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Guerre à Gaza : la requête sud-africaine pour génocide, une contestation de l’ordre impérial

La Cour internationale de justice examine si Israël a violé la convention sur le génocide en prenant pour cible le peuple palestinien
Des participants à une marche reliant Leiden à la Cour internationale de justice à La Haye, en solidarité avec les Palestiniens de la bande de Gaza, à Leiden aux Pays-Bas, le 17 décembre 2023 (AFP)

Face aux appels de plus en plus nombreux réclamant un cessez-le-feu total dans le cadre des opérations à Gaza de l’armée israélienne, l’Afrique du Sud a invoqué la convention sur le génocide et déposé une requête auprès de la Cour internationale de justice (CIJ) à La Haye.

La requête, déposée le 29 décembre, décrit les atrocités perpétrées par Israël à Gaza à la suite de l’opération menée par le Hamas le 7 octobre.

Tout en reconnaissant et en condamnant sans équivoque les actions menées par les groupes armés palestiniens le 7 octobre, la requête souligne que ces actes ne peuvent servir à justifier le crime de génocide.

Le document rédigé par l’Afrique du Sud constate que la convention sur le génocide stipule que toutes les parties à la convention ont le devoir de prévenir ou de punir le crime de génocide et, sur la base des preuves recueillies à Gaza, Pretoria estime qu’Israël a enfreint la convention à la fois en perpétrant un génocide et en n’agissant pas pour prévenir le génocide, ni en réprimant l’incitation au génocide.

Le document démontre que les actes et les omissions d’Israël sont de nature génocidaire, puisqu’ils visent à détruire les Palestiniens en tant que groupe national, racial ou ethnique.

La plainte met également en évidence le langage des dirigeants israéliens, qui manifeste une intention génocidaire d’éradiquer les Palestiniens. L’affaire établit une distinction entre le crime de génocide et d’autres atrocités perpétrées par Israël, notamment des attaques intentionnelles contre des civils, des édifices religieux, des établissements d’enseignement, des monuments historiques et des hôpitaux, entre autres.

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Elle distingue également le crime de génocide et les brutalités telles que la torture, la privation de nourriture des civils, et d’autres crimes de guerre et crimes contre l’humanité, y compris les violations de la quatrième Convention de Genève, qui prévoit l’obligation de protéger les civils dans les situations de conflit armé.

Tout en admettant qu’il existe souvent une corrélation étroite entre ces actes, l’Afrique du Sud soutient que les actes de génocide sont distincts et doivent être replacés dans le contexte d’une occupation continue de la Palestine depuis des décennies.

Depuis le 30 octobre, les déclarations officielles des autorités sud-africaines font référence au génocide, signe que la préparation de la requête pour génocide a pu commencer bien avant le mois de décembre.

Plus de 400 citoyens israéliens ont signé une pétition en faveur de la requête de l’Afrique du Sud auprès de la CIJ, dont Anat Matar, professeur à l’Université de Tel Aviv, et Jonathan Pollak, activiste pacifiste israélien.

Une décision capitale

La décision capitale du gouvernement sud-africain d’engager un recours juridique contre Israël devant la CIJ est intervenue dans un contexte de tensions bilatérales croissantes, Pretoria ayant condamné avec véhémence l’agression militaire israélienne et établi de solides analogies entre les politiques israéliennes et le crime d’apartheid. L’Afrique du Sud estime qu’il est nécessaire d’engager un recours juridique au plus haut niveau et, si la Cour lui donne raison, tous les États parties aux Nations unies seront obligés de se conformer à l’arrêt.

Le directeur général du ministère sud-africain des Affaires étrangères et de la Coopération, Zane Dangor, a indiqué que l’affaire commencerait par une discussion sur les « mesures provisoires » ce jeudi 11 janvier.

« Nous nous attendons à ce que l’affaire suive un processus de longue haleine, mais nous avons demandé à la Cour que, pendant que les questions de fond sont traitées, nous exigions d’Israël qu’il prenne ses responsabilités en vue de mettre fin aux actes que nous considérons comme génocidaires, et cela implique d’appeler à un cessez-le-feu immédiat », a-t-il expliqué à Middle East Eye.

