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Iran : Ahmadinejad cherche-t-il à faire son comeback ?

Si les partisans de l’ancien président semblent appuyer son retour au pouvoir, la majorité des Iraniens sont mécontents de son héritage

L’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad est toujours durement critiqué en public, en particulier par les responsables pro-réforme du gouvernement du président Hassan Rohani. Ce dernier, un religieux centriste, a pour sa part opté pour une position modérée et discrète vis-à-vis des politiques de la précédente administration.

Cependant, plusieurs personnalités de haut rang de son cabinet n’hésitent pas à réprimander franchement Ahmadinejad sur un certain nombre de points allant de sa politique étrangère aventureuse et excentrique à sa mauvaise gestion des questions économiques, qui a poussé le pays au bord de la faillite.

Le Premier vice-président d’Iran, Eshaq Jahangiri, a ainsi affirmé qu’Ahmadinejad avait dilapidé 950 milliards de dollars de revenus du pétrole durant ses huit années à la présidence, au moment où les prix du brut fixés par l’OPEC étaient à leur sommet, ajoutant que son « anarchie financière » avait fait grimper l’inflation de 41 %.

Jahangiri est réputé pour avoir dit un jour que « les plus grandes affaires de corruption financière du siècle dernier » avaient eu lieu durant les deux termes d’Ahmadinejad. Et d’ajouter : « Au début de notre travail [au sein du nouveau gouvernement], la nation luttait au bord d’un abysse, et nous avons fait progresser le pays de dix pas en avant ». Ces déclarations explosives ont poussé Ahmadinejad à porter plainte contre Jahangiri pour « diffamation », plainte rejetée par la justice iranienne.

La politique étrangère d’Ahmadinejad fait également l’objet de vives critiques, de nombreuses personnes pensant qu’il a prolongé la controverse sur le nucléaire et alimenté l’imposition de sanctions économiques sur la nation, gâché de nombreuses opportunités de rapprochement avec les États-Unis, aliéné l’Union européenne dans son ensemble et provoqué une dispute diplomatique avec la Grande-Bretagne – qui a abouti à la fermeture de l’ambassade britannique à Téhéran après avoir été attaquée par des manifestants en colère en novembre 2011 – et isolé l’Iran sur la scène internationale avec sa rhétorique inutilement incendiaire et ses positions intransigeantes, notamment son déni récurrent de l’Holocauste qui a indigné tant les juifs que les non-juifs.

Beaucoup de ceux qui ont tout donné en 2005 pour porter Ahmadinejad au pouvoir en tant qu’icone du « principisme » et de l’engagement envers les valeurs révolutionnaires, et ont bravé vents et marées pour conserver son siège indemne en 2009, sont désormais en train de prendre leur distance, accusant l’ancien président d’avoir rejoint un « courant déviant » qui l’aurait détaché de son caractère original, pure.

Certains d’entre eux évoquent les différences entre « l’Ahmadinejad de 2005 » et « l’Ahmadinejad de 2009 ». Ils maintiennent qu’ils sont toujours loyaux à l’Ahmadinejad de 2005, mais ne prêteraient jamais allégeance à l’Ahmadinejad de 2009. Il s’agit simplement d’excuses pour minimiser le soutien inconditionnel qu’ils avaient apporté à Ahmadinejad lors des deux élections consécutives.

En parlant de courant déviant, les conservateurs partisans de l’ancien président sous-entendent apparemment que son mentor serait Esfandiar Rahim Mashaei, chef de cabinet d’Ahmadinejad de 2009 à 2013, son plus proche confident et le père de sa belle-fille. Mashaei est connu pour ses point de vue apocalyptiques et son état d’esprit ultra-nationaliste, outre ses déclarations controversées, comme lorsqu’il aborda le thème de l’amitié de l’Iran avec la « nation israélienne ».

Ahmadinejad avait nommé Mashaei à plusieurs postes gouvernementaux, défiant ainsi de nombreux religieux de haut niveau qui le considéraient comme un franc-maçon et un hérétique.

À présent, de l’avis de nombreuses personnes en Iran, Ahmadinejad est un acteur politique détesté et, dans une certaine mesure, ostracisé, ayant perdu son charisme de révolutionnaire idéal dans le camp des conservateurs et étant clairement un allié fort improbable des réformistes, qui le considèrent comme un homme de droite radical, fanatique et ayant laissé derrière lui un héritage de dévastation économique et d’échecs diplomatiques successifs. Quand bien même, l’ancien maire de Téhéran semble entretenir des espoirs de retour au pouvoir et de redevenir président.

Après quelques mois de silence et d’hibernation au lendemain de l’élection présidentielle de 2013, qui avait porté au pouvoir un ancien diplomate modéré ayant fait le serment à la nation qu’il mettrait fin à l’impasse sur le nucléaire, Ahmadinejad a refait surface, tentant de réparer son image publique dans les yeux de millions d’Iraniens qui avaient perdu confiance en ses gesticulations démagogiques.

