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Guerre Israël-Palestine : sous occupation, la résistance armée ne cessera jamais

Qualifier l’attaque du 7 octobre d’« injustifiée » reflète une tentative délibérée de dissimuler les circonstances violentes qui l’ont précédée
Des manifestants se rassemblent à Berlin en solidarité avec les Palestiniens, le 18 novembre 2023 (AFP)

Le 7 octobre, l’aile armée du Hamas, les brigades al-Qassam, ont brisé la barrière militarisée de haute technologie qu’Israël utilisait pour emprisonner les Palestiniens à Gaza depuis plus de seize ans.

Le groupe armé a surmonté les défenses israéliennes, saccagé des bases militaires et a brièvement pris le contrôle de plusieurs localités. Les combattants palestiniens ont tué environ 1 200 Israéliens, à la fois des soldats et des civils, et ont ramené plus de 200 otages à Gaza.

Dans les heures et jours qui ont suivi, les alliés occidentaux d’Israël et les grands médias ont été prompts à qualifier l’attaque de « non provoquée », afin de justifier une réponse israélienne qui a déjà tué plus de 15 899 Palestiniens à travers Gaza et en Cisjordanie occupée.

L’attaque du 7 octobre était bel et bien sans précédent, mais la qualifier d’« injustifiée » reflète une tentative délibérée de dissimuler le fait qu’Israël a créé les circonstances violentes qui ont rendu inéluctable une réaction violente.

Aujourd’hui, après deux mois de massacres à Gaza, les forces israéliennes tuent et mutilent encore une génération de Palestiniens – et provoquent le prochain cycle de violence. 

L’histoire n’a pas débuté le 7 octobre. Ce qui s’est passé ce jour-là est intervenu après plus de 75 ans de colonialisme israélien, et a été déclenché par les conditions insupportables à Gaza en raison de seize années de siège israélien et d’emprisonnement de plus de deux millions de personnes dans ce territoire exigu.

Ce qui s’est passé le 7 octobre n’était pas une explosion de violence aléatoire. C’était la réponse d’une population brutalisée, menée dans le langage que ses colonisateurs lui ont enseigné

La plupart des habitants de Gaza sont les descendants de réfugiés qui ont été contraints de fuir leur domicile en Palestine en 1948 face au déchaînement des milices sionistes (la Nakba). La bande de Gaza est passée sous contrôle égyptien jusqu’en 1967, lorsqu’Israël a envahi le territoire et s’en est emparé. 

L’emprise de l’occupation israélienne s’est renforcée au fil des ans, isolant les habitants de Gaza du reste de la Palestine et du monde. Face à l’infatigable résistance palestinienne, Israël s’est retiré de Gaza en 2005, avant d’imposer un siège suffocant qui se poursuit depuis.

Occupation transformée 

En vérité, l’occupation de Gaza par Israël n’a jamais cessé, elle s’est à peine transformée. Aujourd’hui, Gaza est souvent décrite comme la plus grande prison à ciel ouvert au monde. Cependant, même cette description ne rend pas justice à l’ampleur de la brutalité israélienne. 

Ce qu’Israël fait à Gaza est bien pire : c’est un projet dont l’unique but est la sanction collective d’une population tout entière qui a osé résister.

Avec plus de 2,3 millions de personnes entassées dans une zone d’environ 365 km², enfermées derrière des barrières électroniques de haute sécurité et des murs de béton, Gaza est l’un des endroits les plus densément peuplés sur terre. 

Le blocus israélien plane sur chaque aspect de la vie des Palestiniens à Gaza. Le régime israélien contrôle qui entre et sort de la bande côtière avec un système d’autorisation archaïque, utilisé au quotidien comme moyen de pression sur une population tout entière. 

Des gens qui n’ont connu rien d’autre que la violence du nettoyage ethnique, du génocide et du régime colonial pendant toute leur vie finissent par arriver à un point de rupture

Encerclés par Israël et l’Égypte, la plupart des Palestiniens de Gaza n’ont jamais été autorisés à quitter l’enclave. Israël contrôle même son espace aérien et ses eaux territoriales.

Le blocus a dévasté l’économie de Gaza et a provoqué ce que l’ONU appelle le « dé-développement » : c’est-à-dire une situation dans laquelle le développement n’est pas seulement empêché, mais activement inversé. En conséquence, près de la moitié de la population est au chômage, dont le taux dépasse les 70 % chez les jeunes.

Pour de nombreux Palestiniens à Gaza, la vie est une lutte pour survivre. Entre 2007 et 2010, les autorités israéliennes ont compté les calories correspondant aux besoins nutritionnels des Palestiniens afin de s’assurer qu’ils ne recevaient que la quantité minimale de nourriture pour éviter de mourir de faim.

Et au cours des six premiers mois de 2003, près de 400 enfants de Gaza se sont vu refuser des autorisations pour se rendre en Cisjordanie occupée afin d’y recevoir des soins urgents.

Attaques militaires

Comme si le blocus ne suffisait pas, Israël a mené des attaques militaires prolongées à Gaza en 2008-2009, 2012, 2014 et 2021, tuant des milliers de personnes et exacerbant des conditions de vie déjà difficiles en affectant les infrastructures du territoire. 

Des maisons, écoles et hôpitaux ont été détruits, tandis que les tentatives de reconstruction ont été entravées par le refus d’Israël de laisser entrer les matériaux de construction, tels que l’acier et le ciment, à Gaza. En 2014, Israël a visé l’unique centrale électrique de Gaza, aggravant la crise énergétique qui persiste à ce jour, avec une alimentation électrique moyenne de treize heures par jour seulement. 

