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Imaginez un monde sans la Palestine

Alors qu’Israël continue d’étendre ses colonies, l’annexion de la Palestine risque de devenir une réalité dont nous allons tous payer le prix

Aujourd’hui, la Palestine n’existe qu’aux yeux de ceux qui le souhaitent ou l’espèrent ; et l’existence future de la Palestine est plus menacée qu’elle ne l’a jamais été.

Le monde doit se faire à ce qui se passera lorsque – et non pas si – la Palestine n’existera plus

À un moment de l’histoire où le gouvernement israélien a le plus besoin d’être réprimandé, il se voit offrir Donald Trump, qui pense que la capitale d’Israël doit être Jérusalem, ainsi qu’un nouvel ambassadeur, David M. Friedman, qui a remis en question la nécessité d’une solution à deux États et qui n’a aucune objection à ce qu’Israël annexe la Cisjordanie.

Lorsque Steve Bannon, nouveau chef d’état-major de la Maison Blanche et rédacteur en chef du média fervemment pro-israélien Breitbart, a été accusé d’être antisémite, il aurait sollicité une lettre de soutien de Yossi Dagan, président du Conseil régional de Samarie et activiste éminent en faveur de la colonisation.

Breitbart s’est empressé de publier fièrement cette lettre. Dagan vit avec près de 900 autres personnes dans une colonie appelée Shavei Shomron. Ce nom hébreu se traduit par « ceux qui reviennent en Samarie ». Cette colonie n’a pas été justifiée par un futur accord de « terre contre paix », comme certains commentateurs pro-israéliens le généralisent souvent, mais par le fait qu’en 1976, des activistes théocratiques fondamentalistes du groupe appelé Gush Emunim s’y sont installés. Ils croyaient que s’ils faisaient cela, ils précipiteraient l’arrivée d’un âge messianique.

Après une demi-douzaine de tentatives d’expulsion, l’Armée de défense d’Israël a trouvé un compromis et les familles ont été autorisées à rester. L’accord dit de Sebastia, nommé ainsi d’après la gare abandonnée qu’ils avaient occupée initialement, a ouvert le nord de la Cisjordanie à la colonisation.

Peu de temps après, le Gush Emunim, animé par son désir de voir la fin des temps, a fondé une organisation de colonisation appelée Amana. Son objectif déclaré est de « développer des communautés en Judée, en Samarie, sur le plateau du Golan, en Galilée, dans le Néguev et à Gush Katif ». Le groupe, toujours très actif aujourd’hui, est prêt à tout pour concrétiser cette vision inspirée par la religion.

Plus tôt cette année, la police israélienne a enquêté sur le groupe et a constaté que sur quinze transactions foncières effectuées par une de ses filiales, quatorze étaient frauduleuses.

Terre contre paix

Affirmer que les Palestiniens ont affaire à des criminels arracheurs de terres en vertu du droit local et international, inspirés non par la paix mais par le fondamentalisme religieux, ne relève pas d’une hyperbole. Pourtant, ceux qui s’épanchent sur une solution à deux États en Occident semblent volontairement aveugles au fait qu’ils ont affaire à des fondamentalistes religieux tout aussi motivés que leurs homologues musulmans.

« Les colonies israéliennes ne sont pas la véritable barrière à la paix », a soutenu l’éminent commentateur Tim Montgomerie au début du mois.

Classé comme l’un des conservateurs britanniques les plus influents en dehors du commandement supérieur du Parti conservateur et présentant un CV qui comporte l’écriture de discours pour deux anciens dirigeants conservateurs, les sermons de Montgomerie, quoique futiles, méritent encore une certaine attention.

« Israël est en première ligne contre l’islam radical », a déclaré Montgomerie, avant de citer le suprématiste athée Sam Harris : « Nous vivons tous en Israël, mais certains d’entre nous ne l’ont pas encore compris. »

Peut-être pourrait-on en dire autant des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza. Montgomerie a eu recours à l’affirmation éculée généralement employée par ceux qui n’ont jamais mis les pieds à Gaza : « On ne peut pas reprocher aux Israéliens de ne pas se hâter de répéter ce qui s’est passé après leur retrait de Gaza en 2005. Les colonies abandonnées sont devenues des plates-formes de lancement d’attaques de missiles. »

Ce que Montgomerie a omis de mentionner, c’est que le blocus est au moins aussi punitif que l’occupation directe et que rendre quelque chose que l’on a volé ne signifie pas qu’un voleur n’en est plus un.

