlement.

Les réformistes et les modérés sont en désaccord sur plusieurs questions clés. La majorité des modérés croient au modèle de démocratie islamique actuel de l’Iran et se méfient par conséquent de certains réformistes, qui veulent instaurer un État laïc.

Les deux camps se sont notamment brouillés lorsque le réformiste Mohammad Khatami, qui est un ferme partisan de la révolution islamique, a battu le modéré Akbar Hachemi Rafsandjani lors des élections présidentielles de 1997.

Néanmoins, les deux camps se rejoignent également sur certains points, dont l’engagement avec l’Occident et l’accord sur le nucléaire, et partagent une approche généralement plus libérale vis-à-vis des questions sociales, telles que le port du hijab.

Saeed Laylaz, un analyste réformiste, a indiqué à MEE que dans la situation actuelle, « il est naturel que nous préférions les modérés aux partisans de la ligne dure, qui cherchent à arrêter les progrès du pays ».

« Ils ont en réalité formulé le souhait de rétablir les sanctions [sur le nucléaire, qui ont finalement été levées le mois dernier] dans le pays », a-t-il expliqué.

« Les partisans de la ligne dure ont mis à mal l’économie du pays en soutenant pleinement l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad. Aujourd’hui, les modérés et les réformistes ont conclu un accord sur une question, à savoir l’amélioration de l’économie. C’est pourquoi ils peuvent s’aligner. »

Une telle convergence d’intérêts s’est produite l’année dernière, lorsque le porte-parole du Parlement Ali Larijani et les réformistes ont vaincu les partisans de la ligne dure pour faire passer l’accord sur le nucléaire au Parlement, a ajouté Laylaz.

Les partisans de la ligne dure sont totalement opposés à toute interaction avec l’Occident et se considèrent comme les seuls et véritables sauveurs de la révolution islamique de 1979. Ils s’opposent fermement à l’accord sur le nucléaire, qu’ils ont tenté de saboter.

Cette position dogmatique a créé des frictions entre le Parlement, dominé par les partisans de la ligne dure, et Rohani ; le Parlement a ainsi tenté de discréditer plusieurs de ses ministres.

La querelle s’est intensifiée quand les pourparlers sur le nucléaire étaient en cours, tandis que Mohammad-Javad Zarif, le ministre des Affaires étrangères, a sans cesse été convoqué devant l’assemblée pour expliquer ce qui se passait. Zarif a même reçu des menaces de mort d’un député partisan de la ligne dure pour son rôle dans les pourparlers.

Alors que les réformistes et les modérés misent sur le fait que le peuple, qui a élu un président modéré, puisse souhaiter se détourner de l’isolement, les partisans de la ligne dure campent sur leurs positions et se présentent comme les véritables gardiens de la révolution, tout en accusant Rohani et les réformistes de se plier à l’Occident.

« Les réformistes manquent de sagesse et n’ont rien fait d’important et d’utile pour le pays », a déclaré récemment Jafar Shabani, un clerc partisan de la ligne dure, aux médias iraniens. « Certains des anciens députés réformistes ont fui le pays et travaillent maintenant dans des think-tanks basés à Londres. »

« Les réformistes n’ont rien fait pour le peuple et n’ont pas leur place au Parlement. »

Toutefois, Dariush Ghanbari, un réformiste qui a été disqualifié des élections, rejette fermement ces allégations.

« Nous croyons pleinement à la révolution islamique et nous lui sommes entièrement fidèles », a-t-il indiqué à MEE.

« Nous pensons que la politique étrangère du président Rohani et son approche ouverte et constructive à l’égard de l’Occident sont totalement efficaces et nous croyons entièrement en celle-ci. »

« Les réformistes croient aux idéaux nobles de la révolution islamique. Ce sont les partisans de la ligne dure qui ont fourvoyé la révolution et qui sont à l’origine de la corruption. »
 

Photo : l’ancien président Mohammad Khatami, l’un des chefs de file du mouvement réformiste en Iran (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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