L’Iran et Trump : ce que sa victoire signifie pour les Gardiens de la révolution
Le 14 novembre, le corps des Gardiens de la révolution islamique (GRI) a commenté et analysé l’élection de Trump et ses conséquences pour l’Iran dans son organe de presse officiel, Sobhe Sadegh (« La véritable aurore »).
Bien que ces articles affichent une façade neutre, il est clair que malgré la possibilité d’une escalade du conflit avec les États-Unis, les GRI sont étonnamment satisfaits des résultats des élections américaines.
Renverser le régime iranien est sans doute la préoccupation centrale du conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, Michael Flynn
L’éditorial de l’hebdomadaire s’intitulait « Le sort du JCPOA après l’élection de Trump ». Le JCPOA (Plan global d’action conjoint) désigne communément l’accord sur le nucléaire iranien.
L’éditorial indiquait « Dans l’ensemble, les élections américaines n’affecteront pas les politiques générales du système politique iranien. Cependant, à une moindre échelle, [ces élections] pourraient affecter le JCPOA et les élections [présidentielles iraniennes de 2017]. »
L’accord sur le nucléaire menacé
Le JCPOA et les prochaines élections présidentielles sont précisément les deux domaines où les conservateurs, notamment les GRI, sont engagés dans une bataille acharnée avec leurs adversaires modérés-réformistes.
Les GRI estiment que le JCPOA – perçu comme un atout potentiel entre les mains de Rohani lors de l’élection présidentielle de 2017 – s’effondrera lorsque Trump entrera en fonction
Après avoir passé en revue certaines des positions déclarées de Trump et des membres de son équipe sur l’Iran et le JCPOA, l’éditorial conclut : « Dans ces circonstances, avec la présence de Trump, en pratique, il ne restera rien [de significatif] et l’incertitude entourant l’accord l’emportera. »
Autrement dit, les GRI estiment que le JCPOA – perçu comme un atout potentiel entre les mains du président Hassan Rohani et de ses partisans modérés lors de l’élection présidentielle de 2017 – s’effondrera lorsque Trump entrera en fonction.
L’économie, le « talon d’Achille » de Rohani
Un autre commentaire paru dans Sobhe Sadegh analysait la position des modérés. Il cherchait à répondre à la question « pourquoi les modérés étaient enthousiastes à l’idée d’une victoire des démocrates et la considéraient comme étant en accord avec leurs propres intérêts ». L’analyse donnait trois raisons.
Tout d’abord, il soutenait que le gouvernement et ses partisans modérés « considèrent l’accord sur le nucléaire leur point fort. Naturellement, ce courant souhaitait que les démocrates restent au pouvoir, surtout étant données les déclarations de Trump prévoyant de saborder l’accord. »
Deuxième raison, selon l’organe politique des GRI : « pour les prochaines élections iraniennes, l’économie et les moyens de subsistance du peuple sont le talon d’Achille de l’actuel gouvernement. »
« Alors que le gouvernement de Rohani n’a pas encore réussi à apporter de changement sensible à la table du peuple [en fournissant plus de nourriture], il espérait qu’avec la victoire des démocrates, certains développements importants [et positifs] se produiraient par rapport aux sanctions. »
« En conséquence, ils pourraient sortir de la stagflation qui afflige l’économie. L’élection de Trump n’offrira aucune lueur d’espoir à cet égard, mais au contraire… se poursuivra avec davantage de vigueur même. »
Climat de peur
La troisième raison derrière le soutien des modérés à Hillary Clinton, suggèrent les GRI, est le fait qu’« en se basant sur l’analyse de certains réformistes et éléments proches du gouvernement, l’imprévisibilité qu’apportera l’élection de Trump entraînera un climat de sécurisation autour du monde. [Cette opinion des modérés] aidera les radicaux [qui contrôlent l’appareil de sécurité] à prendre le dessus et à vaincre leurs rivaux [le gouvernement et les modérés dans leur ensemble] qui sont [naïvement] optimistes vis-à-vis de l’Occident.
Indépendamment de l’exactitude des analyses des GRI, lors des élections américaines, les journaux et les sites web affiliés aux modérés ou les soutenant étaient clairement contre Trump.