Une « mer de domination israélienne »

Le vol de la Cisjordanie est encore plus direct. Dans un discours puissant prononcé devant l’ONU en octobre 2016, Hagai el-Ad, de l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, a présenté les statistiques :

Le gouvernement israélien a désigné 20 % de la Cisjordanie comme étant des « terres d’État », tandis qu’il autorise « généreusement » les Palestiniens à construire sur 0,5 % de la zone C, qui représente les 60 % de la Cisjordanie placés « temporairement » sous contrôle israélien il y a une génération. Au cours de la dernière décennie, Israël a démoli quelque 1 200 habitations palestiniennes en Cisjordanie, sans compter Jérusalem-Est, réduisant ainsi plus de 5 500 personnes, dont la moitié des mineurs, au statut de sans-abris. Les chiffres de Jérusalem-Est feraient grimper ce chiffre d’environ 50 %.

El-Ad a décrit aisément un futur État palestinien en pleine détérioration, aspiré vers l’abîme de l’inexistence par une interconnexion étouffante de nouvelles colonies, de zones tampons qui entourent chacune d’entre elles, de réseaux de transport séparés pour les colons et les Palestiniens, qui entraîne la « fragmentation de la Palestine en des centaines de communautés isolées qui flottent – ou, devrais-je dire, coulent lentement – dans une mer de domination israélienne.

L’un des titres de gloire antérieurs de Montgomerie a été la production d’une vidéo conservatrice polémique et provocatrice intitulée « A World Without America » (« Un monde sans les États-Unis »), qui visait à exagérer l’importance et la bienveillance des États-Unis. La plus imaginaire des conclusions de la vidéo était qu’un monde sans les États-Unis « serait un monde sans Israël ».

Un apartheid total

Et si l’on imaginait un monde sans la Palestine ? Si vous pensez que les années qui passent depuis la fondation d’Israël ont été mauvaises, imaginez l’agression sans fin à travers le Moyen-Orient et le monde musulman en général que subiront Israël et les juifs (ce qui serait justifiable pour la première proposition, pas pour la seconde – mais cela se produira néanmoins), en supposant que les Israéliens auront achevé de voler un État et non qu’ils le pourraient.

Au niveau interne, Israël – en version élargie – pourrait devenir un État d’apartheid total dans lequel une majorité musulmane serait nécessairement privée de certains droits afin de maintenir la nature juive de l’État. Comme alternative, les expulsions massives de Palestiniens ne sont pas de l’ordre de l’impossible.

En mars 2016, le président israélien Reuven Rivlin a décrit un sondage montrant que près de la moitié des Israéliens voulaient que les Palestiniens soient « expulsés ou transférés » d’Israël comme un « coup de semonce pour la société israélienne ». À mesure que les frontières de facto d’Israël s’étendront vers l’ouest, à travers des colonies qui se répandront telles des bactéries bien nourries, le nombre de Palestiniens qui en souffriraient ne ferait qu’augmenter. S’il y a bien quelque chose que le Levant et l’Europe ont besoin d’accueillir en moins grand nombre, ce sont des réfugiés.

Pendant ce temps, le sentiment anti-occidental, déjà en pleine progression, suivrait un rythme effréné, tandis que la menace du terrorisme dans les capitales européennes et nord-américaines atteindrait des niveaux ingérables. La question israélo-palestinienne n’est plus un conflit : c’est une crise.

Le monde doit se faire à ce qui se passera lorsque – et non pas si – la Palestine n’existera plus. Les résultats pourraient être terribles pour les Palestiniens eux-mêmes, mais les pays occidentaux (sans parler des États arabes) qui ont assisté à cela les bras croisés pourraient payer un très lourd tribut.

- Alastair Sloan s’intéresse à l’injustice et à l’oppression en Occident, en Russie et au Moyen-Orient. Il écrit régulièrement pour The Guardian, Al-Jazeera et Middle East Eye. Vous pouvez suivre ses travaux sur www.unequalmeasures.com.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye. 

Photo : un drapeau palestinien flotte sous les yeux de soldats israéliens lors d’une marche commémorant le jour de l’indépendance de la Palestine, à l’entrée de la vieille ville d’Hébron, en Cisjordanie occupée, le 15 novembre 2016 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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