Aller au contenu principal

Guerre Israël-Palestine : le sort des otages du Hamas pourrait déchirer la société israélienne

En Israël, il y a toujours eu une sorte de contrat social : les citoyens donnent à l’armée leurs enfants pour la conscription et en retour, l’État fera tout son possible pour les ramener chez eux. Aujourd’hui, cet état d’esprit a changé
La mère d’une soldate israélienne dont le corps a été retrouvé à Gaza pleure lors de ses funérailles, le 17 novembre (Reuters)
La mère d’une soldate israélienne dont le corps a été retrouvé à Gaza pleure lors de ses funérailles, le 17 novembre (Reuters)

Les otages retenus dans la bande de Gaza sont à présent la question la plus sensible en Israël. Cela fait plus d’un mois qu’environ 240 personnes ont été capturées par des combattants palestiniens lors de l’attaque menée par le Hamas contre des communautés israéliennes proches de la bande de Gaza.

Alors que plusieurs médias, dont Middle East Eye, évoquent depuis plusieurs jours l’imminence d’échanges avec des prisonniers palestiniens détenus par Israël, le Qatar a confirmé mercredi 22 novembre l’accord pour une « pause humanitaire »  avec un échange d’otages retenus dans la bande de Gaza contre des prisonniers palestiniens.

Une photo prise depuis une position près de Sderot, le long de la frontière israélienne avec la bande de Gaza, montre de la fumée s’échappant lors d’un bombardement israélien sur le nord du territoire palestinien le 21 novembre 2023 (AFP/Fadel Senna)
Une photo prise depuis une position près de Sderot, le long de la frontière israélienne avec la bande de Gaza, montre de la fumée s’échappant lors d’un bombardement israélien sur le nord du territoire palestinien le 21 novembre 2023 (AFP/Fadel Senna)

Le Hamas s’est montré relativement ouvert sur la question. Il a proposé de libérer une poignée de civils en échange d’une cessation des hostilités, puis une centaine d’autres en échange de femmes et de mineurs palestiniens détenus dans les prisons israéliennes.

L’offensive israélienne à Gaza a déjà tué plus de 14 000 Palestiniens, dont plus de  5 800 enfants et 3 900 femmes.

Cette semaine, les corps de deux otages israéliennes ont été retrouvés par des soldats. L’une d’elles souffrait d’un cancer et l’autre était une soldate tuée au cours d’un raid israélien selon le Hamas. Les circonstances de leur mort ne sont toutefois pas connues avec certitude.

Un état d’esprit qui a changé

La société israélienne se pose aujourd’hui cette question : quel type d’engagement l’État a-t-il pris pour ramener ces otages en vie ?

Il s’agit là d’une tendance intéressante. Par le passé, on partait du principe qu’Israël aurait fait tout son possible pour libérer ses citoyens pris en otage.

On n’avait pas dénombré autant d’Israéliens en captivité depuis la guerre de 1973 au Moyen-Orient, et nombre d’entre eux étaient des soldats dont l’avion avait été abattu en territoire syrien ou égyptien.

Guerre Israël-Palestine : sauver les otages ou éradiquer le Hamas, l’équation impossible de Netanyahou
Lire

Aujourd’hui, la majorité des otages du Hamas sont des civils. Seuls 35 d’entre eux environ seraient des soldats. La situation est très différente de ce que l’on a pu observer par le passé.

Par le passé, Israël a payé au prix fort à la libération de ses soldats. La dernière fois, en 2011, 1 027 prisonniers palestiniens ont été libérés en échange de Gilad Shalit, un Israélien détenu par le Hamas.

Il y a toujours eu une sorte de contrat social en Israël : les citoyens donnent à l’armée leurs fils et leurs filles pour la conscription, tandis qu’en retour, l’État fera tout ce qu’il pourra pour les ramener chez eux – même s’ils sont tués au combat.

Aujourd’hui, cet état d’esprit a changé. Ceci est lié à la montée de la droite religieuse au sein de la société israélienne, mais aussi au sein de l’armée elle-même. Il n’y a jamais eu autant d’officiers de rang moyen ou élevé issus de la droite religieuse dans l’armée, tandis que le gouvernement est lui-même dominé par des colons d’extrême droite.

Cela a donné lieu à une nouvelle forme de pensée, selon laquelle les Israéliens sont censés se sacrifier pour leur patrie et l’État n’a pas l’obligation de les ramener.

Le consensus sur cette question est loin d’être atteint. Mais des voix s’élèvent aujourd’hui pour affirmer que la cause de l’État juif est si importante que rien ne doit être fait qui puisse l’entraver, la compromettre ou la faire reculer – comme la libération de prisonniers palestiniens contre des otages israéliens.

Les cercles de droite estiment que la perte de quelques centaines d’autres victimes ne serait pas trop terrible si cela permettait d’écraser complètement le Hamas

Ce changement est progressif et reflète les frictions entre le visage plus ancien et plus libéral d’Israël, qui estime que les vies humaines sont importantes et que chaque individu compte, et le côté plus fondamentaliste, qui y voit un prix à payer.

Cette friction entre ces deux Israël se manifeste d’une part à travers la campagne menée par les familles des otages, dont beaucoup sont issues de kibboutzim de gauche, et d’autre part à travers le gouvernement, dominé par des fondamentalistes sionistes religieux pour qui gagner la guerre passe avant tout le reste.

La guerre d’Israël contre Gaza a commencé par une perte considérable de vies israéliennes : environ 1 200 personnes ont été tuées dans l’attaque menée par le Hamas, dont une majorité de civils et de nombreux enfants.

