Ce qu’Obama pourrait apprendre d’Eisenhower avant de lancer l’assaut pour reprendre Mossoul à l’EI
Le président Obama envisage de lancer l’assaut sur Mossoul, bastion de l'État islamique. Il devrait tirer les leçons des funestes hésitations du général Dwight Eisenhower pendant les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale.
Il est essentiel d’anticiper dès maintenant la situation politique d’une Mossoul libérée si l’on veut voir une fin à la marginalisation des Sunnites, et par suite combattre le sectarisme - cause essentielle de l’émergence du groupe État islamique.
La Seconde Guerre mondiale tirait à sa fin et Eisenhower, Commandant suprême des forces alliées en Europe, a alors pris la décision controversée de ne pas consacrer de ressources supplémentaires pour entrer le premier à Berlin et libérer la ville. Il a ainsi donné les moyens à l'Union soviétique de s’arroger tout le mérite de l’entreprise.
Eisenhower était un général de la vieille école. Il avait été formé dans une « tradition militaire » imposant à l’état-major de garder les yeux rivés sur la « route menant à la victoire militaire, laissant aux autorités civiles le soin de prendre les décisions politiques ».
Les forces soviétiques s’étaient approchées beaucoup plus près de la capitale allemande, et le commandant des forces occidentales s’estima avant tout responsable minimiser les pertes dans ses troupes, d’autant plus que chute de Berlin ne faisait plus aucun doute, étant donné la rapidité de la progression soviétique en Allemagne de l'Est.
Conséquence : l’Union soviétique s’est retrouvée en situation de force et particulièrement bien positionnée. Cela ne posait guère de problèmes tant que Soviétiques et Occidentaux étaient ligués ensemble contre Hitler, l'ennemi commun, mais la stratégie d'Eisenhower n’avait pas suffisamment anticipé la perspective d'une Union soviétique renforcée, dès lors l’adversaire commun eut disparu de l’équation.
Ces préoccupations avaient pourtant, et avant même la fin de la guerre, été exprimées par les hauts responsables britanniques et américains. Suite à la partition de Berlin, et le début de la guerre froide, leur pertinence prit toute son acuité.
Joyau de la couronne
La capture de Mossoul en juin 2014 fut l'événement qui, plus que tout autre, fit de l’État islamique (EI) l’ennemi public international le plus infâme. Cette ville étant désormais le joyau de la couronne du groupe, sa capture s’avèrera une énorme opération de communication au bénéfice des participants à la victoire.
Un grand nombre de forces armées diverses et variées sont en train de se masser au nord de l'Irak, avant de donner l'assaut sur la deuxième plus grande ville du pays, opération longtemps différée et prévue maintenant pour mi-septembre. Or, Obama semble vouloir répéter la plupart des erreurs reprochées en son temps à Eisenhower – sauf qu’Obama ne peut évidemment pas s’exonérer de prendre des décisions politiques : c’est lui, bien sûr, le leader politique du monde libre.
Lancées à partir de Bagdad, les Unités Populaires de Mobilisation, soutenues par l'Iran, ont marqué des points en progressant vers le nord, bien que leurs succès militaires aient trop souvent été accompagnés d’un exécrable sectarisme et de crimes de guerre.
En 2014, ces milices chiites réussirent à repousser les attaques contre le sanctuaire de Samarra. Cette victoire a cependant été entachée par les accusations des conseillers municipaux de la ville, reprochant aux milices d’avoir enlevé et tué près de six cent sunnites.
Les miliciens sont très nombreux, certaines estimations allant jusqu’à 140 000, et l’entourage gouvernemental irakien s’inquiète sérieusement de voir qu’ils ne relèvent déjà plus de la juridiction de leur État, car ils se sont en fait mués en bras armé du régime iranien voisin.
Alliances improbables
L’OIR (Opération Inherent Resolve), coalition menée depuis octobre 2014 par les États-Unis afin « d’éreinter et de détruire » l’EI, a eu, jusqu'à présent, presqu’exclusivement recours à ses forces aériennes.
L’opération a certes connu un certain nombre de succès significatifs, notamment à Kobane et plus récemment à Manbij, mais la coalition souffre d’une pénurie de partenaires fiables sur le terrain, à tel point que les États-Unis en sont parfois réduits à combattre au sein d’une alliance de fait avec l'Iran. Les États-Unis ont, par exemple, fourni leur appui aérien aux milices soutenues par l'Iran et dirigées par la force al-Qods du Corps des Gardiens de la révolution islamique, dont le chef, le Général Qasem Soleimani, a été qualité par le Général américain David Petraeus de « véritablement diabolique ».
Même les avancées des forces kurdes en Irak et en Syrie – considérables et fort applaudies – donnent à craindre un manque d’intérêt inquiétant de la part de la coalition menée par les États-Unis quant aux réalités politiques à long terme dans un Moyen-Orient post-EI.
Si l’influence russe sur les Kurdes en Syrie et en Irak s’est accrue ces dernières années, c’est en grande partie du fait des tergiversations occidentales. En Irak comme en Syrie, le Kremlin a fourni armes et frappes aériennes aux Kurdes, au fur et à mesure de leur progression sur le terrain.
Du côté syrien de la frontière, son soutien est même allé jusqu’à intégrer des « formateurs » russes au Parti d’Union démocratique Kurde (PYD) en Syrie.
Les milices iraniennes autogérées et le PYD sont également susceptibles de faire peser de redoutables menaces sur une région post-EI. Les Russes n’ont guère d’autres préoccupations que de préserver leur sphère d'influence et réduire celle des Occidentaux, quel qu’en soit le coût humanitaire. C’est cette mentalité de jeu à somme nulle qui a fortement contribué à l'instabilité désastreuse en Syrie.
Commencez comme vous avez l’intention de poursuivre
Le meilleur antidote à la terreur de l'EI ? : un Moyen-Orient prospère et pluraliste. Or, le Kremlin a préféré soutenir le régime d'Assad, soutenu pourtant par des forces radicalement sectaires sous contrôle de Téhéran.
L'Iran a instillé les discours sectaires les plus préoccupants dans certaines des zones les plus fragiles de la région, sans hésiter dans la foulée à instrumentaliser leur identité religieuse, tant que cela contribuait à y resserrer leur emprise.
On ne peut guère attendre de tels acteurs qu’ils s’efforcent de se réconcilier avec les communautés sunnites ostracisées, dont le désenchantement a fait le lit des progrès fulgurants de l’EI en 2013 et 2014.
Certes, la coalition internationale s’est en théorie alliée avec la Russie contre leur ennemi commun : l'EI. Or, le véritable défi à relever sera de reconstruire l'Irak et la Syrie une fois les combats terminés ; et tout dépendra de la façon dont l’EI aura été vaincu. Bâcler le choix de ses alliés dans ce conflit reviendrait à programmer le prochain.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, on a laissé les Soviétiques entrer les premiers dans Berlin, et cela a posé les conditions de la guerre froide. Si la Russie et l'Iran sont en mesure de dicter les conditions de la « libération » de Mossoul, cela risque d’orchestrer la dynamique de la prochaine guerre, et celle-là n’aura rien de froide.
- Gareth Browne est journaliste indépendant, spécialiste du Moyen-Orient. Diplômé de l'Université d'Exeter, il parle arabe. À suivre sur : @brownegareth.
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Sur cette photo prise en Angleterre vers la fin de la Seconde Guerre mondiale (juin 1944), le Général américain Dwight D Eisenhower, commandant des opérations du Débarquement sur les côtes normandes, donne des ordres relatifs au largage des parachutistes avant le débarquement sur les plages (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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