C’est la fin de l’EI tel que nous le connaissons – mais ce n’est que le début
Fin janvier, le Premier ministre irakien Haïder al-Abadi a annoncé que les forces irakiennes et peshmergas avaient pris le contrôle de la moitié est de Mossoul, qui était sous le contrôle de l’autoproclamé État islamique (EI) depuis 2014.
Bien que cette victoire révèle l’incapacité de l’EI à continuer à agir en tant qu’acteur militaire fort au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, elle ne marque pas la fin de la lutte internationale contre le groupe.
Malgré la perte de territoire qu’il a subie et, par conséquent, sa perte de ressources et de soutien, l’EI et les groupes qui lui sont affiliés continueront de constituer une menace pour la sécurité internationale.
Changement de tactique
Compte tenu de leurs pertes, les dirigeants de l’EI concentrent désormais leurs efforts à s’assurer de la survie de leur idéologie plutôt que la survie du groupe tel que nous le connaissons jusqu’ici. Ce changement de tactique s’est toutefois révélé difficile.
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À l’apogée du groupe en 2014 et 2015, des échanges quotidiens constants entre ses dirigeants en Irak et en Syrie et les dirigeants des groupes affiliés dans d’autres pays avaient contribué à conserver l’unité du message idéologique de l’EI.
Cependant, ces échanges fréquents ne sont plus possibles aujourd’hui. Selon un rapport du secrétaire général des Nations unies publié ce mois-ci, le groupe recourt à des méthodes de communication de plus en plus dissimulées pour diffuser son message et encourager les attentats terroristes en Occident.
Le nombre de canaux utilisés à cet effet a aussi considérablement diminué. Une étude récente menée par le centre de lutte contre le terrorisme de West Point a révélé qu’à la mi-janvier, seuls dix-neuf organes de communication étaient actifs parmi ceux qui étaient autrefois considérés comme « officiels ».
Ainsi, tout comme l’EI perd sa cohésion à l’échelle internationale – ses affiliés ayant des objectifs légèrement différents de ceux de la direction centrale –, le groupe a dû limiter les moyens par lesquels il répand son idéologie aux canaux directement contrôlés par ses dirigeants en Irak et en Syrie.
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Le contenu du message de l’EI a également changé – et ce changement constitue déjà un sérieux défi pour les forces antiterroristes en Occident.
Par le passé, les dirigeants du groupe cherchaient à attirer de nouvelles recrues sur les terres sous son contrôle. Les recruteurs de l’EI soutenaient que rejoindre ses rangs en Irak et en Syrie était une obligation spirituelle. Ils décrivaient le voyage physique vers ces pays comme une hégire, de l’arabe « hijrah », terme utilisé pour désigner le voyage du Prophète pour échapper à la persécution à La Mecque, insufflant ainsi un sens religieux à l’acte de rejoindre les rangs de l’EI dans ces pays.
Aujourd’hui, cependant, les dirigeants de l’EI cherchent à encourager leurs adeptes partout dans le monde à perpétrer des attaques terroristes en Occident ou contre des cibles occidentales dans d’autres régions.
Lutte pour le pouvoir
Dans un message audio datant de mai 2016, Abou Mohammed al-Adnani, numéro 2 de l’EI à l’époque et aujourd’hui décédé, annonçait le retour du groupe à la guérilla alors qu’il continuait à perdre du terrain en Irak et en Syrie.
Ce à quoi nous assistons, c’est la dissolution progressive de l’EI en tant qu’acteur militaire unifié dans la région. Ce processus aboutira finalement à l’un des deux résultats possibles.
Tout d’abord, ce processus pourrait donner aux dirigeants du groupe en Irak et en Syrie – par opposition aux dirigeants de ses affiliés – le pouvoir exclusif de continuer à décider de la trajectoire future du groupe.
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Compte tenu des efforts déployés par les dirigeants irakiens et syriens pour contrôler les canaux de communication de l’EI et garantir la diffusion d’un message uniforme, il semble que les dirigeants dans ces deux pays espèrent maintenir leur statut de chefs du groupe – même si cela implique de réduire ainsi ses capacités opérationnelles à commettre des attentats terroristes, au détriment de l’objectif initial du groupe d’extension territoriale.
Deuxièmement, ce processus pourrait diminuer l’influence régionale des dirigeants de l’EI en Syrie et en Irak. Si tel est le cas, ceux-ci pourraient être obligés de suivre l’exemple des dirigeants d’al-Qaïda dans les années 2000 et de donner une certaine indépendance à leurs franchises en Afghanistan, en Libye, dans la péninsule du Sinaï et au Yémen.
Cela pourrait déclencher, comme beaucoup ont mis en garde, une concurrence entre les franchises et l’apparition éventuelle de groupes dissidents ayant des objectifs et des procédures opérationnelles différentes de ceux de l’organisation mère.
Plus de terrorisme
Bien qu’il semble que les forces antiterroristes du monde entier travaillent à prévenir les attaques terroristes sur leur territoire, elles doivent encore ajuster leurs stratégies de lutte contre le terrorisme afin de relever les défis qui pourraient découler de l’autonomie croissante des affiliés de l’EI et de leur éventuelle concurrence pour le pouvoir.
Une concurrence destructive entre ces groupes affiliés pourrait être utile, car elle épuiserait les rangs et les ressources des uns et des autres, tout en dégradant leurs relations avec leurs partisans et donateurs de par le monde et en diminuant leur réserve de futurs combattants étrangers. Bien évidemment, c’est ce que les dirigeants d’EI en Irak et en Syrie veulent éviter.
Néanmoins, une plus grande concurrence pour l’influence pourrait conduire à une apparition sans précédent de groupes terroristes dans toute la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Ces groupes seraient séparés géographiquement et donc, ils ne rivaliseraient pas pour un territoire, ni pour des ressources. Ils jouiraient d’une ample marge de manœuvre opérationnelle et de peu d’obstacles contre le terrorisme, leur permettant de conquérir des territoires et d’exploiter leurs victoires pour gagner en notoriété.
Plutôt que de célébrer prématurément la fin de l’EI, le monde doit se préparer à ce scénario probable.
- Tania Ildefonso Ocampos est une analyste politique espagnole spécialisée dans les stratégies de l’UE au Moyen-Orient. Elle a effectué par le passé un stage Robert Schuman (à l’Unité euro-méditerranéenne et moyen-orientale de la Direction générale des politiques extérieures du Parlement européen) et elle a obtenu un master en Histoire du Moyen-Orient à l’université de Tel Aviv, en Israël.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : à Mossoul, les forces kurdes peshmergas observent un check-point contrôlé par les combattants de l’EI en juin 2014 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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