Au Yémen, le major-général saoudien justifie « l’horrible visage de la guerre »
Tandis que le vice-prince héritier Mohammed ben Salmane s’apprête à effectuer un ambitieux remaniement de l’économie saoudienne, éprouve-t-il quelque regret en repensant à la décision d’entrer en guerre au Yémen, dont il est le principal artisan ?
À en croire le major-général Ahmed al-Assiri, porte-parole de l’armée saoudienne, les éventuels regrets sont bien maigres
Finalement, la guerre coûterait grosso modo 250 millions de dollars par an à l’Arabie saoudite, alors que le pays subit les affres d’une crise économique aigue due à la baisse des prix du pétrole.
Et, même si cette opération militaire ne semble pas avoir terni l’image de Mohammed ben Salmane dans son pays, les conséquences sur la réputation du royaume saoudien sont indéniables.
De plus, si cette guerre venait à s’éterniser, elle apporterait de l’eau au moulin des adversaires fort nombreux du jeune prince, qui critiquent son ambition fanfaronne.
Mais à en croire le major-général Ahmed al-Assiri, porte-parole de l’armée saoudienne, les éventuels regrets sont bien maigres.
Au nom de la communauté internationale
S’exprimant le 1er novembre dernier devant un public trié sur le volet venu l’écouter au Royal United Services Institute de Londres, Ahmed al-Assiri a déclaré que la coalition réunissant onze pays derrière l’Arabie saoudite agissait « au nom de la communauté internationale ».
Cette coalition « soutient le gouvernement légitime [du Yémen], et nous refusons que les milices atteignent leurs objectifs et incarnent une sorte de modèle » pourtant source d’instabilité dans une région déjà très agitée, a-t-il ajouté en qualifiant ici de « milices » les rebelles houthies et les soutiens armés de l’ancien président Ali Abdallah Saleh.
« Les Houthis se sont emparés du pays par la force, a-t-il critiqué. Ils aspirent à participer au gouvernement tout en conservant leurs milices armées. Si cela arrivait, notre pays finirait comme le Liban, et nous ne pouvons pas l’accepter ».
Le major général al-Assiri a insisté sur le fait que les membres de la coalition évitaient systématiquement de frapper les civils. « Depuis le premier jour, nous n’avons attaqué aucune infrastructure et nous n’avons bombardé aucune zone urbaine, a-t-il poursuivi. Nous avons recours à des armes de précision pour appuyer les troupes au sol ». Il a tout de même admis certains « dommages collatéraux, mais la guerre a un visage horrible, et il faut faire avec ».
Amitiés et accords d’armement
On recense un grand nombre d’incidents qui viennent contredire les propos d’Ahmed al-Assiri. Dans le pays le plus pauvre des pays arabes, ce sont ainsi des hôpitaux, des écoles, des marchés et des infrastructures essentielles qui ont été bombardés. Parmi les attaques récentes, on compte la destruction d’une chambre funéraire de Sanaa, la capitale, qui a causé 140 morts. De même, des dizaines de détenus ont péri dans le bombardement d’une prison d’al-Hudaydah.
La coalition a assumé la responsabilité des événements de Sanaa, cependant le major général s’est montré ferme quant aux informations au sujet de la prison, qui seraient erronées. « Ce n’était pas une prison, mais le quartier-général des forces armées [rebelles] », a-t-il soutenu.
On compte aujourd’hui plus de 10 000 victimes civiles dans cette guerre, dont 4 000 morts, parmi lesquels beaucoup de femmes et d’enfants. Mais la coalition n’en est pas la seule responsable. Les Houthis ainsi que les troupes de l’ancien président Ali Abdallah Saleh ont eux aussi perpétré des atrocités contre des civils.
Cependant, la communauté internationale s’en prend principalement aux Saoudiens, qui bénéficient d’une impressionnante force de frappe aérienne, mais aussi du soutien de la Grande-Bretagne et des États-Unis.
Washington s’est déjà prononcée pour la fin des bombardements, et, au parlement britannique, l’opposition a déposé une motion réclamant l’arrêt des ventes d’armes à l’Arabie saoudite, mais sans succès.
Cela n’a toutefois pas dérangé le major général al-Assiri, qui a fait référence aux relations que son pays entretient depuis longtemps avec ceux qu’il a appelés « nos amis ».
De plus, a-t-il poursuivi, si les États-Unis ou la Grande-Bretagne venaient à déclarer un embargo sur les armes, ce qui est peu probable, « le royaume saoudien s’arrangera pour intervenir sur la place financière, mais nous espérons pouvoir éviter de telles extrémités ». Et de faire remarquer que le secteur de l’armement était une importante source d’emplois au Royaume-Uni : « Cette guerre profite à l’industrie britannique », a-t-il affirmé en ajoutant que ces bénéfices concernaient non seulement les usines, mais aussi les ouvriers et leurs familles.
