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L’élargissement des BRICS pourrait-il rendre le G20 obsolète ?

Avec l’arrivée de six nouveaux pays – et peut-être d’autres à venir – le bloc des BRICS perturbe de plus en plus l’hégémonie occidentale
Le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, le président chinois Xi Jinping et le président sud-africain Cyril Ramaphosa participent au sommet des BRICS à Johannesburg, le 23 août 2023 (AFP)
Le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, le président chinois Xi Jinping et le président sud-africain Cyril Ramaphosa participent au sommet des BRICS à Johannesburg, le 23 août 2023 (AFP)

Le 15e sommet des BRICS s’est achevé le 24 août sur une déclaration du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud, au sujet d’un potentiel nouvel ordre mondial, incluant « une plus grande représentation des marchés émergents et des pays en développement dans les organisations internationales et les forums multilatéraux dans lesquels ils jouent un rôle important ».

Cette déclaration s’accompagne du plus grand élargissement du bloc des BRICS depuis la création : à partir de janvier prochain, six pays supplémentaires s’y joindront, à savoir l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis

Les BRICS représentent aujourd’hui près de la moitié de la population mondiale et de la production mondiale de pétrole. Ils dépassent à toute vitesse leur alter ego, le G7, regroupant le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni et les États-Unis.

Avec cet élargissement, les BRICS comprennent désormais trois puissances nucléaires militaires (la Russie, la Chine et l’Inde), trois grands producteurs d’énergie du Moyen-Orient (l’Arabie saoudite, l’Iran et les Émirats arabes unis), d’importants pays africains et arabes situés à des endroits stratégiques (l’Éthiopie et l’Égypte) et l’Argentine, un État d’Amérique latine important sur le plan historique.

Le prochain élargissement pourrait inclure des pays tels que l’Algérie, l’Indonésie, le Kazakhstan, le Nigeria, le Pakistan, la Turquie ou le Vietnam. Cela pourrait se traduire par une puissance encore plus grande en matière d’énergie, de population, de croissance du PIB, de capacités militaires et nucléaires, de statut et de positionnement géographique stratégique. 

Un nouveau G20 sans les pays occidentaux

On ne sait pas encore si les BRICS prendront un nouveau nom compte tenu de leur format élargi. Pour l’instant, appelons ce bloc le G11 pour le distinguer du G7.

Avec de nouveaux élargissements, le G11 pourrait bientôt ressembler à un G20 sans les pays occidentaux. Le G20 initial, où l’Occident et certaines parties du reste du monde se sont côtoyés pendant des décennies, pourrait perdre toute valeur.

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L’Occident et ses médias traditionnels affichent un certain mépris à l’égard des BRICS, se concentrant sur leurs lacunes et leurs tensions internes.

Au mieux, ils les considèrent comme un club économique non coordonné, faible et fragile. Au pire, il s’agit d’un groupe irréaliste et hétérogène de pays déterminés à lancer un système alternatif inepte de gouvernance mondiale. En d’autres termes, ils y ont vu un effort maladroit et naïf visant à passer d’un ordre mondial fondé sur des règles et dirigé par les États-Unis à un ordre multilatéral indéfini et imprévisible.  

Dans une certaine mesure, ces jugements sont fondés. Le bloc des BRICS – et désormais du G11 – ne peut se targuer de posséder les solides mécanismes d’interaction, de consultation et d’action qui sont depuis longtemps l’apanage de l’Occident via le G7, l’OTAN, l’UE, le pacte AUKUS (accord de coopération militaire tripartite formé par l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni) et d’autres forums. 

Après tout, les BRICS sont arrivés tardivement sur le « marché de la gouvernance mondiale », qui a été pendant des décennies une prérogative occidentale, conçue et dirigée par les États-Unis. Pourtant, ces jugements sommaires ne font que confirmer à quel point les membres de l’Occident continuent d’être dangereusement dissociés de la réalité. 

Si Washington et ses principaux alliés n’avaient pas gaspillé l’extraordinaire victoire obtenue avec la fin de la guerre froide et la dissolution de l’Union soviétique, et s’ils n’avaient pas abusé de leurs positions, les BRICS n’auraient probablement jamais vu le jour.

Après tout, au cours des trois dernières décennies, l’Occident a infligé à l’humanité de longues guerres contraires au droit international, des sanctions unilatérales, un dollar instrumentalisé, des plans d’ajustement macroéconomique hypocrites et des règles de « transition verte » appliquées avec un zèle excessif et un deux poids, deux mesures flagrant. Le dernier exemple en date étant le Japon qui, dans le silence assourdissant de ses partenaires du G7, a commencé à déverser dans l’océan Pacifique 1,3 million de tonnes d’eau radioactive provenant de la centrale nucléaire de Fukushima.

L’Occident soutient fallacieusement l’idée que le système mondial a atteint un point d’inflexion historique caractérisé par une confrontation entre les démocraties et les autocraties, sur la base de la logique inflexible du « avec nous ou contre nous »

La montée en puissance des BRICS reflète un malaise croissant dans de vastes parties du reste du monde à l’égard des politiques menées par l’Occident au cours des dernières décennies. Son élargissement est la preuve que cette réaction atteint une masse critique. Ce qui est surprenant, ce n’est pas le fait que le reste du monde ait cette réaction, mais plutôt qu’elle ait mis si longtemps à se manifester.

