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Guerre Israël-Palestine : sauver les otages ou éradiquer le Hamas, l’équation impossible de Netanyahou

Les Israéliens veulent libérer leurs otages, éviter une offensive terrestre majeure et écraser le Hamas. Ces objectifs sont parfaitement incompatibles
Une femme dans une manifestation réclamant la libération des Israéliens et des Allemands retenus par le Hamas à Gaza, à Tel-Aviv, le 25 octobre (AP)
Une femme dans une manifestation réclamant la libération des Israéliens et des Allemands retenus par le Hamas à Gaza, à Tel-Aviv, le 25 octobre (AP)

Après trois semaines de guerre, un sujet prime sur tous les autres pour l’opinion publique israélienne : le sort des personnes retenues captives à Gaza. Cela signifie que c’est également le principal sujet politique.

Auparavant, les proches des captifs (en particulier des civils retenus par le Hamas) s’étaient rassemblés à Tel-Aviv et ailleurs, tentant d’attirer l’attention sur leur sort dans des demi-manifestations polies.

À la fin de la semaine dernière, un changement s’est produit : les familles ont commencé à demander la libération sans délai des captifs. Et bien qu’elles ne l’aient pas dit ouvertement, elles ont laissé entendre qu’une offensive terrestre dans la bande de Gaza mettrait les otages en danger.

L’armée a réagi en indiquant que le début de l’offensive terrestre était un moyen d’encourager le Hamas à assouplir ses conditions en vue d’un quelconque accord, bien que personne n’ait vraiment spécifié quel genre d’accord Israël lui-même aimerait voir se concrétiser

S’opposer ouvertement à une offensive terrestre ne serait pas acceptable pour un public israélien enclin à la vengeance pour l’attaque palestinienne du 7 octobre, laquelle a tué quelque 1 400 Israéliens.

Par conséquent, les familles des captifs ont commencé à suggérer que la priorité devrait être le retour de leurs proches, avant de soumettre Gaza à un assaut sur le terrain ainsi que depuis les airs.

Cela semble avoir soumis l’armée et le Premier ministre Benyamin Netanyahou à une certaine pression.

L’armée a réagi en indiquant que le début de l’offensive terrestre était un moyen d’encourager le Hamas à assouplir ses conditions en vue d’un quelconque accord, bien que personne n’ait vraiment spécifié quel genre d’accord Israël lui-même aimerait voir se concrétiser.

Selon l’armée, c’est la raison pour laquelle l’offensive terrestre qui a commencé le weekend dernier reste en quelque sorte limitée, les troupes israéliennes doivent encore atteindre les zones résidentielles ou la ville de Gaza.

Bien qu’il soit difficile de voir en quoi exactement une telle opération au sol mettra davantage de pression sur le Hamas pour que ce dernier accepte un meilleur accord, la presse israélienne a néanmoins accepté ce que les généraux lui ont dit.

Tabou

En ce qui concerne Netanyahou, les critiques des familles des otages sont bien plus personnelles et l’ont contraint à rencontrer certains de leurs représentants samedi 28 octobre. Cette rencontre, m’a-t-on dit, a été particulièrement difficile. Des mots durs ont été prononcés par les familles, accusant personnellement Netanyahou d’être responsable de toute cette catastrophe.

Après cela, les familles ont organisé une petite manifestation à Tel Aviv, lors de laquelle elles ont exprimé une nouvelle demande : tous pour tous.

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Mais là encore, personne n’a vraiment précisé ce que cela signifie en pratique. Mais on le voit généralement comme une demande pour assurer la libération de l’ensemble des captifs de Gaza, y compris les soldats, en échange de la libération de l’ensemble des détenus palestiniens incarcérés dans les prisons israéliennes.

On ne connaît pas encore le nombre exact de captifs retenus par le Hamas et les autres groupes palestiniens à Gaza. Israël continue de revoir son total à la hausse, affirmant aujourd’hui qu’il y a 240 otages, dont une trentaine de soldats.

Les échanger contre les 5 200 Palestiniens détenus par Israël (parmi lesquels 170 mineurs) est un accord radical, même rapporté au contexte de l’échange de prisonniers de 2011 lorsqu’un soldat, Gilad Shalit, avait été libéré en échange de 1 027 Palestiniens.

Interrogé sur cette perspective, Netanyahou n’a pas exclu un tel échange, affirmant que c’est sur la table, mais il a refusé d’entrer dans les détails.

C’est en soit intéressant. L’idée de libérer tous les prisonniers palestiniens – dont certains ont été condamnés plusieurs fois à la perpétuité pour des attaques contre des civils lors de la Seconde Intifada – est un tabou en Israël.