Des stratégies de sortie de crise ?
Ahmed al-Assiri a fait un exposé détaillé et méthodique sans lire ses notes, dans lequel il a fermement nié toute responsabilité des autorités saoudiennes dans un quelconque blocus de l’aide humanitaire par voie maritime.
« Il est incorrect de parler de blocus : tous les ports sont ouverts, même ceux sous contrôle houthi. Certes, nous surveillons le mouvement [des navires] et nous avons installé des postes de contrôle pour empêcher les passages d’armes sur le territoire, mais l’aide humanitaire, elle, doit bien sûr arriver jusqu’à la population. »
Les Saoudiens sont maintenant confrontés à un choix difficile : comment se sortir d’une guerre qui n’aurait pas été nécessaire s’ils avaient agi plus tôt et avec plus de détermination ?
D’après Ahmed al-Assiri, dans les ports sous contrôle houthi, l’aide humanitaire est confisquée par les rebelles, qui veulent s’en servir lors des opérations militaires, la revendre sur le marché noir, ou encore l’utiliser faire pression sur les villes comme Taïz, qu’ils tiennent assiégées.
« Malgré tout cela, nous nous employons à faire parvenir l’aide jusqu’à la population », a-t-il déclaré. En gage de leur bonne volonté, les autorités saoudiennes soulignent l’existence du Centre du roi Salmane pour l’aide humanitaire et les secours, fondé en 2015. Elles affirment que le Yémen constitue aujourd’hui leur priorité absolue en matière d’aide humanitaire.
Par ailleurs, le major général a tenu les Houthis et Ali Abddallah Saleh pour responsables de l’échec des négociations de paix survenu dans l’année. « Nous avons participé à trois sessions de pourparlers avec les Houthis, a-t-il avancé. Nous les avons exhortés à revenir [à la table des négociations] et à appliquer le cessez-le-feu. » De son point de vue, les conditions établies par la coalition et le gouvernement légitime du Yémen – qui prévoyaient notamment d’imposer aux Houthis de rendre les armes – étaient raisonnables. « Nous sommes obligés de poser des conditions sur le terrain pour pouvoir être sûrs que les solutions d’aujourd’hui ne deviennent pas les problèmes de demain. »
Interrogé au sujet de l’accord sur le nucléaire iranien, le major général al-Assiri a estimé qu’il s’agissait d’une « bonne chose, mais l’Iran s’est mal comporté », avant d’ajouter que « la signature de l’accord n’est pas synonyme de liberté totale de mouvement pour l’Iran ». D’après lui, l’Iran dispose de 60 000 miliciens en Syrie et d’une armée du Hezbollah au Liban, sans parler du soutien apporté aux milices chiites qui commettent des atrocités en Irak, ni du fait que l’Iran « ravitaille des criminels au Bahreïn ».
Cependant, il ne suffit pas de montrer Téhéran du doigt pour échapper à l’inévitable réalité.
Les Saoudiens se retrouvent maintenant face à un choix difficile : comment se sortir d’une guerre qui n’aurait pas été nécessaire s’ils avaient agi plus tôt et avec une plus grande détermination ? C’était en 2014 qu’il fallait intervenir, au moment où les Houthis se sont emparés de Sanaa pour en expulser le président internationalement reconnu, Abd Rabbo Mansour Hadi. À ce moment-là, les Saoudiens auraient pu menacer d’utiliser la force, et, en cas de besoin, ils auraient même pu appuyer ces menaces en effectuant des frappes chirurgicales pour prouver qu’ils ne plaisantaient pas.
Au lieu de cela, ils se sont contentés d’hésiter, et il a fallu attendre l’offensive houthie contre la ville portuaire d’Aden, au sud, et la fuite honteuse du président Hadi, pour enfin voir les autorités saoudiennes entreprendre des bombardements. Lors de cette campagne tardive, la stratégie saoudienne a consisté à utiliser une force de frappe démesurée pour atteindre les objectifs fixés, à savoir la remise en place du gouvernement légitime du Yémen, la protection de la frontière saoudienne, et le rétablissement de la stabilité dans les environs.
Jusqu’à présent, à en croire les propos du major général al-Assiri, aucun de ces objectifs n’a encore été atteint. Pendant ce temps, les Yéménites continuent de payer un lourd tribut à cause de « l’horrible visage de la guerre ».
- Bill Law est un analyste du Moyen-Orient et un spécialiste des pays du Golfe. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @billlaw49.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Le brigadier général Ahmed al-Assiri, porte parole de la coalition saoudienne, en mars 2014 à la base aérienne de Riyad (AFP)
Traduit de l’anglais (original) par Mathieu Vigouroux.
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