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Il faut confronter les guerres sectaires de l’Iran, mais en s’y prenant autrement

Téhéran a mené des projets sectaires en Irak, en Syrie et au Yémen. Ils faut s’y opposer, mais sur des bases nationales et islamiques inclusives

Les Iraniens et leurs amis arabes nient que leurs milices en Syrie soient sectaires. Ils affirment que l'Iran soutient le régime syrien parce que celui-ci participe de la résistance à Israël. Si ce régime tombait, assurent-ils, la région serait dominée par les Israéliens et les Américains.

C'est comme si on ne pouvait pas faire confiance aux Syriens en ce qui concerne les affaires de leur propre pays et qu'on ne devrait pas leur permettre de faire des choix politiques dans leur propre État

Après six ans d’une guerre meurtrière en Syrie, il est étonnant qu'une telle hérésie politique subsiste en tant que rhétorique officielle de l'Iran et de ses alliés.

Une telle affirmation équivaut à une dénonciation de l’ensemble du peuple syrien. C'est comme si on ne pouvait pas faire confiance aux Syriens en ce qui concerne les affaires de leur propre pays et qu'on ne devrait pas leur permettre de faire des choix politiques dans leur propre État.

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On peut se fier à la résistance du régime de Bachar al-Assad, selon ses partisans chiites, mais pas au peuple syrien, qui a pourtant enduré, au cours du siècle dernier, plus que la plupart des fardeaux de la grande cause arabe.

De telles revendications effacent les faits de l'histoire.

De l'Afghanistan à l'Irak. . .

L'expansion régionale de l'Iran remonte à 2001, quand le pays a salué l'invasion américaine de l'Afghanistan. L'Iran a ensuite encouragé ses alliés politiques chiites en Irak à collaborer avec les Américains lorsque les préparatifs pour l'invasion en 2002 et début 2003 étaient en cours. Alors que la coopération de l’Iran avec l'administration Bush en Afghanistan était tenue secrète, les dirigeants chiites irakiens voyageaient publiquement de Téhéran à Londres et Washington pour rencontrer des responsables américains.

Dans les années qui ont suivi, les forces irakiennes chiites sont apparues comme le principal allié de l'occupation et comme un outil pour la reconstruction de l’État irakien. De rares conflits entre les deux parties se sont produits lorsque les dirigeants chiites sentaient que les Américains revenaient sur leurs promesses ou reconsidéraient leur décision de leur remettre l'Irak.

Poignée de mains entre l'ancien chef du Congrès national irakien Ahmed Chalabi et l'administrateur civil des États-Unis en Irak nouvellement nommé Paul Bremer avant une réunion avec les groupes d'opposition irakiens à Bagdad en mai 2003 (AFP)

Au cours des années suivantes, et après le transfert de l'autorité aux Irakiens, l'Iran a fait de son mieux pour renforcer la classe politique chiite irakienne et lui permettre de prendre le contrôle du pouvoir et des ressources. En 2010, lorsque la Liste irakienne nationaliste a remporté les élections, l'Iran s’est opposé à sa présence dans toute coalition au pouvoir et a insisté sur le retour de Nouri al-Maliki comme Premier ministre.

En 2012, quand les Irakiens sont descendus dans les rues pour revendiquer ce qui peut être en tout point considéré comme des demandes humbles et limitées, l'Iran a appuyé les méthodes brutales employées par Maliki pour réprimer le mouvement de protestation populaire.

... à la Syrie

À ce moment-là, les ambitions de l'Iran s'étaient élargies. Téhéran a exprimé son soutien total à Bachar al-Assad dès le début des manifestations à son encontre en 2011. Aucun État, ni ceux considérés comme des ennemis de l'Iran, tels que les États du Golfe et l'Égypte, ni ceux qui entretenaient de bonnes relations avec lui, tels que la Turquie, ont fait preuve d’un soutien tangible pour les manifestants.