Par ailleurs, après l’élection, ils étaient visiblement consternés. Au contraire, les conservateurs, notamment les GRI, sont jusqu’à présent heureux et réceptifs à la victoire de Trump. Les raisons sont les suivantes :
Premièrement, l’accord sur le nucléaire est, depuis sa création, l’un des principaux champs de bataille entre le gouvernement et les modérés, d’une part, et les radicaux, notamment les GRI, d’autre part. La raison en est que la mise en œuvre de l’accord prendrait des années. Ces longues années pourraient conduire à l’amélioration des relations entre l’Iran et les pays européens et à adoucir involontairement les relations américano-iraniennes. Les conséquences d’une telle éventualité pourraient menacer la position des radicaux en Iran.
Avec la solidification du JCPOA, les échanges et le commerce avec l’Occident augmenteront considérablement. Le résultat naturel serait l’expansion du secteur privé en Iran.
Le rôle économique des GRI
Au cours des années où l’Iran a subi des sanctions handicapantes, en particulier pendant la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, les institutions et organisations conservatrices, principalement les GRI, ont commencé à dominer presque tous les aspects de la vie économique en Iran. Selon l’économiste et ancien député au franc-parler Ahmad Tavakkoli, les GRI surpassent le secteur privé grâce à des « conditions inégales » en raison de leur pouvoir et de leur influence.
Lorsque les photos de John Kerry et Javad Zarif se promenant le long de la berge à Genève pendant les négociations sur le nucléaire ont fait surface, elles ont créé un tremblement de terre dans le camp conservateur
Une autre conséquence majeure serait la montée des technocrates en col blanc, qui sont par nature orientés vers les entreprises, laïcs et indifférents aux valeurs religieuses.
Ainsi, en raison de l’incertitude que Trump et les membres de son équipe ont créée en ce qui concerne la mise en œuvre harmonieuse du JCPOA – et aussi la probabilité d’annuler l’accord –, les GRI embrassent l’élection de Trump.
Deuxièmement, le courant conservateur était extrêmement préoccupé par l’infiltration politique, économique et culturelle des Américains suite à la potentielle réalisation du JCPOA.
Le discours sur « l’infiltration américaine » développé par le chef iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a été incontestablement promu et défendu par les GRI après la conclusion de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran. Ils craignaient (et continuent de craindre) que le courant libéral aux États-Unis établisse une relation chaleureuse avec des personnes de même opinion en Iran.
Lorsque les photos de John Kerry et Javad Zarif se promenant le long de la berge à Genève pendant les négociations sur le nucléaire ont fait surface, elles ont créé un tremblement de terre dans le camp conservateur.
Menace pour les modérés
Troisièmement, le plus grand attrait que puisse avoir l’élection de Trump pour les GRI, lequel transparaît dans les extraits des deux articles mentionnés plus tôt, est le fait que les modérés pourraient être marginalisés dans la politique iranienne. C’est le cas étant donné la probabilité de l’intensification des conflits entre l’Iran et les États-Unis.
En effet, les modérés sont incapables d’épouser une rhétorique belliqueuse. Le sous-produit de cette situation, selon les GRI, pourrait être la défaite de Rohani lors des élections présidentielles de 2017, ce qui serait une satisfaction importante pour les GRI.
La prédiction des GRI pourrait s’avérer exacte. Le candidat de la CIA, Mike Pompeo, a promis de revenir sur l’accord avec l’Iran.
Mais la plus forte indication qui nous informe de l’avenir des relations américano-iraniennes est le livre publié en juillet, écrit par Michael Flynn, conseiller à la sécurité nationale de Trump. Renverser le régime iranien est sans doute la préoccupation centrale de Flynn.
« Ils sont un ennemi formidable et ils sont en guerre avec les États-Unis, ses amis et ses alliés (notamment Israël) depuis près de 40 ans », écrit Flynn.
Cependant, « aucun président américain n’a appelé à un changement de régime à Téhéran », ajoute-t-il.
- Shahir Shahidsaless est un analyste politique et journaliste indépendant irano-canadien qui écrit sur les affaires intérieures et étrangères de l’Iran, le Moyen-Orient et la politique étrangère américaine dans la région. Il est coauteur de l’ouvrage Iran and the United States: An Insider’s View on the Failed Past and the Road to Peace. Il contribue à plusieurs sites consacrés au Moyen-Orient ainsi qu’au Huffington Post. Il écrit également de façon régulière pour BBC Persian. En outre, il est sur Twitter : @SShahidsaless.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : photographie fournie par le bureau du Guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, le 24 janvier 2016, le montrant (à droite) en train de saluer un groupe d’officiers de la Garde révolutionnaire impliqués dans la détention de marins de la marine américaine en janvier (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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