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E-mails d’Hillary Clinton : pourquoi le réseau de désinformation dirigé par l’Arabie saoudite recycle de vieilles informations

En présentant d’anciennes informations comme un nouveau scoop, des dizaines de milliers de tweets prennent pour cible le présumé parti pris du Parti démocrate américain contre les Saoudiens
La secrétaire d’État américaine Hillary Clinton assiste à un forum entre le Conseil de coopération du Golfe et les États-Unis, à Riyad, le 31 mars 2012 (AFP)
La secrétaire d’État américaine Hillary Clinton assiste à un forum entre le Conseil de coopération du Golfe et les États-Unis, à Riyad, le 31 mars 2012 (AFP)

Dimanche 11 octobre, le hashtag « e-mails d’Hillary » a commencé à apparaître dans les tendances en arabe. Peu de temps après, il rassemblait des dizaines de milliers de tweets et était la principale tendance en Arabie saoudite, accumulant plus de 170 000 tweets

Bien que la tendance laisse penser à un scoop ou à de nouvelles révélations, il s’agit en fait d’une tentative de recyclage d’anciennes informations.

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L’objectif : mobiliser l’opinion dans le monde arabe contre divers ennemis de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis (EAU), notamment les Frères musulmans, l’ancien prince héritier saoudien Mohammed ben Nayef, et le Parti démocrate avant les élections américaines.

Au début, son apparition dans les tendances n’était pas surprenante. Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo avait récemment promis de publier davantage d’e-mails de l’ancienne candidate démocrate à l’élection présidentielle Hillary Clinton après des critiques de Trump pour ne pas l’avoir fait plus tôt. 

Bien que l’initiative ait été vivement critiquée car potentiellement illégale, Trump, en mauvaise posture dans les sondages, voulait désespérément reproduire le coup de pouce politique que la réouverture de l’enquête sur le scandale des e-mails de Clinton par l’ancien directeur du FBI James Comey lui avait donné immédiatement avant sa victoire électorale en 2016. 

Conspiration

Mais il est vite apparu évident que le hashtag n’était pas simplement le résultat de la déclaration de Pompeo. 

Les twittos, principalement basés aux Émirats arabes unis et en Arabie saoudite, se comportaient comme si Pompeo venait de publier une nouvelle série sensationnelle d’e-mails d’Hillary Clinton.

Sattam al-Saoud, un prince saoudien, a affirmé à tort que le département d’État avait publié 35 000 e-mails, laissant entendre qu’il s’agissait d’un événement récent

En réalité, rien de nouveau. La majorité des e-mails en question ont été publiés légalement et légitimement en 2015 à la demande de Clinton, dans le cadre d’une enquête du FBI sur son utilisation à son domicile d’un serveur de messagerie privé pour des travaux liés au gouvernement. 

Néanmoins, des dizaines d’autres twittos vérifiés ont pris le train en marche, discutant d’une manière apparemment coordonnée d’e-mails choisis. Beaucoup ont même utilisé le terme tasribaat (fuites) pour exagérer un peu plus ces informations.

Sattam al-Saoud, un prince saoudien, a affirmé à tort que le département d’État avait publié 35 000 e-mails, laissant entendre qu’il s’agissait d’un événement récent, et a suggéré que ces e-mails contenaient beaucoup d’informations intéressantes concernant l’Arabie saoudite. 

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Bien qu’une grande partie du contenu qui circule soit véridique, son analyse a été interprétée de manière sélective pour créer une conspiration selon laquelle l’Arabie saoudite serait victime d’un complot du Parti démocrate américain. 

Le site d’information émirati Alain_4u a également promu cette histoire, en particulier des clichés affirmant que les Frères musulmans étaient prêts à faire tomber le monde arabe avec l’aide du Qatar et de la Turquie. 

Lors des précédentes suppressions de faux comptes par Twitter, Alain_4u avait été fortement promu par les comptes non vérifiés, et a également été accusé de propager de la désinformation.

En plus de ces clichés, les comptes saoudiens ont présenté Clinton comme étant non seulement de connivence avec le Qatar, mais aussi comme étant fondamentalement hostile aux Saoudiens – une politicienne cherchant à soutenir les soulèvements arabes au détriment du statu quo.

Caricatures

Certains ont fait valoir que Clinton avait donné son feu vert à une chaîne d’information liée aux Frères musulmans, tout en étant de connivence avec Al Jazeera, que les Émirats arabes unis ont récemment tenté de censurer en faisant pression avec succès pour qu’elle soit enregistrée en tant qu’agent étranger aux États-Unis.

Les caricaturistes n’ont pas tardé à dessiner des caricatures théâtrales de Clinton, dont une la mettant en vedette avec une pile d’argent supervisant un homme se servant d’un ordinateur portable couvert de sang portant le logo d’Al Jazeera.

Les théories du complot ont également fait des liens avec des clichés plus récents, indiquant que Clinton était de connivence avec l’ancien directeur de la CIA John Brennan pour élever ben Nayef au détriment du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. 

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Ils ont également impliqué dans ce complot Saad al-Jabri, l’ancien officier du renseignement qui a récemment engagé des poursuites, alléguant que ben Salmane avait essayé de le faire assassiner au Canada par l’équipe qui a tué Jamal Khashoggi.  

Il s’agissait sans nul doute d’une tentative de nuire à la réputation de Jabri sur le plan intérieur pour légitimer la sanction collective de sa famille, et de lier commodément les dissidents ensemble dans un même complot infâme. 

Dans le Washington Post, David Ignatius fait observer : « Les partisans de MBS semblent se préparer à un éventuel procès du prince héritier déchu [ben Nayef] pour trahison et corruption. »

Des dizaines d’influenceurs établis ont repris le message. Sky News Arabia, chaîne émiratie faisant partie de Sky News International, a également diffusé l’histoire comme s’il s’agissait d’un événement nouveau, la présentant comme un exemple d’un lien Obama-Clinton de soutien aux Frères musulmans.

Ceux qui diffusent le faux scoop sensationnaliste des e-mails de Clinton ont instauré un modus operandi : faire circuler l’histoire via les influenceurs sur Twitter jusqu’à ce qu’il « éclate » dans les médias établis

La campagne de désinformation a mis en évidence la complicité de chaînes d’information réputées dans la propagation de contenus trompeurs. 

En effet, Sky News Arabia est de plus en plus impliquée dans la promotion de contenus falsifiés ou trompeurs. Le mois dernier, elle a retiré le mot « Palestine » d’une affiche, en arrière-plan d’une interview, pour le remplacer par « Liban ». 

Ceux qui diffusent le faux scoop sensationnaliste des e-mails de Clinton ont instauré un modus operandi : faire circuler l’histoire via les influenceurs sur Twitter jusqu’à ce qu’il « éclate » dans les médias établis.

Bien que conçu pour « simuler le scandale », le fait que tant de chaînes d’information et d’influenceurs ravivent sans relâche une histoire vieille de cinq ans illustre le niveau de coordination médiatique entre les entités et les influenceurs en apparence indépendants, mais finalement cooptés.

- Marc Owen Jones est professeur adjoint d’études du Moyen-Orient et d’humanités numériques à la faculté de sciences humaines et sociales de l’Université Hamad ben Khalifa (HBKU). Vous pouvez le suivre sur Twitter : @marcowenjones.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Marc Owen Jones is an Associate Professor of Middle East Studies at HBKU, and a Senior Non Resident Fellow at Democracy for the Arab World Now and the Middle East Council for Global Affairs
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