Avec autant de victimes, les cercles de droite estiment que la perte de quelques centaines d’autres ne serait pas trop terrible si cela permettait d’écraser complètement le Hamas.

La volonté de gagner la guerre, d’abattre le Hamas, est devenue une question quasi existentielle : on affirme aux Israéliens que leur pays et le peuple juif sont en jeu.

Deux Israël

Si la libération des otages implique d’accorder au Hamas une pause dans les combats qui pourrait lui donner le temps de se remettre sur pied – et donc de réduire les chances d’une victoire totale d’Israël –, alors ceci est considéré comme inacceptable par de nombreux dirigeants du pays et par une grande partie de l’opinion publique.

Soudainement, ces 240 vies sont considérées comme un prix pas si élevé pour une victoire.

Compte tenu du fait qu’un grand nombre d’otages appartiennent au camp le plus libéral d’Israël, cette question a commencé à refléter la situation politique antérieure au 7 octobre.

Des proches et des amis des 240 otages détenus par le Hamas à Gaza réclament leur retour au cours de la « marche pour les otages » de cinq jours vers Jérusalem (AP)
Des proches et des amis des 240 otages détenus par le Hamas à Gaza réclament leur retour au cours de la « marche pour les otages » de cinq jours vers Jérusalem (AP)

Des mois avant l’attaque, des centaines de milliers d’Israéliens organisaient des manifestations hebdomadaires contre le Premier ministre Benyamin Netanyahou et son gouvernement. Les Israéliens étaient aux prises avec une autre bataille jugée existentielle : la réforme judiciaire de Netanyahou et le recul de la démocratie israélienne.

Au moins la moitié des Israéliens ne faisaient pas confiance à leur Premier ministre avant la guerre. Depuis lors, Netanyahou n’a rien fait pour les convaincre qu’il était l’homme de la situation pour ramener les otages.

Des milliers de personnes ont marché la semaine dernière vers le bureau du Premier ministre à Jérusalem pour exiger que le gouvernement obtienne la libération des otages, une cause adoptée par de nombreux leaders du précédent mouvement de protestation.

La cote de popularité de Netanyahou n’a jamais été aussi basse. Selon un sondage publié le 16 novembre, le Likoud, le parti du Premier ministre, n’obtiendrait que 17 des 120 sièges du Parlement si des élections avaient lieu aujourd’hui, soit moitié moins que le Parti de l’unité nationale de son rival de centre-droit Benny Gantz.

Selon un autre sondage réalisé en novembre, moins de 4 % des Israéliens juifs pensent que Netanyahou est une source d’information fiable sur la guerre. Un troisième sondage publié le 3 novembre indique que 76 % des Israéliens souhaitent la démission du Premier ministre.

Pour Netanyahou, la survie politique est primordiale. Il est probable que la première chose qu’il fait le matin soit de consulter les derniers sondages, avant même de recevoir les dernières nouvelles du champ de bataille.

On peut dès lors soupçonner qu’il souhaite prolonger la guerre, une période au cours de laquelle il serait très difficile de le déloger. Un accord visant à libérer tout ou partie des otages n’annoncerait peut-être pas la fin de la guerre, mais ce pourrait être le début de la fin.

Supposons qu’il y ait une pause de cinq jours. Les médias internationaux pourraient se rendre à Gaza et constater par eux-mêmes les scènes de dévastation totale. Pendant ce temps, le Hamas aurait l’occasion de récupérer quelque peu et de s’enhardir après avoir survécu à l’assaut initial.

Des familles d’otages ainsi que des commentateurs estiment ainsi que Netanyahou n’est pas pressé d’interrompre les combats pour libérer les personnes détenues à Gaza.

Tout cynique qu’il soit, Netanyahou est conscient qu’Israël se trouve à un tournant, non seulement dans la guerre elle-même, mais aussi pour la société israélienne dans son ensemble

En réalité, il s’adresse à peine aux familles des otages. Il lui a fallu deux mois pour rencontrer certains de leurs représentants, qui se sentent abandonnés.

La situation est délicate. Les médias traditionnels ont adopté la version de l’armée : la pression militaire exercée sur le Hamas le forcera à concéder un meilleur accord pour les otages.

Or, rien n’indique que cela se passera réellement ainsi. L’accord proposé aujourd’hui par le Hamas ne semble pas différent de celui observé avant qu’Israël ne lance son invasion terrestre le 30 octobre. Il s’avère que quatre otages ont été libérés avant même le début des opérations terrestres. Aucun n’a été libéré depuis.

Dans un mois ou deux, nous connaîtrons probablement l’issue : soit les otages seront libres, soit ils seront morts.

Dans la seconde éventualité, l’impact sur la cohésion sociale d’Israël sera colossal. Si Israël ne parvient pas à sauver des dizaines de citoyens alors qu’il en avait la possibilité, le contrat social entre le public, l’État et l’armée sera encore plus rompu.

Ce serait un traumatisme très difficile à surmonter. L’Israël libéral et l’Israël religieux de droite peuvent-ils continuer de cohabiter ?

Tout cynique qu’il soit, Netanyahou est conscient qu’Israël se trouve à un tournant, non seulement dans la guerre elle-même, mais aussi pour la société israélienne dans son ensemble.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation et actualisé.

Meron Rapoport is an Israeli journalist and writer, winner of the Napoli International Prize for Journalism for an inquiry about the stealing of olive trees from their Palestinian owners. He is ex-head of the News Department in Haaertz, and now an independent journalist
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].