En Iran, les Gardiens de la révolution tourneront le discours de Trump à leur avantage
La « non-certification » par Trump de l’accord sur le nucléaire, aussi connu comme le « plan d’action global conjoint » (JCPOA) a provoqué une réaction immédiate de la part du président iranien, Hassan Rohani : il a ridiculisé « l’ignorance » de Trump et sa rhétorique d’intimidation contre l’Iran.
Rohani a conforté sa contre-offensive en début de la journée, quand, lors d’une réunion avec le nouvel ambassadeur suisse à Téhéran, il a affirmé que toute atteinte au JCPOA équivaudrait à s’en prendre à la sécurité et à la stabilité de la région et, plus largement, du monde entier.
Au-delà de la réaction officielle, les Iraniens ordinaires ont vivement réagi, sur les réseaux sociaux, à la virulente attaque de Trump contre leur pays et à sa présentation, en des termes si peu nuancés, de la République islamique.
Autre aspect frappant, mais pas vraiment surprenant, du discours de Trump : il s’en est pris violemment aux Gardiens de la révolution islamique (GRI) qu’il a qualifiés, à tort, de « corps mis au service du chef suprême iranien pour imposer par la terreur son pouvoir personnel et corrompu ». Cependant, Trump n’est pas allé jusqu’à taxer les GRI d’organisation terroriste car, avaient prévenu les plus hauts responsables iraniens, cela équivaudrait à une déclaration de guerre.
L’amalgame de Trump entre l’accord sur le nucléaire et la politique régionale de l’Iran est au centre de sa non-certification du JCPOA. De plus, cet amalgame se focalise sur les GRI, fer de lance de la formulation et de l’exécution des politiques iraniennes en Syrie, en Irak et au Yémen – aussi à l’origine de l’orientation des politiques à l’égard des ennemis régionaux que sont l’Arabie Saoudite et Israël.
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Mais le haut commandement des GRI (appelé aussi les Pasdaran) ne sera pas trop inquiété par l’offensive rhétorique du président américain à son encontre. D’abord parce qu’on se demande bien comment les États-Unis peuvent s’opposer aux GRI – sans s’attirer une confrontation militaire avec l’Iran – sur les points chauds de cette région.
Pour leur part, les commandants des Pasdaran instrumentaliseront probablement ce nouveau niveau d’hostilité américaine pour déployer d’autant plus d’énergie et de ressources dans leurs programmes stratégiques, en particulier leur industrie de missiles balistiques. Et ils ne manqueront pas de capitaliser sur le soutien renouvelé de leur population pour se refaire une virginité au cœur de l’opinion publique de leur propre pays.
L’imbécilité de Trump
Même avant les propos incendiaires de Trump, de nombreux signes forts montraient que l’État et la société iraniens s’étaient ralliés aux GRI pour anticiper d’éventuelles initiatives américaines hostiles. Au plus haut niveau, Rohani a mis entre parenthèses ses désaccords mineurs avec les GRI, proclamant que les Pasdaran sont chers au cœur des Iraniens. Il a aussi souligné que les GRI étaient « chéris par les peuples iranien, irakien, syrien, libanais et kurdes irakiens ».
Les GRI ne sont certes pas « chéris » par la région toute entière, comme le suggère Rohani, mais ils sont incontestablement très respectés en Iran. Ce respect s’enracine dans la guerre Iran-Irak : les Pasdaran et leurs affiliés (au sein des forces de mobilisation populaire du Basij) se trouvaient en première ligne pendant l’effort de guerre iranien et ce sont eux qui y ont sacrifié le plus grand nombre d’hommes.
En termes constitutionnels et institutionnels, les GRI représentent la plus importante organisation de l’Iran et ne sauraient être réduits à un pur instrument à la solde des gouvernants. Le jour fondateur de la création des Pasdaran est essentiel à cette analyse : il fut créé en mai 1979, trois mois à peine après la victoire de la révolution iranienne. Ainsi, les Pasdaran incarnent la volonté collective de la révolution iranienne et sont investis de la protection physique et idéologique du pays.
Le fondement révolutionnaire des GRI, combiné à son mandat constitutionnel, et ajouté à la très pénible expérience de la guerre Iran-Irak, a transformé les Pasdaran en une organisation militaire à part entière – armée de terre, forces navale et aérienne. De ce fait, l’Iran est le seul pays au monde à posséder deux commandements militaires indépendants : celui des militaires de l’armée régulière et celui des GRI.
Mais les Gardiens de la révolution représentent bien plus qu’une simple organisation militaire. Leur mission « idéologique » – selon laquelle ils doivent protéger les frontières politiques et idéologiques de la révolution iranienne –, les a amenés à développer des unités sophistiquées de renseignement, en interne et à l’étranger.
