Dans le monde du football, celui qui a le métier le plus difficile est un Syrien
Les dirigeants de l’équipe anglaise de football ont un travail difficile, les pauvres chéris.
Ils ont affaire à des joueurs trop gâtés et têtus, ainsi qu’à des médias prêts à en découdre. Ils risquent de perdre leur place s’ils ne font pas ce qu’on attend d’eux.
Mais leur travail n’est sans doute pas aussi difficile que celui de Fadi Dabas, le coach de l’équipe syrienne.
Au cours des trois dernières années, il a été le responsable de l’équipe nationale d’un pays ravagé par la guerre. La Syrie ne joue pas de matchs à domicile. Alep, sa ville la plus concernée par le foot, a été assiégée pendant la plus majeure partie des cinq dernières années.
Les stades de foot sont presque vides parce que les foules constituent une cible trop tentante pour les attaques, et les sanctions de la FIFA privent la discipline de financements, ainsi que le note Dabas. « C'est du football sans argent. Que pouvons-nous faire ? »
Le footballeur professionnel moyen en Syrie a de la chance s’il empoche 1 000 $ par an (920 euros).
La Syrie est un pays où le joueur le mieux payé a un contrat annuel de 30 000 $ (27 600 euros), ce qui est considérablement inférieur à ce que certains joueurs de la première ligue anglaise gagnent en une seule après-midi.
De nombreux membres de l’équipe nationale jouent à l’étranger, principalement en Arabie saoudite ou dans les États du Golfe.
Le match à domicile... joué en Malaisie
Et pourtant, pour la première fois de son histoire, la Syrie a une petite chance de parvenir en finales de la Coupe du monde de l’année prochaine en Russie. Combien les Russes, alliés d’Assad dans la guerre civile, aimeraient voir cela se produire.
Les résultats devront tourner à son avantage pour que la Syrie ait une chance quelconque. Elle doit battre le Qatar, l’un des opposants les plus acharnés du président Bachar al-Assad, dans ce qui s’annonce comme un match monumental en août prochain, lors de la dernière phase des éliminatoires.
Mais la Syrie a déjà tenu en échec la Chine et l’Ouzbékistan et a fait match nul contre l’Iran et la Corée du Sud.
Je suis allé voir Fadi Dabas au complexe sportif de Damas, où il a un bureau. Bien qu’appelé « manager », son travail est plus proche de ce que les Britanniques appelleraient « directeur du football » que de celui d’entraîneur.
Comment rassemble-t-il l’équipe pour les entraînements ? « Cela devra attendre le mois d’août. Tous les joueurs reviendront ici pour préparer le match contre le Qatar, qui sera joué le 31 août. »
Bien qu’il s’agisse en théorie d’un match « à domicile », celui-ci se jouera en Malaisie, qui a accepté de mettre un stade à disposition.
À court d’argent
Le téléphone sonne, Dabas prend l’appel. C’est le chef de la fédération nationale de football qui a de bonnes nouvelles : la confirmation que le match du lendemain entre le club de Damas al-Muhafaza et celui d’Alep al-Ittihad aura bien lieu.
Pendant une grande partie de ces cinq dernières années, avec Alep, les ligues nationales ont été confinées à une poignée de matches à Lattaquié et Damas.
Avec la fin du siège en début d’année, une certaine normalité commence à revenir. Je demande à Fadi Dabas, ancien défenseur dans la ligue nationale syrienne, combien il est payé.
La réponse est : rien. « Je suis bénévole. Parfois, je paie pour l’équipe, pour les aider. »
Dans son petit bureau, l’écran de télévision – flanqué de deux exemplaires du Coran – est brisé.
Je ne tirerai rien de Fadi Dabas lorsque je lui demande ce qu’il paie. Je déduirai plus tard qu’il met la main à la poche pour certains équipements et même le paiement des joueurs – qui ont reçu environ 2 000 $ (1 841 euros) chacun après leur célèbre victoire contre l’Ouzbékistan.
« C’est un rêve pour tout manager ou n’importe quel joueur d’aller en Coupe du monde, dit-il. Nous rendons heureuses toutes les foules syriennes. Nous faisons cela pour l’ensemble de la Syrie. Nous nous battrons jusqu’au dernier moment pour aller en Russie. »
Il explique que l’équipe de football sert la cause nationale : « Le football rapproche le gouvernement et les rebelles ». Et il remercie le gouvernement d’apporter un soutien financier.
Retour au sein de l'équipe
Il ne fait aucun doute que la guerre civile a causé des divisions amères dans le monde du football syrien, plusieurs joueurs vedettes ayant pris le parti des rebelles lorsque le soulèvement a débuté en 2011.
Un exemple célèbre est celui du gardien de but Abdel Basset al-Sarout, originaire de Homs. Celui qui était au début du conflit une étoile montante de l’équipe nationale a abandonné le football pour rejoindre l’insurrection contre Assad. Il est devenu un combattant rebelle et une icône de la rébellion.
Récemment, l’équipe syrienne a reçu un coup de pouce inattendu lorsque Firas al-Khatib, l’un des plus grands footballeurs du pays qui avait déclaré sa sympathie pour les rebelles en 2012, a annoncé qu’il retournerait dans l’équipe nationale.
Khatib, qui est né à Homs et joue pour une équipe koweïtienne, a déclaré qu’il « accepterait bien entendu parce que ce serait un honneur pour un sportif de représenter son pays et son équipe ».
Quand je soulève le sujet, Fadi Dabas se montre prudent : « Chacun a ses propres raisons personnelles. Il est un fils de Syrie. Il veut jouer sous le drapeau syrien. »
En prenant congé, je demande à Fadi Dabas ce qu’il pense des énormes sommes versées aux managers d’autres équipes nationales. « C'est naturel. Chacun vaut le paiement qu’il reçoit.
« C’est bien pour eux. C’est une chose professionnelle. C’est le business. »
Certains condamneraient Dabas pour le fait de diriger l’équipe syrienne et ainsi fournir un soutien et un réconfort au régime d’Assad, honni par nombre de ses compatriotes.
Je ne peux être d’accord. Quelle que soit l’opinion que vous avez sur la guerre civile syrienne, qui a causé tant d’horreurs et a fauché d’innombrables vies, il ne fait aucun doute que Fadi Dabas a le travail le plus difficile du football mondial.
En dirigeant l’équipe syrienne à un moment aussi effroyable, Fadi Dabas mérite certainement l’admiration du monde du football.
- Peter Oborne a été désigné journaliste indépendant de l’année 2016 à l’occasion des Online Media Awards pour un article qu’il a rédigé pour Middle East Eye. Il a reçu le prix de Chroniqueur britannique de l’année lors des British Press Awards de 2013. En 2015, il a démissionné de son poste de chroniqueur politique du quotidien The Daily Telegraph. Parmi ses ouvrages figurent Le triomphe de la classe politique anglaise, The Rise of Political Lying et Why the West is Wrong about Nuclear Iran.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Le Syrien Omar Khrbin de Syrie (à droite) et l’Iranien Morteza Pouraliganji font une tête lors du match de qualification pour la Coupe du monde de football 2018 entre la Syrie et l’Iran au stade Tuanku Abdul Rahman de Seremban, le 15 novembre 2016 (AFP).
Traduit de l'anglais (original) par Monique Gire.
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