À maintes reprises, et malgré les appels réitérés de la Turquie, les Iraniens ont fait preuve d’une fermeté inoxydable, exigeant que le régime d'Assad conserve le contrôle absolu

À cette époque, les manifestations syriennes n'avaient pas encore évolué en conflit armé et il n'y avait ni Front al-Nosra, ni État islamique (EI). De nombreux États, comme le Qatar et la Turquie, dont les dirigeants avaient établi des relations étroites avec Assad, ont déployé d'énormes efforts pour le persuader de s'abstenir de toute effusion de sang et de répondre en partie aux revendications démocratiques des manifestants.

Personne dans la région à l'époque n’a appelé à la fin du régime ou au renversement d’Assad.

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En parallèle, des tentatives de médiation ont été lancées par divers cercles arabes et par des hommes d'affaires syriens qui vivaient à l'étranger mais qui étaient favorables au régime d’Assad. Un homme d'affaires syrien a notamment proposé un projet de Constitution qui jetait les bases d'une réforme modeste du régime sans impliquer son renversement.

Les forces pro-gouvernementales syriennes prennent le contrôle de Boustan al-Qasr à Alep (AFP)

Ce qui est étonnant, c'est que dans la plupart des cas, le régime a initialement accepté les propositions mais les a abandonnées après avoir consulté l'Iran et son allié libanais, le Hezbollah. À maintes reprises, et malgré les appels réitérés de la Turquie, les Iraniens ont fait preuve d’une fermeté inoxydable, exigeant que le régime d'Assad conserve le contrôle absolu.

On ne peut expliquer la position iranienne que par l'inquiétude suscitée par le fait que toute concession, même si limitée, pourrait conduire à une nouvelle détérioration de la position de la clique dirigeante alaouite.

Négliger les aspirations locales

La position iranienne n’a pas été moins sectaire au Yémen qu'en Irak et en Syrie.

La révolution yéménite de 2011-2012 et la chute du président Ali Abdallah Saleh ont fourni une occasion sans précédent au mouvement houthi de mettre fin à des décennies de conflit et de rejoindre la communauté politique yéménite.

La majorité des Yéménites espéraient une nouvelle ère de transition et de partenariat qui engloberait un large éventail de forces politiques du pays. Cependant, les Houthis et leurs amis à Téhéran avaient autre chose en tête. Quelques mois à peine après le début de la période de transition, les Houthis ont cherché à s'emparer du contrôle de l'État et à soumettre tout le monde à leur autorité sectaire.

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Ni les Houthis, un groupe marginal chiite zaydite, ni les Iraniens, n’ont émis d'objections morale à une alliance avec le président déchu, contre lequel ils avaient pourtant mené une série de guerres par le passé.

L'Iran a joué le rôle de force contre-révolutionnaire en Irak, en Syrie et au Yémen, et ce sans la moindre considération pour les aspirations et les sacrifices des peuples de ces pays.

À l'inverse, à Bahreïn, l'Iran a soutenu le mouvement de protestation populaire chiite contre la famille dirigeante sunnite.

Sectaire dès le départ

Dans son essence, l'État moderne est une entité politique ; il n'est ni chrétien, ni chiite, ni sunnite. Toutefois, le cadre de référence du projet expansionniste iranien a été sectaire dès le départ.

En raison de ses penchants sectaires, ce projet a engendré des divisions profondes et coûteuses au sein des sociétés arabes, en particulier celles qui sont diverses sur le plan religieux, précipitant la haine et l'animosité.

L'ayatollah Khomeini a encouragé un programme sectaire dans le monde arabe. Il faut s'y opposer (Reuters)

Il ne fait aucun doute que s'opposer à ce projet sectaire sur des bases sectaires, à la façon d'al-Qaïda et de l’EI, ne fera qu'exacerber ces divisions. L'expansionnisme iranien doit au contraire être confronté sur des bases nationales et islamiques inclusives.

Cependant, une telle confrontation pourrait ne pas atteindre son objectif si elle se trompe dans l’interprétation de la nature réelle du cadre référentiel des politiques expansionnistes iraniennes.

- Basheer Nafi est directeur de recherche au Centre d’études d’Al-Jazeera.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : soldats iraniens pendant un défilé militaire à Téhéran en 2012 (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

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