Comment Netanyahou se sert de la religion pour façonner les élections israéliennes
Bien que les questions concernant l’imposition des lois religieuses sur le public aient toujours fait partie du discours politique en Israël, les questions religieuses figureront, pour la première fois, en tête de l’ordre du jour à l’occasion des élections du 17 septembre.
Comment tous les autres sujets – d’abord et avant tout, l’occupation de la Palestine – ont-ils été relégués au second plan ?
Avigdor Lieberman, autrefois allié d’extrême-droite de Benyamin Netanyahou, a ouvert les hostilités après les élections du 9 avril, lorsqu’il a refusé de faire des compromis avec les partis ultra-orthodoxes et a empêché Netanyahou de former un gouvernement de coalition. Lieberman a lâché une bombe, montrant qu’il était possible de mettre fin à des décennies d’alliance entre la droite laïque et la droite religieuse en Israël.
Tollé général
Les partis ultra-orthodoxes n’ont pas toujours été alliés à la droite, mais le bas coût des logements dans les colonies illégales de Cisjordanie les a attirés de plus en plus dans cette direction. Leur ligne rouge reste néanmoins leur insistance sur le fait que les élèves de yeshiva soient exemptés de service militaire.
Dans les mois précédant les dernières élections, une série de déclarations de célèbres rabbins a suscité un tollé chez les laïcs. La ville d’Afoula a organisé un événement public en pratiquant la ségrégation sexuelle, dont la légalité a été discutée par plusieurs tribunaux. L’important membre de la droite et ministre des Transports Bezalel Smotrich a demandé l’imposition de la loi religieuse juive et le ministre de l’Éducation Rafi Peretz a exprimé son soutien aux thérapies de conversion.
Lorsque les rabbins orthodoxes font des déclarations haineuses, ils suscitent des réactions provocatrices de l’opposition, forçant des partis orthodoxes à s’installer dans le camp de Netanyahou
Le journaliste Meron Rapoport a récemment écrit un article fascinant explorant l’importance du discours religieux dans le cycle électoral en cours. Alors que de nombreux Israéliens estiment que la question palestinienne n’est plus importante face au déclin de la résistance armée palestinienne, ils se tournent vers d’autres questions controversées, a-t-il noté – et ce changement pourrait entraîner la chute de Netanyahou, qui ne peut plus capitaliser sur ses références en matière de « sécurité », mais doit tenter de reconstruire l’alliance entre la droite religieuse et la droite laïque s’il veut avoir une chance de remporter les élections.
Je ne suis pas d’accord avec cette analyse. Tout d’abord, je crois que les Israéliens sont davantage menacés par les manifestations non violentes que violentes et que le public israélien est tout sauf serein et complaisant face à la résistance palestinienne à l’occupation.
Les unes des journaux bombardent le public d’innombrables présages de catastrophe si une nouvelle guerre avec Gaza éclatait, si le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) se renforçait ou si l’Autorité palestinienne s’effondrait. Les Israéliens ne sont que trop conscients qu’il n’y a plus de majorité juive dans les zones sous contrôle israélien.
Extension de l’occupation
Cependant, entre Lieberman, à droite, et l’Union démocratique, à gauche, aucun parti n’offre une solution concrète à ces menaces. Les partis de gauche ont tendance à parler de la solution à deux États, mais admettent à demi-mots que certaines régions de la Cisjordanie, notamment Jérusalem-Est, seraient annexées, excluant par là même l’accord des Palestiniens. Les partis religieux attendent un miracle divin qui garantirait la docilité des Palestiniens, tandis que les partis de la droite laïque remplacent Dieu par le président américain Donald Trump dans leur plan visant à étendre indéfiniment l’occupation israélienne.
De plus, l’idée selon laquelle Netanyahou a beaucoup à perdre du changement de discours sous-estime sa maîtrise du système politique israélien. Alors que les élections d’avril ont divisé les partis israéliens sur la question de la corruption (Netanyahou pourrait-il être Premier ministre tout en étant inculpé pour corruption ?), aujourd’hui, les partis d’opposition n’en parlent plus autant et se concentrent plutôt sur les libertés religieuses.
Un fort sentiment anti-religieux est cultivé au sein de la classe moyenne libérale et laïque israélienne depuis plus d’un siècle. Les politiciens de l’opposition ont qualifié les ultra-orthodoxes de « parasites » et ont évoqué des tropes antisémites. Pourtant, ces sentiments sont toujours contradictoires, car il est impossible de tracer une ligne de démarcation entre anti-religiosité et anti-judaïsme – et on ne peut pas être anti-juif tout en soutenant simultanément un État juif au nom du sionisme.
Netanyahou sait que, en attisant la controverse religieuse, il dicte le programme de l’opposition. Lorsque les rabbins orthodoxes font des déclarations haineuses, comme le rabbin Eli Sadan qui a récemment déclaré que « la laïcité [était] un couteau planté dans le dos de la nation », ils suscitent des réactions provocatrices de l’opposition, forçant des partis orthodoxes à s’installer dans le camp de Netanyahou.
Montrer un visage diversifié
Dans le même temps, Netanyahou a nommé un ministre de la Justice ouvertement homosexuel, Amir Ohana, pour prouver que le Likoud était différent des partis religieux de sa coalition. Alors que le Likoud présente un visage diversifié – combinant misogynie et tolérance, orthodoxie et néolibéralisme –, les partis d’opposition se rassemblent autour d’un groupe de plus en plus restreint de libéraux laïcs de la classe moyenne, principalement des juifs ashkénazes, en faveur de la paix mais très militaristes en même temps.
Ce camp est divisé en trois groupes politiques : l’alliance Bleu Blanc, le parti travailliste et l’Union démocratique. Bleu Blanc, ainsi que le Likoud, sont unis dans leur décision d’exclure la Liste unifiée représentant les électeurs palestiniens.
Netanyahou sait que les Israéliens ont presque toujours tendance à voter selon des schémas tribaux. Les juifs orthodoxes votent pour les partis orthodoxes, les ashkénazes de la classe moyenne de Tel-Aviv votent pour les gauchistes, etc.
Il sait également qu’il n’y a jamais eu de tribu « laïque » en Israël. Il existe une petite tribu antireligieuse et de nombreuses personnes qui, sans insister pour une séparation de l’Église et de l’État, aimeraient tout de même pouvoir assister à un concert sans que les familles soient séparées ou utiliser les transports en commun le week-end. Cette répartition des voix empêche quasiment les laïcs de centre gauche de former un gouvernement.
- Shir Hever est membre du conseil d’administration de Jewish Voice for a Just Peace in the Middle East.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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