Comment la Russie tente d’effacer les Tatars musulmans
Si vous n’avez jamais entendu parler des Tatars musulmans, vous ne connaissez pas la campagne de terreur menée par l’Union soviétique contre cette minorité turcophone. Même si vous savez que Joseph Staline a eu recours à des milices athées pour faire disparaître cette population indigène de Crimée, vous pourriez ne pas être au courant des efforts plus récents et actuels de la Russie pour procéder au nettoyage ethnique de cette minorité musulmane peu connue.
« Il est très probable que demain, les Tatars de Crimée seront déclarés criminels les plus terribles, et ce sera là le prétexte à un nouveau génocide », a déclaré le dirigeant du Majlis, Zair Smedlyaev, dans une interview récente avec Al Jazeera.
Le Majlis a été fondé en 1991, après l’effondrement de l’Union soviétique, en tant qu’organe représentatif destiné à transmettre les problèmes des Tatars et à adresser leurs griefs au gouvernement central ukrainien, au gouvernement provincial de Crimée et aux institutions internationales.
Occupation illégale
Lorsque la Russie a officialisé son occupation illégale de la Crimée en 2014, le Majlis a choisi de ne pas participer au référendum organisé par le Kremlin, craignant les horreurs de l’Union soviétique de Staline – lesquelles ont affamé la moitié de la population tatare musulmane – soient revisitées sur eux.
Lorsque les Tatars musulmans ont refusé de coopérer avec les autorités russo-criméennes, le Kremlin a accusé le Majlis d’être une organisation « extrémiste islamique », les qualifiant de « séparatistes » et de « terroristes » et a mis en place des lois qui interdisent notamment les rassemblements de musulmans tatars et leurs livres religieux.
La Russie persécute les Tatars musulmans en violation directe des lois et normes internationales relatives aux droits de l’homme, arrête et emprisonne beaucoup d’entre eux en assimilant des manifestations et des discours non violents à des actes de terrorisme et d’extrémisme
Les politiciens russes n’ont pas caché leur sinistre intention de procéder au nettoyage ethnique des 250 000 Tatars musulmans de Crimée, dans ce qu’ils appellent la « déturquisation », certains exhortant la Crimée à être rebaptisée « Tavrida » ou « Tavriya » pour séparer les Tatars de Crimée des « terres sur lesquelles ils sont nés et ont évolué ».
En 2017, la Mission de surveillance des droits de l’homme de l’ONU en Ukraine a publié son premier rapport sur la situation des droits de l’homme en Crimée, concluant que les conditions pour les Tatars musulmans s’étaient « considérablement détériorées sous l’occupation russe ».
Descentes nocturnes
Selon Human Rights Watch (HRW), le Service fédéral de sécurité russe (FSB) effectue régulièrement des descentes nocturnes contre des Tatars musulmans qui critiquent l’occupation de la Russie en public ou en ligne, observant que beaucoup ont été arrêtés, torturés et emprisonnés pour avoir simplement discuté d’interprétations du Coran ou d’autres textes islamiques.
Un Tatar musulman de Crimée qui travaillait comme épicier sur un marché local dans sa ville natale de Nyjnohirskyï a été arrêté le 13 septembre 2017 car il était soupçonné d’être impliqué dans un groupe « extrémiste ». Après avoir frappé la porte d’entrée de son domicile, les agents du FSB ont ligoté Renat Paralamov et l’ont traîné dans une camionnette devant sa femme et ses enfants. Selon Human Rights Watch, sa famille n’a eu aucune information sur son sort pendant plus de 24 heures.
Durant sa détention, le FSB « lui a mis un sac sur la tête… et l’a torturé avec des décharges électriques ». Ils lui ont aussi « donné des coups de poing dans la poitrine et l’ont frappé à l’arrière de la tête », les agents exigeant en fin de compte qu’il travaille pour le FSB en tant qu’informateur, assiste aux rassemblements des Tatars musulmans et transmette des informations.
Paralamov s’est enfui avec sa famille en Ukraine pour rejoindre plus de 40 000 autres Tatars musulmans qui ont fait de même depuis le début de l’occupation russe en 2014.
Un Tatar musulman qui a fui en Turquie en février et a demandé l’asile m’a raconté comment il avait été arrêté et battu après avoir simplement exprimé son opposition à l’occupation de la Russie à un ami dans un café local. « Je n’appartiens à aucun groupe séparatiste ou extrémiste », a-t-il déclaré. « Ce que la Russie est en train de faire n’est pas correct et je pense que beaucoup d’autres [Tatars musulmans] vont essayer de quitter bientôt leurs foyers. »
Violation du droit international
En tant que force d’occupation, la Russie est contrainte par le droit international de ne pas criminaliser les activités qui n’étaient pas criminalisées en Crimée auparavant et elle est tenue de « respecter les droits des résidents de Crimée, y compris le droit à la liberté d’opinion, d’expression, de réunion et d’association, et de religion, la protection contre la détention arbitraire et les mauvais traitements notamment la torture, et le droit à un procès équitable, à une procédure régulière et à la vie privée ».
Cependant, la Russie persécute les Tatars musulmans en violation directe des lois et normes internationales relatives aux droits de l’homme, arrêtant et emprisonnant beaucoup d’entre eux en assimilant des manifestations et des discours non violents à des actes de terrorisme et d’extrémisme.
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L’objectif de la Russie est clair : renforcer son occupation illégale et son annexion de la Crimée en cherchant à éliminer la population autochtone de ce territoire. Ses objectifs et ses méthodes ne diffèrent pas de ceux utilisés par Israël contre les Palestiniens ; par le Myanmar contre les musulmans Rohingyas ; par la Chine contre les Ouïghours musulmans au Turkestan oriental ; et par l’Inde contre les réfugiés bengalis en Assam.
En 1920, le russe Vladimir Lénine aurait écrit ses intentions d’anéantir les Tatars musulmans de Crimée, promettant : « Nous les capturerons, les diviserons, les assujettirons, les assimilerons. »
Un siècle plus tard, les Tatars musulmans sont confrontés à la même crise existentielle du même ennemi : la Russie.
- CJ Werleman écrit des articles d’opinion pour Salonet Alternet. Il est l’auteur de Crucifying Americaet God Hates You. Hate Him Back. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @cjwerleman
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Des Tatars musulmans prient pour l’Aïd el-Fitr à la mosquée Qolsarif de Kazan, le 15 juin 2018 (AFP).
Traduit de l'anglais (original) par VECTranslation.
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