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Élections irakiennes : les réformes hors de portée

Malgré un mouvement de protestation soutenu, les élites irakiennes devraient remporter les élections de ce dimanche
Une affiche de campagne photographiée à Bagdad, le 14 septembre 2021 (AFP)

Les élections législatives irakiennes du 10 octobre seront un référendum entre d’une part les élites établies qui l’emportent depuis 2003 et cherchent à préserver le statu quo, et de l’autre les outsiders d’un mouvement de protestation qui cherchent à réformer le système.

Les électeurs devront choisir 329 députés pour l’assemblée monocamérale irakienne parmi plus de 3 200 candidats. Mais vu l’apathie et le mépris pour les élites politiques irakiennes, une faible participation est probable, comme en 2018. Si tel est le cas, la coalition du religieux chiite Moqtada al-Sadr gagnerait probablement à nouveau – pourtant, des surprises et bouleversements sont possibles dans le processus électoral irakien.

Kadhimi n’a pas réussi à réduire les problèmes de corruption, de chômage, de services fiables ou d’insécurité découlant du ciblage des militants par les milices

La coalition de Sadr a remporté une victoire électorale surprenante lors des élections de 2018. En deuxième position se trouvait la coalition Fatah (Conquête) de Hadi al-Amiri, avec une liste de candidats issus des milices chiites irakiennes. La coalition du Premier ministre sortant à l’époque, Haïder al-Abadi, était arrivée en troisième position – un résultat surprenant, car les observateurs du processus électoral irakien supposaient que le président sortant aurait l’avantage. Ces trois factions chiites établies se disputent ces élections, mais les bouleversements passés indiquent que les résultats pourraient surprendre.

Le bloc sadriste devrait bien s’en sortir en raison de son organisation et de sa capacité à mobiliser les électeurs le jour du scrutin, rivalisant avec le Fatah d’Amiri. Les sadristes pourraient alors former une alliance post-électorale avec la coalition des Forces de l’État national, dirigée par Abadi et Ammar al-Hakim. 

En ce qui concerne les factions sunnites, le président sortant du Parlement, Mohamed al-Halbousi, dirige l’Alliance pour l’avancement (Taqaddum), qui est forte dans la province d’Anbar, tandis que la coalition de la famille Noujaïfi s’en sortira bien dans la province de Mossoul. La coalition dirigée par Khamis al-Khanjar, un homme d’affaires sunnite, constituera un joker.

Formation d’alliances

On peut s’attendre à ce que les deux principaux partis kurdes gagnent dans leurs districts respectifs et forment une alliance avec l’une des factions chiites. Sur la base de négociations informelles avant le vote, le Parti démocratique du Kurdistan, dirigé par Massoud Barzani, rejoindrait une coalition informelle avec les sadristes pour former un cabinet. L’Union patriotique du Kurdistan, codirigée par Lahur et Bafel Talabani, s’allierait avec la coalition du Fatah.

Mais une série continue de manifestations, qui a commencé en octobre 2019 et est devenue célèbre sous le nom de mouvement Tishreen, s’oppose à ces mêmes élites. Le mouvement s’évertue à défier les élites en présentant ses propres candidats ou en encourageant les boycotts pour priver les élections de légitimité.

Des Irakiens organisent des manifestations antigouvernementales à Bassorah, le 31 octobre 2019 (AFP)
Des Irakiens organisent des manifestations antigouvernementales à Bassorah, le 31 octobre 2019 (AFP)

Les objectifs généraux du mouvement Tishreen comprennent la création d’emplois, des services fiables et la fin de la corruption, devenue endémique en Irak après 2003. Et le mouvement a obtenu des résultats tangibles : il a conduit à la démission en décembre 2019 du Premier ministre Adel Abdel-Mehdi, arrivé au pouvoir après le vote de 2018. 

Mustafa Kadhimi, le Premier ministre désigné en mai 2020, a rapidement promis d’organiser des élections. La pression des manifestants a également conduit à la rédaction d’une nouvelle loi électorale, qui a augmenté le nombre de circonscriptions électorales de 18 à 83. En outre, cette loi a éliminé le système de scrutin de liste ; désormais, les électeurs peuvent choisir un candidat local, qui peut faire partie d’une coalition ou se présenter en tant qu’indépendant.

Cette loi électorale permet une meilleure représentation régionale au Parlement et attribue un quota de sièges aux femmes, ce qui signifie que chaque circonscription électorale enverra au moins une femme au Parlement. Les manifestants ont également insisté auprès des observateurs internationaux afin qu’ils assurent un scrutin transparent.

Divisions internes

Pourtant, alors que certains des militants du mouvement de protestation se présenteront aux élections, ils n’ont pas de leader unique, n’ont pas réussi à former une coalition unifiée et sont déchirés par des divisions internes. Bien que Tishreen ait réalisé des réformes progressives, il y a peu de perspectives d’un changement substantiel en Irak après les élections.

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Les élites des partis ethniques et confessionnels de l’après-2003 l’emporteront probablement, mais aucun parti n’est susceptible de remporter la majorité des 329 sièges, ce qui signifie qu’un gouvernement de coalition sera nécessaire. Les sadristes et la faction rivale du Fatah, ainsi que leurs alliés post-électoraux, vont sûrement se disputer les places, ce qui entraînera probablement un processus long et prolongé de formation d’un gouvernement.

Kadhimi n’a pas formé sa propre alliance électorale, et les sadristes, sans candidat évident au poste de Premier ministre, pourraient le laisser à son poste. Mais même avec un Parlement dominé par les sadristes et un cabinet technocratique, Kadhimi n’a pas réussi à réduire les problèmes de corruption, de chômage, de services fiables ou d’insécurité découlant des milices qui ont ciblé les militants. Ainsi, les perspectives de changement dans un avenir proche sont limitées.

Le mouvement Tishreen avait le potentiel d’émerger comme une coalition dépassant les clivages ethniques et confessionnels, mobilisant les chiites, les sunnites et les Kurdes. Une telle unité s’avère hors d’atteinte depuis 2003. 

- Ibrahim al-Marashi est professeur agrégé d’histoire du Moyen-Orient à l’Université d’État de Californie à San Marcos. Parmi ses publications figurent Iraq’s Armed Forces: An Analytical History (2008), The Modern History of Iraq (2017), et A Concise History of the Middle East (à paraître).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation. 

Ibrahim al-Marashi is associate professor of Middle East history at California State University San Marcos. His publications include Iraq’s Armed Forces: An Analytical History (2008), The Modern History of Iraq (2017), and A Concise History of the Middle East (forthcoming).
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