Ahmadinejad a lancé un site d’information exhaustif (en persan) reprenant ses déclarations, énumérant la longue liste de ses « avancées » en tant que président, les amplifiant à l’aide de graphiques, d’illustrations et de statistiques visuelles, publiant des galeries photo de ses apparitions en public, et recrutant des partisans. Il existe d’autres sites internet également chargés de mobiliser les fans et supporters d’Ahmadinejad pour une possible future campagne électorale, tout en servant d’instrument de propagande pour les conseillers médias d’Ahmadinejad, qui continuent d’affirmer haut et fort le mantra selon lequel il aurait été un président exceptionnel et phénoménal et que ses ennemis chercheraient uniquement à le « diffamer ».

Ahmadinejad a commencé à donner des conférences à travers le pays, divertissant ceux qui lui sont restés fidèles et accourent à l’annonce que l’ancien président donne un discours quelque part. Il est entendu qu’il a déjà débuté une campagne électorale informelle pour les élections présidentielles de 2017.

De toute évidence, Ahmadinejad n’a pas d’autorisation gouvernementale officielle pour ses rassemblements publics. En Iran, les événements publics, dont les rassemblements et les discours politiques, nécessitent l’approbation des autorités ; de même, la police est habilitée à agir et les annuler.

Au cours des derniers mois, plusieurs événements publics mettant en scène des orateurs réformistes, des professeurs d’université, des intellectuels partisans de Rohani et même le député centriste Ali Motahari ont été annulés ou interrompus par des foules violentes, bien qu’ils eussent été approuvés par le ministre de l’Intérieur, qui est responsable d’accorder ce genre de permis.

Il est plutôt inconcevable que le ministre de l’Intérieur de Rohani, Abdolreza Rahmani Fazli, soit incapable d’honorer les permissions qu’il octroie pour des événements publics durant lesquels doivent prendre la parole les partisans du gouvernement mais autorise les discours d’Ahmadinejad, que la majorité de la population préfèrerait voir mis sur la touche après huit années agitées d’un gouvernement saturé de discours cinglants et incendiaires qui résonnent encore dans leurs oreilles de souvenirs désagréables.

Ahmadinejad se vante apparemment d’avoir des plans pour retourner au pouvoir. Sans aucun doute, il se languit des débats public à l’Assemblée générale de l’ONU, de ses innombrables interviews avec les stations de télévision et de radio américaines, de ses attaques verbales contre les dirigeants des États-Unis et d’Europe, de ses lettres laissées sans réponse à Nicolas Sarkozy et George W. Bush, et des séances photo des conférences internationales.

J’ose l’appeler un as du coup de pub plutôt qu’un politicien à prendre au sérieux. Il a besoin de reposséder le pouvoir afin de réaliser ses plans de « gestion globale » ; une gestion pour laquelle il n’a jamais eu de vision intelligible ni durable.

Deux assistants proches d’Ahmadinejad sont maintenant en prison pour des affaires de corruption et de détournement de fonds, et lui-même fait l’objet de poursuites pénales desquelles il doit répondre devant un tribunal – il a jusqu’à présent refusé d’assister aux audiences de plusieurs affaires judiciaires à sa charge depuis la fin de son mandat présidentiel. Comment il pourrait survivre avec succès aux enquêtes du Conseil des gardiens, une cour constitutionnelle chargée d’inspecter puis d’approuver ou disqualifier les candidats à diverses élections, dont les présidentielles, demeure un mystère.

En parallèle, Ahmadinejad devrait obtenir l’approbation protectrice et patriarcale du Guide suprême afin de pouvoir présenter sa candidature audacieuse aux élections à la présidence ; sans celle-ci, il n’aurait que peu, voire aucun, soutien populaire, surtout chez ceux qui font concorder leurs choix avec les priorités du Guide suprême.

Ceci signifie que sa campagne pourrait bien se terminer par une débâcle qui mettrait un terme définitif à sa vie politique. En fin de compte, il est tout à fait improbable que le Guide suprême donne à nouveau son feu vert à Ahmadinejad, sachant bien que les politiques extrémistes de l’ancien président entraîneront la nation dans un nouveau bourbier dont il serait trop couteux de s’extirper.

- Kourosh Ziabari est un journaliste primé travaillant pour différents journaux. Il écrit pour Iran Review et est le correspondent de Fair Observer, un média basé en Californie. Il a également écrit pour le Huffington Post, Your Middle East, International Policy Digest, Gateway House et Tehran Times.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : l’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad (au centre) durant les funérailles d’Abdollah Bagheri, l’un de ses gardes du corps personnels et membre du corps des Gardiens de la révolution islamique, tué dans des combats en Syrie, Téhéran le 29 octobre 2015 (AFP).

Traduction de l’anglais (original).

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