« Si la Cour rend une décision en notre faveur, celle-ci sera contraignante pour tous les États parties. Nous exposerons les raisons pour lesquelles nous pensons, sur la base de tous les éléments de preuve, que le crime de génocide a été perpétré, y compris l’intention spécifique... Nous avons constaté une approche systémique des attaques à Gaza et le nombre croissant de morts, qui dépasse les 20 000 personnes, principalement des non-combattants », a poursuivi Zane Dangor.

La démarche audacieuse de l’Afrique du Sud pourrait contrarier des puissances mondiales telles que les États-Unis, ce qui se traduirait par des relations tendues et potentiellement des mesures punitives

« Le crime de génocide n’exige pas que des millions de personnes soient tuées », a-t-il précisé. « Ce qu’il exige, c’est de démontrer qu’il y a une intention de détruire un groupe de personnes en tout ou en partie. Nous avons examiné la nature de ces crimes et les preuves émanant de diverses sources, y compris des rapporteurs spéciaux du Conseil des droits de l’homme. Nous citerons diverses sources qui attestent que le crime de génocide est en train d’être commis. Nous présenterons les faits, mais nous mettrons l’accent sur l’intention. »

L’intention de génocide est considérée comme le fait le plus difficile à prouver devant un tribunal, mais l’Afrique du Sud estime qu’elle dispose d’un argument convaincant, après avoir compilé des déclarations publiques de personnalités israéliennes de premier plan, dont le président, le Premier ministre et des membres du cabinet de guerre. La requête vise en outre à faire valoir que le fait qu’Israël n’ait pas puni des membres de la société civile et des journalistes pour leur incitation au génocide représente un devoir auquel Israël s’est soustrait en tant qu’État partie à la convention.

Presque en prévision d’une décision urgente de la CIJ sur les mesures provisoires, Israël a récemment entrepris le retrait de cinq brigades de Gaza, marquant un changement apparent de sa tactique militaire de manière à ce qu’elle soit plus ciblée comparé au tapis de bombes qui a rasé la majeure partie de la bande de Gaza au cours des trois derniers mois.

« Complicité criminelle »

Dans sa réponse à la requête de l’Afrique du Sud devant la CIJ, Israël a déclaré qu’il se présenterait devant la Cour pour « dissiper l’absurde diffamation sanglante de l’Afrique du Sud ». Le porte-parole du gouvernement, Eylon Levy, usant d’un langage combatif, a qualifié l’Afrique du Sud de « combattant pro bono pour les racistes anti-juifs » et de « criminellement complice de la campagne de génocide du Hamas ».

On peut s’attendre à ce que la défense d’Israël repose sur l’argument du droit de se défendre, de l’antisémitisme et des contre-accusations d’intention génocidaire du Hamas, qui seraient beaucoup plus difficiles à prouver.

En attendant, Israël se prépare en vue d’une réponse globale en matière de relations publiques à cette affaire en chargeant ses missions diplomatiques de publier des déclarations contre les revendications de l’Afrique du Sud, soutenant que l’armée israélienne opère à Gaza en conformité avec le droit international. On s’attend à ce qu’Israël cherche à persuader la Cour de rejeter la requête d’injonction.

Les États-Unis se sont présentés, sans surprise, comme un allié fidèle d’Israël ; le porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche, John Kirby, a déclaré : « Nous estimons que cette demande est sans mérite, contre-productive et totalement dénuée de fondement, quel qu’il soit. »

Le porte-parole du Conseil de sécurité national, John Kirby, s’exprime lors d’une conférence de presse à la Maison-Blanche à Washington, le 4 janvier 2024 (Anna Moneymaker/Getty Images/AFP)
Le porte-parole du Conseil de sécurité national, John Kirby, s’exprime lors d’une conférence de presse à la Maison-Blanche à Washington, le 4 janvier 2024 (Anna Moneymaker/Getty Images/AFP)

Cette déclaration résulte probablement non seulement du soutien absolu de l’administration Biden à Israël, mais aussi d’une perspective défensive, dans la mesure où les procédures judiciaires pourraient mettre en évidence la complicité d’autres États, dont les États-Unis, dans le génocide, par leur soutien à Israël à travers la rhétorique et la fourniture d’armes.