De plus, les GRI sponsorisent un large éventail de groupes de médias, notamment la très influente agence de presse Fars News. Les activités économiques des Pasdaran, en revanche, suscitent controverse et ressentiment à l’intérieur de l’Iran. Les Pasdaran contrôlent de grands projets d’infrastructures par le truchement du Khatam al-Anbiya, vaste entreprise de BTP, censée employer 135 000 personnes.
Ce à quoi Trump s’est attaqué, c’est spécifiquement à l’influence des GRI sur la politique régionale iranienne. Dans ce domaine également, les Pasdaran ont réussi à développer des outils spécialisés, destinés à formuler et à appliquer leurs politiques à des niveaux micros et macros.
Mission désespérée
Le point d’entrée des Pasdaran dans la politique régionale fut leur engagement intensif en faveur des exilés chiites irakiens pendant la guerre Iran-Irak. Les GRI ont en partie sponsorisé la création, en novembre de 1982, du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak » (appelé désormais « Conseil suprême islamique de l’Irak »). L’aile armée du SCIRI, le corps des Badr, fut complètement intégrée à l’ordre de bataille des GRI, sous l’appellation de « 9e corps Badr ».
Les Badr (appelés désormais « Organisation Badr ») ont joué un rôle de premier plan dans la réforme du secteur de la sécurité dans l’Irak post-baathiste. Plus récemment, les GRI ont pleinement tiré profit de l’instabilité provoquée par le groupe État islamique (EI) pour se faire les champions du développement d’une infrastructure iranienne de sécurité parallèle, connue sous le nom d’Unités de mobilisation populaire.
Si les Pasdaran ont réussi à repousser Daech d’Irak et de Syrie, ils le doivent aux forces Al-Qods, l’aile expéditionnaire des GRI. La naissance des forces Al-Qods est étroitement liée à celle du corps Badr, car ce sont des unités sœurs qui occupent le même rang au sein de la hiérarchie des GRI.
Trump a fourni une occasion idéale aux commandants des GRI de se refaire une virginité au cœur de l’opinion publique iranienne
Connues à l’origine sous le nom de « 2e corps Al-Qods », les forces Al-Qods se sont développées dès la fin de la guerre Iran-Irak, et se sont illustrées par de hauts faits militaires en Irak, en Afghanistan, au Soudan – et même jusqu’en Bosnie, pendant les guerres des années 1990 dans les Balkans. Le déclenchement du conflit syrien en 2011 a fourni aux forces Al-Qods l’occasion de conduire le premier déploiement militaire mené ouvertement par l’Iran à l’étranger depuis 1973, où le Shah avait envoyé des forces à Oman, avec pour mission d’étouffer la rébellion du Dhofar.
En plus de l’imposition de sanctions et du déchaînement d’une rhétorique pompeuse, on voit mal comment Trump pourrait repousser les forces Al-Qods dans les zones de conflit au Moyen-Orient. En Irak et Syrie, elles travaillent avec de multiples partenaires locaux, dont certains (en Irak au moins) agissent en étroite collaboration avec les militaires américains.
De son côté, les GRI semblent se préparer à affronter des temps difficiles, comme annoncé par le chef adjoint des forces armées iraniennes (et membre des GRI), le général de brigade Massoud Jazayeri. Au-delà de l’intensification de leurs opérations dans les zones de conflit, la force aéronautiques des GRI, commandée par le général de brigade Amir Ali Hajizadeh, multipliera presque certainement ses essais de missiles, en vue de renforcer ses capacités de dissuasion.
Enfin, Trump a fourni aux dirigeants des GRI une occasion idéale de se refaire une virginité dans le cœur de l’opinion publique, après les élections présidentielles contestées de juin 2009, qui avaient donné lieu à une répression interne dans laquelle les Pasdaran étaient impliqués.
La lecture extrêmement sélective de l’histoire de Trump, et sa grossière déformation de l’image de l’Iran – au-delà de sa provocation sur le nom du golfe Persique (qu’il a appelé le golfe d’Arabie) – ont prodigieusement irrité les Iraniens et, sur les réseaux sociaux, le hashtag #nevertrustusa s’est propagé aussi vite qu’un virus.
Les Pasdaran et leurs alliés au sein de l’institution politique capitaliseront pleinement sur la vague de nationalisme qui va, comme on peut s’y attendre, déferler sur l’Iran dans les mois à venir. Les relations entre l’Iran et les États-Unis, rompues depuis 1979, viennent peut-être d’entrer dans leur phase la plus tendue et la plus dangereuse. Il y a fort à parier que Trump n’en tirera pas avantage.
- Mahan Abedin est un analyste spécialiste de la politique iranienne. Il dirige le groupe de recherche Dysart Consulting.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Gardien de la révolution islamique (photo d’archives AFP).
Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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