Si le carnage physique provoqué par les offensives brutales d’Israël est particulièrement bien documenté, beaucoup moins d’attention a été accordée au bilan humain et à la dévastation psychologique qui pèse sur une génération tout entière. Aujourd’hui, les jeunes de 18 ans à Gaza vivent leur cinquième offensive israélienne majeure. Ils auront vu des amis et leur famille massacrés par les missiles israéliens, les obus d’artillerie et les balles de snipers. 

Des Palestiniens sur un chariot inspectent les bâtiments détruits dans la périphérie sud de Gaza, le 26 novembre 2023 (AFP)
Des Palestiniens sur un chariot inspectent les bâtiments détruits dans la périphérie sud de Gaza, le 26 novembre 2023 (AFP)

Pendant ce temps, neuf enfants sur dix à Gaza souffrent de traumatismes liés au conflit qui les handicapent. Les enfants représentent environ la moitié de la population de Gaza, et l’avenir de bon nombre d’entre eux est bien sombre.

Cependant, la torture de Gaza n’est qu’une partie de l’histoire. Le déclencheur immédiat de la récente hausse de la violence armée palestinienne a été la détérioration de la situation en Cisjordanie occupée, où depuis des années des colons israéliens fanatiques intensifient leurs efforts pour procéder au nettoyage ethnique des Palestiniens de leurs terres ancestrales. 

Sous la protection directe de l’armée israélienne, et avec les encouragements explicites des dirigeants d’extrême droite d’Israël, les colons ont mené des pogroms meurtriers dans des villes palestiniennes telles que Huwara. Ces derniers mois, des localités entières entre Ramallah et Jéricho ont été vidées par la violence des colons. 

Même avant le 7 octobre, 2023 s’annonçait comme l’année la plus meurtrière pour les Palestiniens depuis que l’ONU a commencé à compter les victimes en 2006. À travers la Palestine historique, Israël a renforcé son occupation, se délectant de son impunité.

Un avenir sans espoir

Aujourd’hui, en gardant le silence tandis qu’Israël fait de Gaza un endroit invivable, la communauté internationale condamne les Palestiniens à un avenir sans espoir. Ceux qui auront la chance de survivre à l’offensive sans précédent d’Israël n’ont nulle part où aller

L’armée israélienne a réduit à l’état de ruine le nord de Gaza, détruisant la moitié des bâtiments et annihilant des quartiers entiers. Les infrastructures déjà surchargées de Gaza sont brisées, et après avoir forcé des centaines de milliers de civils à fuir le nord de Gaza, Israël dirige désormais son attention vers le sud. 

En permettant à Israël de commettre un génocide en toute impunité, la communauté internationale est complice de la création d’une nouvelle crise et le statu quo avant le 7 octobre fera pale figure en comparaison. 

Le long passif d’Israël en matière de répression de toute forme de résistance palestinienne, qu’elle soit non violente ou armée, est la preuve que le problème n’a jamais été la méthode, mais plutôt le fait que les Palestiniens osent résister à leur oppression

Qualifier le 7 octobre d’« injustifié » fait fi à la fois de l’histoire et de la réalité : des gens qui n’ont connu rien d’autre que la violence du nettoyage ethnique, du génocide et du régime colonial pendant toute leur vie finissent par arriver à un point de rupture. Les résultats sont peut-être monstrueux, toute violence l’est, mais ils n’atteindront jamais l’ampleur de la violence oppressive structurelle qui a donné naissance à ce cycle en premier lieu. 

Ce qui s’est passé le 7 octobre n’était pas une explosion de violence aléatoire. C’était la réponse d’une population brutalisée, menée dans le langage que ses colonisateurs lui ont enseigné.

Ce n’est pas un argument pour ou contre la résistance armée. Pour Israël et ses soutiens, il n’y a aucune distinction : le long passif d’Israël en matière de répression de toute forme de résistance palestinienne, qu’elle soit non violente ou armée, est la preuve que le problème n’a jamais été la méthode, mais plutôt le fait que les Palestiniens osent résister à leur oppression.

Pendant des années, la communauté internationale a adopté l’idée fausse que le sort des Palestiniens pouvait être ignoré, balayé sous le tapis.

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Malgré les avertissements répétés, les États-Unis et une grande partie de la communauté internationale s’attendait à ce que les Palestiniens finissent par capituler face à leur effacement progressif. C’est une mise en cause de la communauté internationale dans son ensemble : il aura fallu une attaque sans précédent contre Israël pour remettre la Palestine à l’ordre du jour dans le reste du monde.

Ce qui s’est passé le 7 octobre nous a montré que la question palestinienne requiert une réponse. Cela nous a montré qu’Israël doit être tenu responsable d’avoir créé les conditions qui ont mené à cette situation, non pas seulement parce qu’il est de notre devoir de faire respecter les valeurs qui sont supposées soutenir notre système international et notre boussole morale, mais parce que le statu quo est intenable. 

Il est important de répéter cette vérité : de nombreux Palestiniens réalisent que le régime israélien réagit uniquement au langage de la violence et de la force. Tant que les Palestiniens vivront sous l’oppression et les provocations constantes d’Israël, la résistance armée restera inéluctable. 

- Tariq Kenney-Shawa est chercheur en politique américaine à Al-Shabaka, think tank et réseau de politique palestinien. Il est titulaire d’un master en Affaires internationales de l’Université de Columbia. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @tksshawa

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (orignal) par VECTranslation.

Tariq Kenney-Shawa is a US Policy Fellow at Al-Shabaka, the Palestinian think tank and policy network. He holds a Master’s degree in International Affairs from Columbia University. Twitter: @tksshawa
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