De plus, Shaul Mofaz, chef d’état-major puis ministre de la Défense lors de la Seconde Intifada, a dit être en faveur d’un tel accord. Lui qui a mis bon nombre des prisonniers importants derrière les barreaux en premier lieu déclare aujourd’hui officiellement qu’ils devraient être libérés.

On ne sait pas comment il est vraiment possible d’écraser le Hamas, en se battant de maison en maison et de rue en rue, tout en espérant ramener les Israéliens captifs en vie

Après l’attaque du 7 octobre contre les localités israéliennes autour de la bande de Gaza, Israël avait un seul objectif militaire : éradiquer le Hamas.

Israël voulait débarrasser totalement Gaza du groupe palestinien par tous les moyens, y compris en contraignant l’ensemble des 2,3 millions de Palestiniens de l’enclave à partir en Égypte. Mais aujourd’hui, en plus de l’objectif de démanteler le Hamas, libérer les captifs est considéré comme un autre objectif clé de l’opération militaire.

Ces deux objectifs semblent contradictoires.

On ne sait pas comment il est vraiment possible d’écraser le Hamas, en se battant de maison en maison et de rue en rue, tout en espérant ramener les Israéliens captifs en vie. C’est une chose extrêmement difficile, sinon impossible.

Cela place Israël dans une situation compliquée.

Ajoutez à cela le fait que le gros de l’offensive israélienne jusqu’à présent a été un bombardement aérien massif de la bande de Gaza, lequel a déjà tué plus de 9 000 Palestiniens dont plus de 3 700 enfants.

Traumatisme collectif

L’armée israélienne affirme avoir tué une cinquantaine de cadres du Hamas et des « centaines » de combattants. Si on prend au mot ces allégations, le bilan pour le Hamas s’élève à environ 500 morts, une fraction du nombre d’enfants tués.

La presse israélienne ne prête pas beaucoup d’attention à la réaction du monde face aux pertes massives de vies à Gaza, mais elle devrait. L’opinion publique peut évoluer. De grandes manifestations pro-Palestiniens ont eu lieu aux États-Unis, à Londres et ailleurs en Europe, ainsi qu’en Turquie et dans le monde arabe.

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Par ailleurs, les discours des responsables occidentaux évoluent eux aussi : le conseiller américain à la sécurité nationale Jake Sullivan par exemple a commencé à exhorter publiquement Israël à protéger les vies des civils à Gaza, évolution notable étant donné l’étroite proximité de l’administration Biden avec Israël depuis le 7 octobre.

Non seulement la pression sur Israël s’accroît de la part de l’Occident, mais également dans le monde arabe. Les attaques continuent à se multiplier depuis la Libye, la Syrie et le Yémen.

Une grande offensive terrestre risque également de déstabiliser les gouvernements égyptien et jordanien. C’est une grande source d’inquiétude pour les États-Unis, qui se soucient du sort de ces alliés stratégiques au Caire et à Amman, plus que de la population de Gaza.

Cela engendrerait très probablement la mort de la plupart des otages, ce qui serait un traumatisme collectif pour les Israéliens.

Pour toutes ces raisons, une attaque au sol majeure ne semble pas très probable. Poursuivre la guerre en l’état (des bombardements, des opérations terrestres limitées et peut-être diviser le territoire en deux et atteindre la périphérie de la ville de Gaza) pourrait être la meilleure option.

Mais est-ce tenable à long terme ? Bientôt le bilan à Gaza passera la barre des 10 000 morts et la pression internationale va s’accroître. On a promis aux israéliens une longue guerre, au moins quelques mois. Les réservistes de l’armée se préparent à cette éventualité.

Toutefois, il ne sera pas simple de poursuivre un tel conflit dans une économie aussi développée. Lors de la guerre du Kippour en 1973, les réservistes ont passé près de six mois dans l’armée, dans une économie bien moins développée.

Des manifestants contre la guerre lèvent leurs mains « ensanglantées » derrière le secrétaire d’État américain Antony Blinken lors d’une audition devant la Commission sénatoriale des dotations, le 31 octobre (Reuters)
Des manifestants contre la guerre lèvent leurs mains « ensanglantées » derrière le secrétaire d’État américain Antony Blinken lors d’une audition devant la Commission sénatoriale des dotations, le 31 octobre (Reuters)

Déjà, on prédit à l’économie israélienne une récession de 11 % ce trimestre à la suite de la guerre. Si la situation s’éternise pendant des mois, cela empira bien entendu. Les secteurs clés tels que la high-tech pourraient revenir sur leurs investissements et leurs dotations en personnel.