Il serait erroné d’interpréter cette tendance comme un mouvement anti-occidental aveugle, alimenté par de vieilles rancœurs concernant les politiques coloniales passées ou des actions unilatérales pendant la période unipolaire de Washington. L’Occident soutient fallacieusement l’idée que le système mondial a atteint un point d’inflexion historique caractérisé par une confrontation entre les démocraties et les autocraties, sur la base de la logique inflexible du « avec nous ou contre nous ».

Les dirigeants occidentaux semblent aujourd’hui incapables de concevoir la politique mondiale dans un cadre dépassant la vision binaire propre à la guerre froide.

Si la Chine et la Russie restent les deux principaux acteurs des BRICS, le rôle de l’Inde s’accroît. Mais ni Beijing ni Moscou n’occupent au sein du groupe une position hégémonique comparable à celle des États-Unis dans les principales articulations de l’Occident. Le bloc des BRICS – et désormais du G11 – préfère fonctionner par consensus, ce qui a ses propres effets négatifs.

Un carrefour délicat

La dimension militaire du G11 est pour le moins embryonnaire. Mais cela ne doit pas signifier que la coordination croissante de ses membres ne constitue pas une menace.

Ils semblent déterminés à se dédollariser et à lancer un système financier échappant aux chambres de compensation de New York et Londres et aux règles du Trésor américain. En temps voulu, cela pourrait affaiblir la puissance mondiale des États-Unis, largement ancrée dans le dollar américain en tant que monnaie de réserve mondiale.

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La Russie est déjà sortie des circuits financiers occidentaux. La Chine s’évertue à lui emboîter le pas. S’il est prématuré de parler d’une monnaie du G11, les cinq monnaies fondatrices pourraient jouer un rôle accru dans les échanges bilatéraux entre les membres.

L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et la Chine se désengagent de plus en plus de la dette américaine en vendant des titres obligataires du Trésor américain. L’une des pierres angulaires du commerce mondial de l’énergie et de la puissance financière des États-Unis, le pétrodollar, est en train de s’effriter.

La Russie demande des roubles indexés sur l’or pour son pétrole, tandis que la Chine fait pression pour payer ses approvisionnements énergétiques en provenance du Golfe en renminbis. 

Si, au sein de l’OPEP+, où l’Arabie saoudite et la Russie déterminent les quotas de production mondiale de pétrole et donc son prix, la transition du pétrodollar vers des monnaies alternatives se poursuit, les conséquences pour le statut du dollar pourraient être massives.

Il existe un risque potentiel de réaction en chaîne. Cette tendance pourrait même s’étendre aux énergies vertes, étant donné que les matières premières et les capacités de production correspondantes sont également situées en grande partie dans les pays du G11.

Les BRICS et leurs nouveaux membres sont arrivés à un carrefour délicat en matière de commerce de l’énergie et de systèmes de paiement, qui pourrait, le moment venu, donner naissance à un Bretton Woods III et remodeler ainsi la politique énergétique et financière mondiale.

Les membres actuels et potentiels du bloc BRICS/G11 seront tous unis par l’objectif commun de perturber la domination du dollar américain. Les conséquences pourraient être considérables, surtout si des accords ad hoc pour des échanges en monnaies locales débouchent sur la création de blocs commerciaux régionaux spécifiques. 

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Bien entendu, le dollar américain ne perdra pas son statut du jour au lendemain, mais Washington devrait prêter attention à ces événements. Et à l’avenir, il devrait se montrer plus prudent dans l’instrumentalisation de sa monnaie, une pratique à laquelle il s’adonne de manière compulsive depuis des décennies. 

Le récent gel des réserves de devises russes (et vénézuéliennes) détenues dans les banques occidentales pourrait bientôt se révéler l’une des plus grandes erreurs du XXIe siècle. Du point de vue du reste du monde, le message sans équivoque envoyé par ces mesures est semblable à celui que reçoit un citoyen ordinaire qui se rend à sa succursale bancaire locale et se voit refuser sa demande de retrait d’épargne.

Un nouveau monde se dessine. Le billet vert perd beaucoup de son attrait. Dans le même temps, son maître n’inspire plus ni crainte ni respect. 

Marco Carnelos est un ancien diplomate italien. Il a été en poste en Somalie, en Australie et à l’ONU. Il a été membre du personnel de la politique étrangère de trois Premiers ministres italiens entre 1995 et 2011. Plus récemment, il a été l’envoyé spécial coordonnateur du processus de paix au Moyen-Orient pour la Syrie du gouvernement italien et, jusqu’en novembre 2017, ambassadeur d’Italie en Irak.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Marco Carnelos is a former Italian diplomat. He has been assigned to Somalia, Australia and the United Nations. He served in the foreign policy staff of three Italian prime ministers between 1995 and 2011. More recently he has been Middle East peace process coordinator special envoy for Syria for the Italian government and, until November 2017, Italy's ambassador to Iraq.
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