En Égypte, double attentat et deux fois plus de problèmes
Un double attentat, des mares de sang, au moins 44 morts : on est une semaine avant Pâques et les Égyptiens chrétiens et musulmans se retrouvent au milieu d’une confrontation mortelle entre l’État islamique (EI) et le gouvernement égyptien.
À peine 110 jours après le dernier attentat majeur dans une église, le gouvernement insiste sur le fait qu’il est victorieux dans sa lutte contre l’EI au Sinaï et refuse de voir la réalité d’une insurrection se répandre à travers le delta du Nil.
Les Égyptiens se retrouvent dans une caverne obscure, dont une extrémité est gardée par le serpent EI et l’autre « protégée » par la vipère du terrorisme d’État
Un tel entêtement a non seulement engendré des attaques mortelles, mais a également contribué à saper la base de soutien chrétien qui revêt la plus grande importance pour un régime en difficulté.
Cependant, ces deux attaques mortelles surviennent à un moment idéal pour un régime cherchant constamment à resserrer sa poigne oppressive : le seul gagnant ici est Sissi.
Quelques heures après la revendication de ces attentats à la bombe meurtriers par l’EI, Sissi a riposté en décrétant un état d’urgence de trois mois dans tout le pays.
Dans le pays des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des emprisonnements politiques et des oppositions pulvérisées, qu’est-ce que l’état d’urgence vous demandez-vous ? Une bonne affaire et rien de plaisant ou de constructif.
Aucune justice pour tous
Dans un rebondissement obscur, l’ex-chef de l’armée et l’homme fort du moment Abdel Fattah al-Sissi a proposé au lendemain des attaques une nouvelle solution militaire de fortune : l’armée aiderait la police à sécuriser des institutions vitales.
En d’autres termes, en dépit du fait que la plupart des problèmes dans le pays sont directement liés à et enracinés dans la dictature militaire, la meilleure solution proposée implique – vous l’avez deviné – l’armée.
On ne peut se méprendre en constatant que, dans cette situation, les Égyptiens se retrouvent dans une caverne obscure, dont une extrémité est gardée par le serpent EI et l’autre « protégée » par la vipère du terrorisme d’État.
Vous cherchez une lumière au bout du tunnel en Égypte ? C’est l’arrivée du train de la loi sur l’état d’urgence
Contrairement à la vipère, lorsque l’EI frappe – et récemment il a adopté un ton sectaire particulièrement venimeux – sa frappe est rapide, mortelle et limitée à ceux qui se trouvent dans le voisinage physique.
Cependant, dans le cas de la hiérarchie au pouvoir de Sissi et de sa décision despotique de mettre en œuvre l’état d’urgence, une nation composée de 91 millions de personnes est désormais soumise au caprice d’un autocrate. Vous cherchez une lumière au bout du tunnel en Égypte ? C’est l’arrivée du train de la loi sur l’état d’urgence.
Dans les heures qui ont suivi l’annonce de Sissi, de nombreux Égyptiens sur les réseaux sociaux – dans une forme particulièrement explicite de dissonance cognitive – ont effectivement soutenu : « Eh bien, quelle différence ? Nous avons été soumis aux lois d’urgence dictées par Moubarak pendant 30 ans. »
C’est une question valable et la réponse devrait l’être également : alors que Moubarak avait clairement délimité les limites et faisait de la démocratie une mascarade au profit de l’Occident, Sissi n’a pas de telles limites en l’absence de la loi sur l’état d’urgence.
Sous Sissi, l’Égypte a déjà connue des violations des droits de l’homme sans précédent. Des milliers de personnes ont été tuées, plus de 60 000 autres ont été emprisonnées pour leurs convictions politiques et plus d’un millier de citoyens ont disparu. Et les exécutions extrajudiciaires ? Après que Trump a donné carte blanche à Sissi à Washington la semaine dernière, ces chiffres ont également augmenté.
Et aujourd’hui, avec un ennemi organisé comme l’EI qui a promis davantage d’attaques mortelles contre les chrétiens égyptiens en décembre lorsqu’il frappait une grande cathédrale et tuait 25 personnes, une boîte de Pandore de mesures punitives de masse se dissimulant sous le masque de la loi a été ouverte.
Ce à quoi Sissi s’est exercé jusqu’ici est atroce. Ce qui suit pourrait être infernal.
Les cauchemars du Nil
L’idée selon laquelle les lois d’urgence de Sissi seront différentes de celles de Moubarak est le point essentiel à garder à l’esprit.
À première vue, les nouvelles lois peuvent sembler plus favorables et plus douces : elles ne peuvent être décrétées que pour une période de trois mois et uniquement si une majorité parlementaire les approuve, et pour être étendues, une majorité des deux tiers est nécessaire.
Imaginez que vous êtes dans un café du Caire un soir et que l’on vous appréhende à un poste de contrôle itinérant pour vérifier votre carte d’identité. Et là, c’est un cauchemar : vous découvrez que vous l’avez oubliée dans un autre portefeuille
Mais la morsure la plus dangereuse sera portée devant les tribunaux. Le régime ne peut pas se permettre de perdre sa (fausse) réputation de régime prônant « la sécurité d’abord » et a essentiellement insisté sur l’option « juridique » nucléaire en déclarant un état d’urgence – ou une « légalisation de la violation de tous les droits », selon l’avocat défenseur des droits de l’homme égyptien Mahmoud Belal.
