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Le massacre de la place Rabia prouve que l’Occident ne soutiendra jamais la démocratie égyptienne

Dix ans après le bain de sang d’août 2013, les Égyptiens n’ont aucune raison de croire le discours occidental à propos des droits de l’homme
Le président américain Joe Biden et son homologue égyptien Abdel Fattah al-Sissi photographiés à Charm el-Cheikh, en Égypte, le 11 novembre 2022 (AFP)

Août 2023 marque le dixième anniversaire du pire massacre de l’histoire égyptienne. Il y a dix ans, l’armée égyptienne a massacré de sang-froid environ un millier d’Égyptiens lors des manifestations de la place Rabia au Caire. Ce massacre visait à créer une nouvelle ère de répression et de brutalité qui allait ancrer le régime à venir du général Abdel Fattah al-Sissi. 

Ces Égyptiens s’étaient rassemblés au Caire pour soutenir Mohamed Morsi, premier et unique président élu démocratiquement de l’histoire du pays. Je faisais partie de son gouvernement et je peux dire sans hésitation que, si nous avons commis des erreurs lorsque nous étions au pouvoir, aucune ne s’approche de la criminalité, de la corruption et de la brutalité absolue qui caractérisent les 60 années qui ont précédé cette période ou la décennie qui l’a suivie. 

La démocratie demande énormément de travail. La brève expérience égyptienne de la démocratie n’était pas parfaite, ni même nécessairement si bien que cela. Mais on parvient à la démocratie grâce à des progrès sporadiques, pas d’un seul coup. 

L’Égypte méritait d’être soutenue dans son expérience de la démocratie. Mais ce n’était clairement pas la position soutenue par l’Occident en général, et par les États-Unis en particulier. Les responsables occidentaux dissertent longuement sur la démocratie, mais leurs promesses d’aide à la démocratie ne valent que si vous vivez dans un endroit où la démocratie est un moyen d’installer un régime favorable aux intérêts occidentaux. 

Pour les populations de ces pays, le message de l’Occident est différent : vous ne méritez pas la démocratie. Vous n’aurez pas la possibilité d’échouer et de réessayer. Vous méritez une autocratie corrompue, répressive et brutale qui accuse un retard de croissance. Et c’est ce que l’Occident qualifiera de « stabilité » 

Si vous êtes en Égypte ou au Pakistan, votre démocratie est moins privilégiée que les bons vieux autocrates. Pour les populations de ces pays, le message de l’Occident est différent : vous ne méritez pas la démocratie. Vous n’aurez pas la possibilité d’essayer. Vous n’aurez pas la possibilité d’échouer et de réessayer. Vous méritez une autocratie corrompue, répressive et brutale qui accuse un retard de croissance. Et c’est ce que l’Occident qualifiera de « stabilité ». 

C’est exactement ce que les États-Unis et l’Union européenne ont soutenu et promu en Égypte. L’ancien président américain Barack Obama a résolument refusé de rencontrer Morsi lors de son année au pouvoir, mais s’est porté volontiers à la rencontre de Sissi moins d’un an après que celui-ci eut tué et emprisonné des milliers d’Égyptiens. 

La politique américaine en Égypte sous le président Joe Biden, qui prétend tenter de renforcer la démocratie et a organisé un sommet à cet effet, n’a pas différé de celle de son prédécesseur, Donald Trump, qui au moins avait la décence de dire les choses telles qu’elles sont

Soutien aux dictateurs

Et ce soutien occidental aux autocraties n’est pas un simple exercice discursif : il s’accompagne de milliards de dollars de financement, d’aide militaire et de crédibilité sur la scène mondiale. 

Les Américains ont l’impression que la démocratie est attaquée dans leur propre pays. Mais le combat pour la démocratie dans des endroits tels que l’Égypte est de nature radicalement différente. La politique américaine de soutien aux dictateurs et aux despotes a des impacts importants sur la vie de millions de personnes. En Égypte, cela a engendré des milliers de meurtres, d’emprisonnements et d’enlèvements de ceux qui expriment la moindre opposition au régime, ainsi que le harcèlement des exilés. 

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L’enfant qui avait 10 ans lorsque son père a été emprisonné il y a dix ans (rien que pour avoir œuvré en faveur d’une Égypte libre et digne) est aujourd’hui une jeune femme de 20 ans. L’adolescent qui avait 15 ans au moment du coup d’État en a aujourd’hui 25. Comment voient-ils les États-Unis ? 

Comment une femme victime d’abus sexuels de la part des forces de sécurité de Sissi se sent-elle vis-à-vis de ses soutiens américains ? Comment les exilés qui ont été contraints de fuir puis ont vu leur demande d’asile rejetée par des pays qui soutiennent Sissi voient-ils les États-Unis ?

De manière générale, comment les Égyptiens voient-ils l’Occident, étant donné son échec constant à soutenir les droits fondamentaux ? La réponse est, de plus en plus, avec une certaine indifférence, quand ce n’est pas une hostilité pure et simple. 

Il y a dix ans, il y avait une volonté généralisée de tourner la page, d’oublier les politiques passées telles que le soutien occidental au coup d’État en Iran dans les années 1950 ou le soutien constant pour les coups d’État en Amérique centrale.

La politique américaine de soutien aux dictateurs et aux despotes a des impacts importants sur la vie de millions de personnes. En Égypte, cela a engendré des milliers de meurtres, d’emprisonnements et d’enlèvements

Il y avait cette croyance idéaliste que les Égyptiens pouvaient s’attendre à un soutien vis-à-vis de leur démocratisation. Cette bonne volonté a aujourd’hui disparu.

Dix ans après que l’Occident a salué le meurtre de masse d’Égyptiens, le régime pour lequel il a déroulé le tapis rouge est défaillant. L’Égypte est en ruines. L’Occident a une chance de convertir ses paroles en actes. Si aucun Égyptien n’espère plus que les élections à venir apporteront un changement significatif, l’Occident peut au moins cesser son hypocrisie et soutenir un scrutin véritablement libre et équitable.  

Cela n’arrivera probablement pas et les Égyptiens ne croient plus dans le discours occidental sur l’aide à la démocratie. Il y a cette gaffe célèbre d’un ancien président américain qui s’est embrouillé dans un adage, mais qui s’est rattrapé avec un bon conseil pour tout pays en développement à la recherche de la démocratie : vous ne pouvez plus me duper. 

- Yehia Hamed est l’ancien ministre égyptien de l’Investissement. Il a été membre du gouvernement de Mohamed Morsi, élu démocratiquement, qui a été renversé par un putsch en 2013.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Yehia Hamed is Egypt's former investment minister. He served in the democratically elected government of Mohamed Morsi, who was overthrown in a coup in 2013.
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