La démarche audacieuse de l’Afrique du Sud, bien qu’elle émane d’une position morale élevée, pourrait contrarier des puissances mondiales telles que les États-Unis, ce qui entraînerait des relations tendues et de potentielles mesures punitives. Ce n’est pas la première fois que l’actuelle administration sud-africaine se heurte à l’hégémonie américaine, notamment après avoir adopté une position de non-alignement vis-à-vis de l’Ukraine et renforcé ses relations avec la Russie.

L’Afrique du Sud semble vouloir repousser les limites du pouvoir et défendre le Sud global, en rappelant à l’ordre l’impérialisme des États, souvent suprématistes, par le recours au droit international qu’ils prétendent incarner et par le renforcement des institutions multilatérales qui ont été paralysées par des jeux de pouvoir.

Un ferme soutien

L’Europe se montre divisée sur la question, la plupart des États ayant exprimé leur soutien à Israël lors de son offensive à Gaza, tandis que la France a récemment déclaré qu’elle se conformerait aux décisions de la Cour.

Plusieurs pays et organisations ont exprimé un ferme soutien à la démarche juridique entreprise par l’Afrique du Sud, notamment la Malaisie, la Turquie, la Jordanie et l’Organisation de la coopération islamique.

L’Afrique du Sud a constitué une formidable équipe juridique dirigée par John Dugard, professeur émérite de l’Université de Witwatersrand. Il a été rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de l’homme en Palestine et a présidé deux commissions d’enquête sur les violations du droit international par Israël. Il dispose d’une bonne connaissance des procédures de la CIJ, ayant déjà exercé les fonctions de juge ad hoc.

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Parmi les autres juristes mobilisés, figurent Tembeka Ngcukaitobi, spécialiste du droit constitutionnel, Max du Plessis, qui a conseillé des affaires devant la Cour pénale internationale (CPI), Adila Hassim, experte en droits de l’homme et en droit constitutionnel, et Blinne Ní Ghrálaigh, qui a déjà travaillé dans le cadre de l’enquête sur le « Bloody Sunday » ( dimanche sanglant) en Irlande du Nord.

Quant au juriste Alan Dershowitz, qui aurait été pressenti pour diriger l’équipe israélienne, il a été écarté. À la place, Israël a nommé l’ancien président de la Cour suprême israélienne et survivant de l’Holocauste Aharon Barak, en qualité de juge ad hoc.

Francis Boyle, juriste américain spécialisé dans les droits humains, qui a plaidé et gagné le procès relatif au génocide en Bosnie, a déclaré dans l’émission télévisée américaine « Democracy Now » être certain que l’Afrique du Sud gagnerait le procès, compte tenu de la minutie de la requête et du fait que l’on s’attendait à ce que l’équipe juridique présente des preuves solides et avérées à la Cour.

Si l’Afrique du Sud obtient gain de cause et que la Cour lui donne raison, la mesure provisoire d’un cessez-le-feu devrait incomber à toutes les parties, en attendant d’autres mesures pouvant inclure une enquête indépendante. À long terme, si la Cour déclare Israël coupable de génocide, on peut s’attendre à ce que le Conseil de sécurité des Nations unies adopte une résolution visant à créer un tribunal similaire à celui de la Yougoslavie ou du Rwanda.

Il existe un certain degré de frustration face à la lenteur de la CPI dans le traitement d’affaires concernant des acteurs israéliens. Une décision favorable à la requête de l’Afrique du Sud devant la CIJ pourrait amener la CPI à agir plus rapidement.

- Zeenat Adam est une ancienne diplomate et une experte indépendante en relations internationales basée à Johannesburg, en Afrique du Sud.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

Zeenat Adam is a former diplomat and an independent international relations strategist based in Johannesburg, South Africa.
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