Imaginez que vous êtes dans un café du Caire, tard un soir de printemps, et que l’on vous appréhende à un poste de contrôle itinérant pour vérifier votre carte nationale d’identité. Et là, c’est un cauchemar : vous découvrez que vous l’avez oubliée dans un autre portefeuille. Vous vous faites arrêter.
Pire encore, après votre arrestation, vous vous retrouvez devant une cour de sécurité nationale qui, pour ainsi dire, fonctionne comme un tribunal militaire, où la seule possibilité d’appel se fait par l’intermédiaire d’un dirigeant militaire.
Mais la loi sur l’état d’urgence sert également à accorder à l’État une domination totale sur la presse et la liberté d’expression – ce n’est pas comme s’il n’y avait pas beaucoup de choses à dire aujourd’hui.
En termes explicites, la loi accorde au gouvernement la possibilité de surveiller et de censurer toutes les publications avant leur publication et, surtout, sans invoquer d’empêchement légitime.
Un jour après le double attentat, Al-Bawaba, un journal très pro-Sissi, s’est vu confisquer son numéro. Le personnel du journal a été surpris, mais il ne devrait pas l’être : dans les mois à venir, la sécurité nationale sera plus que jamais le mot de passe pour un règne draconien absolu.
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Un rassemblement d’amis peut être interprété comme une tentative de renversement du gouvernement. Les e-mails – qui, bien sûr, seront surveillés – pourront et seront utilisés contre vous. La loi décidera de qui peut passer où et quand et fixera les heures d’ouverture et de fermeture des magasins – 1984, vous dites ? C’est pire. Ici, il n’y a pas de marge de manœuvre avec le pouvoir qui est uniquement entre les mains des centaines de milliers de membres des forces de sécurité.
En clair, la loi sur l’état d’urgence légalise le rêve de Sissi : une dictature totale sans faux-semblant. Telle est l’intention de la vipère.
La descente finale
Le serpent, cependant, fonctionne de manière moins mystérieuse. L’EI a changé de stratégie et l’Égypte a probablement un pistolet pointé sur elle, chargé de futures attaques terroristes sectaires contre les dix millions de chrétiens du pays.
Ce n’est un secret pour personne et Sissi l’a clairement indiqué lors du discours qu’il a prononcé dimanche après les attentats, dans lequel il a reconnu que la confrontation serait « longue et ininterrompue ».
Y a-t-il quelque chose de plus dangereux qu’un groupe à son stade final de désintégration ?
S’il a essayé de relier les Frères musulmans à l’EI, une tactique que les analystes ont sans cesse discréditée, Sissi avait raison pour une chose : cette insurrection est sur le point d’empirer.
Pensez à cela sur le plan pratique : alors qu’il continue de perdre du terrain en Syrie et en Irak, un ennemi discipliné apporte ses ressources humaines, tactiques et stratégiques d’élite pour déstabiliser la nation arabe la plus peuplée.
Y a-t-il quelque chose de plus dangereux qu’un groupe à son stade final de désintégration ?
Dans une tournure sombre des événements, l’arme idéologique la plus puissante de l’EI est sa capacité à voir la face cachée sectaire de l’Égypte.
Quelques heures après les attentats, une femme égyptienne a raconté une scène qui s’est produite alors qu’elle se dirigeait vers l’église le même matin : « Un garçon, probablement âgé d’environ seize ans, debout à côté de son ami, nous voit, ma mère et moi, passer avec des rameaux [sur le chemin de l’église]. Il nous regarde et dit : "Regarde cette saleté..." »
S’il ne fera probablement pas plus que murmurer sa haine dans les prochains jours, cet exemple montre toutefois que le problème ne relève pas seulement de quelques extrémistes.
Bien qu’elle ne soit pas analyste, mais elle a mis son doigt sur le nœud du problème : il existe en Égypte de nombreux jeunes musulmans qui sont de la chair à canon pour l’EI, ce qui représente un plus grand danger pour l’Égypte que quelques centaines de terroristes.
Il y aura ceux qui hurleront de façon répétée, dans le camp de Sissi, à Washington, D.C. et dans d’autres capitales, en faveur d’une solution simpliste visant à répondre aux armes par les armes. Mais la solution est de répondre à l’esprit par l’esprit. Sans changer les esprits et sans parler aux âmes, la lutte contre le terrorisme en Égypte est une cause perdue et les explosions seront le moindre de nos soucis.
- Amr Khalifa est journaliste indépendant et analyste. Il a récemment été publié dans Ahram Online, Mada Masr, The New Arab, Muftah et Daily News Egypt. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @cairo67unedited.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : scène à l’intérieur de l’église copte Mar Girgis dans la ville de Tanta, dans le delta du Nil, après une explosion qui a touché des fidèles de l’église célébrant les Rameaux (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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