De l’héritage colonial de l’Europe sur la crise des réfugiés
L’an dernier, pendant une brève visite dans la ville italienne de Naples, j’ai été témoin d’une scène impliquant trois Africains qui vendaient des sacs sur le trottoir et trois agents de l’ordre italiens ostensiblement armés.
Ces derniers étaient en train d’assurer la sécurité publique en confisquant les lots de sacs et en se moquant des Africains visiblement angoissés, pendant qu’une foule de touristes les observait.
Les invasions et les pillages ne posent pas de problèmes lorsqu’ils sont menés par les bonnes personnes – mais Dieu interdit tout habitant des territoires autrefois pillés par les Européens d’essayer de survivre dans la forteresse européenne d’aujourd’hui
Ces jours-ci en Europe, en effet, le refus par la force de toute dignité aux migrants semble avoir été intégré à la liste de ce que le personnel de sécurité doit faire pendant son service.
Déshumaniser le traitement des migrants est facilité par la rhétorique péjorative de la classe dirigeante européenne : l’éternelle figure politique italienne Silvio Berlusconi, par exemple, s’était plaint une fois du fait que Milan, à certains endroits, « ressemblait trop à l’Afrique ».
Un média consciencieusement xénophobe travaille un peu plus à stimuler les peurs existentielles dans l’esprit du public européen.
Ignorer l’histoire
Lors de mes voyages réguliers en Italie – où mon passeport américain m’assure de manière arbitraire un libre accès et où je n’ai pas à risquer ma vie pour tenter d’y accéder sur un bateau bancal – les Italiens me racontent d’innombrables histoires sur les dernières offenses faites aux migrants dans le pays.
Selon les histoires, appuyées par les médias, les envahisseurs venus d’Afrique passent leur temps à compliquer, par tous les moyens possibles, la vie de la population italienne, en général en vivant comme des rois aux frais du gouvernement italien, qui leur jette joyeusement de l’argent pour contrarier son propre peuple.
Certes, les invités de l’Italie s’emploient souvent au mieux à camoufler leurs conditions de vie luxueuses en habitant dans des centres pour migrants surpeuplés et insalubres, en vendant des sacs sur le trottoir et en subissant constamment le ridicule et les abus.
Pendant ce temps, les Européens, hyper attachés à la notion de territoire, qui ne jurent que par l’inviolabilité des frontières, ignorent opportunément l’histoire européenne elle-même dans leurs tentatives pour pousser toujours plus loin les attitudes moralisatrices.
Peu de temps après avoir été témoin de la crise de la police à Naples avec ces trois Africains, je suis tombée incidemment sur une importante stèle en bord de mer rendant honneur aux soldats italiens tombés « lors des guerres en Afrique » alors qu’ils étaient en train de poursuivre « la mission mondiale » de l’Italie.
Apparemment, les invasions et les pillages ne posent pas de problèmes lorsqu’ils sont menés par les bonnes personnes – mais Dieu interdit tout habitant des territoires autrefois pillés par les Européens d’essayer de survivre dans la forteresse européenne d’aujourd’hui.
Les véritables victimes
Dans son nouveau livre Cartes de l’exil, publié par Warscapes Magazine, le journaliste somalo-canadien Hassan Ghedir Santur remarque qu’– en plus des héritages coloniaux destructeurs européens – des machinations militaires occidentales plus récentes ont aussi contribué de manière significative aux schémas de migration actuels.
La complicité établie de l’Europe dans la production de réfugiés n’a pas produit d’introspection sérieuse
Au-delà des exemples les plus évidents, comme la destruction de l’Irak soutenue par les Occidentaux, Santur souligne que « plusieurs pays européens continuent à vendre des milliards d’euros d’armes à différents pays d’Afrique et du Moyen-Orient où la violence a contraint des milliers de personnes à fuir. »
En guise d’exemple, il cite les révélations de 2016 selon lesquelles le Royaume-Uni a signé un contrat de 4,1 milliards d’exportations d’armes à l’Arabie saoudite pendant la première année du dernier bombardement du royaume au Yémen.
Et Santur d’écrire : « L’Arabie saoudite a utilisé ces armes contre les rebelles yéménites – toutes tuant trop souvent des civils – et cela alors même que les bombes à fragmentation fabriquées par les britanniques sont interdites par la Convention sur les armes à sous-munitions, un traité international dont est membre le Royaume-Uni.
Clairement, la complicité établie de l’Europe dans la production de réfugiés n’a pas produit d’introspection sérieuse ou rendu le terrain européen plus accueillant pour les réfugiés. Au lieu de cela, l’idée selon laquelle les Européens sont quelque part les véritables victimes de la crise des réfugiés qui a vu un nombre incalculable d’êtres humains risquer leur vie pour s’extirper d’une oppression politique ou économique.
Des gens ordinaires
Au lieu d’exposer de telles erreurs, les médias sautent plus souvent qu’à leur tour, sans vergogne, sur les lignes de front de la bataille contre les migrants – ce qui explique en partie pourquoi le journalisme comme celui de Santur est un tel soulagement.
Dans Cartes de l’exil, Santur transmet les histoires de personnes qu’il a rencontrées dans des camps de migrants et d’autres lieux à travers l’Europe, dont celle d’un jeune homme somalien appelé Ahmed, avec qui il a passé cinq jours en 2015 dans la « jungle » de Calais en France, désormais détruite.
Après avoir fui Mogadiscio avec sa famille alors qu’il était âgé de 2 ans, Ahmed a déménagé de l’Éthiopie vers Djibouti puis au Somaliland, où il a terminé ses études secondaires et où « trouver un moyen [de finir ses études] est devenu le plus grand challenge de sa vie ».
Il a fini par obtenir une licence au Soudan et a sollicité des bourses d’études pour continuer son éducation en Europe. Il n’a pas été accepté, et s’est embarqué dans une odyssée périlleuse qui l’a mené de l’Égypte à l’Italie, de l’autre côté de la Méditerranée, puis en Allemagne et enfin en France.
Parmi les avantages de la vie à Calais, un policier français manieur de matraque lui a cassé le poignet, bien que les résidents du camp étaient, semble-t-il, heureusement plus éduqués que les autorités. Santur décrit une ballade à travers la « jungle » avec Ahmed en 2015 : « Partout où il m’emmène, quelqu’un le serre chaleureusement dans ses bras et lui parle en arabe, en somali ou en anglais. »
Vers la fin de Cartes de l’exil, Santur revient sur sa dernière rencontre avec Ahmed :
« Tandis que j’écoute Ahmed en train de parler de ses espoirs et de ses rêves, je suis frappé par leur banalité. Il est indéniable que la crise migratoire actuelle qui se passe en Europe est extraordinaire. Mais enlevez les nombres extraordinaires de réfugiés et de migrants qui traversent le continent – enlevez les actes courageux de désespoir, enlevez les politiques profondément divisées – et il reste les gens ordinaires avec les envies les plus ordinaires : sécurité, liberté, emploi. »
Si seulement le journalisme humanitaire était plus ordinaire.
- Belen Fernandez est l’auteure de The Imperial Messenger : Thomas Friedman at Work (Verso). Elle collabore à la rédaction du magazine Jacobin.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Des familles de réfugiés venant de camps aux alentours d’Athènes participent à des manifestations en mars 2017 menées par les groups antifascistes grecs contre la position de l’Union européenne sur les réfugiés (AFP).
Traduit de l’anglais (original)
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].