Et si on n’a pas constaté en Israël la même agitation sociale qu’il y avait en 2021, lorsqu’il y avait des émeutes dans les villes mixtes ainsi qu’une guerre à Gaza, de graves tensions internes existent.

Les citoyens palestiniens d’Israël, qui composent près de 20 % de la population, sont chassés de leurs lieux de travail et des universités où ils étudient. Parfois, ils sont visés pour avoir exprimé leur sympathie avec la population attaquée à Gaza, et ils sont de plus en plus poursuivis pour le simple fait qu’ils sont Arabes.

Tensions intercommunautaires

Samedi, une foule d’Israéliens a fait irruption dans une résidence universitaire de la ville de Netanya où vivent des étudiants palestiniens en criant « mort aux Arabes ».

Par ailleurs, les autorités israéliennes ont promis de donner 10 000 armes aux colons israéliens en Cisjordanie occupée et d’assouplir la réglementation pour que les civils puissent acquérir des armes en Israël également.

Ces tensions intercommunautaires sont susceptibles de ruiner l’économie. Les citoyens palestiniens d’Israël (sans parler des travailleurs de Cisjordanie) fournissent de nombreux services essentiels. Environ un tiers des médecins israéliens sont Palestiniens.

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En ayant cela en tête, est-ce que Israël peut vraiment poursuivre sa guerre pendant des mois ?

Tout indique que la fin parfaite pour Netanyahou serait un retour au 6 octobre : ressusciter le statu quo avec le Hamas avec un cessez-le-feu qui laisse le groupe au pouvoir à Gaza, mais durement frappé et paria sur la scène internationale.

Depuis 30 ans, le Premier ministre mise sur le fait d’empêcher la création d’un État palestinien en séparant la Cisjordanie de Gaza et en montant le Hamas contre le Fatah. Jusqu’à l’attaque d’il y a trois semaines, cette stratégie lui a plutôt réussi.

Mais le fait que le Hamas reste au pouvoir à Gaza est totalement inacceptable pour l’opinion publique israélienne. Même si Netanyahou le voulait, il en serait probablement dans l’incapacité. Il est certainement la personne la plus détestée en Israël actuellement, tenu responsable de la plus grande catastrophe que le pays a connue depuis 1973.

Israël est coincé entre son désir de maintenir les otages en vie en évitant toute opération majeure au sol, cherchant à continuer une campagne de bombardements intenables, et tenter d’éliminer le Hamas du pouvoir.

Y a-t-il une issue ? Peut-être dans le spectre d’une intervention internationale.

La guerre à Gaza est déjà dans une certaine mesure un conflit international bien plus que toutes les Intifadas ou conflits précédents dans ce territoire.

Plusieurs chefs d’État se sont envolés pour Israël suite au début de la guerre. Certains voient ce conflit dans l’optique de l’Ukraine et de la guerre froide de Washington avec la Russie et la Chine. Plusieurs des otages sont des ressortissants étrangers.

La guerre à Gaza est déjà dans une certaine mesure un conflit international bien plus que toutes les Intifadas ou conflits précédents dans ce territoire

Soudain, la communauté internationale ressent une urgence concernant Israël et la Palestine qui n’existait plus depuis vingt ans après l’échec du sommet de camp David.

Il semble que Washington – ou du moins Joe Biden – ne soit plus convaincu que les Israéliens puissent gérer le conflit israélo-palestinien par eux-mêmes.

Peut-être verrons-nous bientôt une sorte de force internationale à Gaza (peut-être même une force arabe) comme une issue aux combats qui serait acceptable pour Israël et son opinion publique ainsi que pour les Palestiniens et peut-être même le Hamas.

L’autre option est bien plus sinistre : des combats prolongés, une tentative de chasser tous les Palestiniens de Gaza, des dizaines de milliers de morts. Cela pourrait conduire un conflit régional impliquant même la Jordanie et l’Égypte, mettant éventuellement en péril l’existence même d’Israël.

Ce scénario catastrophe est authentique et ne doit pas être ignoré.

Mais c’est peut-être la raison pour laquelle il y a de l’espoir. L’espoir que la communauté internationale interviendra avant que le pire ne se produise.

Meron Rapoport est un journaliste et écrivain israélien. Il a remporté le prix de journalisme international de Naples pour son enquête sur le vol d’oliviers à leurs propriétaires palestiniens. Ancien directeur du service d’informations du journal Haaretz, il est aujourd’hui journaliste indépendant.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Meron Rapoport is an Israeli journalist and writer, winner of the Napoli International Prize for Journalism for an inquiry about the stealing of olive trees from their Palestinian owners. He is ex-head of the News Department in Haaertz, and now an independent journalist
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